La vue depuis les marges

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De quoi parle la romance

enzodaumier.substack.com

De quoi parle la romance

OĂč Enzo remet en cause ses croyances

enzo daumier đŸłïžâ€đŸŒˆ
Nov 5, 2022
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De quoi parle la romance

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C'est toujours la mĂȘme rengaine.

Boy meets Girl. Ils tombent amoureux, n'osent pas se l'avouer, se l'avouent, l'avouent aux autres, ça part en cacahouĂštes. Puis, quand on sent l'amour sur le point de triompher, arrive le retournement final (il se situe Ă  75-80% de l'histoire pour ĂȘtre prĂ©cis) : leur amour est impossible. Ils se sĂ©parent, soit momentanĂ©ment, soit pour de bon (croient-ils).


Si tu regardes une série coréenne, tu dois insérer ici une période minimum d'un an, car il semble qu'en-deçà, on n'a pas affaire à une vraie histoire d'amour. En Corée, l'abstinence est le pilier principal du romantisme national : on ne couche pas, on ne voit pas l'autre pendant douze mois, mais on lui reste fidÚle ! On y croit. C'est de la romance hardcore

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, en somme.


Bref, aprÚs cette séparation, les deux amoureux s'aperçoivent qu'ils ne peuvent pas vivre l'un sans l'autre. Ils décident d'habiter ensemble et se marient (si le mariage est possible).

The End.

Les innégociables de la romance

La romance doit suivre deux rĂšgles sans lesquelles elle ne serait pas une romance :

  1. Elle doit parler d'amour ;

  2. Elle doit bien se terminer.

Habituellement, la fin se décline en HEA et HFN.

  • HEA, c'est le happily ever after des contes, aussi connu sous le nom de "la grosse arnaque". L'histoire voudrait nous faire croire que les protagonistes, ayant trouvĂ© l'amour de leur vie, n'auront aucun problĂšme par la suite, qu'ils seront toujours heureux et, Ă  l'image des meilleures politiques natalistes d'aprĂšs-guerre, auront de nombreux enfants

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    .

Tout comme le droit divin des monarques (dans le passĂ©), ou le capitalisme libĂ©ral (de nos jours), le Happily Ever After est une idĂ©e-parasite : on y croit mordicus, mĂȘme quand la rĂ©alitĂ© nous hurle Ă  la figure : WAKE UP! TU DÉLIRES.

  • HFN, c'est le Happy For Now. C'est la fin la plus rĂ©aliste que l'on puisse espĂ©rer dans ce genre. Les auteurices terminent leur histoire sur une note positive. Les protagonistes sont heureux. Ils ont des projets. Ils sont plein d'enthousiasme. Bien sĂ»r, on se doute que les emmerdes vont trĂšs vite arriver au point que le divorce sera la seule conclusion possible Ă  leur idylle frelatĂ©e. Mais comme un divorce n'est toujours pas considĂ©rĂ© de maniĂšre positive par nos sociĂ©tĂ©s conservatrices, et enfreindrait donc la rĂšgle n°2 ("bien se terminer"), on s'arrĂȘte quand tout va bien. MĂȘme si ce tout-va-bien ne dure qu'une minute, une heure ou une journĂ©e. Le HFN produit l’illusion du bonheur enfin trouvĂ©.

Cela fait plusieurs années maintenant que je mange de la romance au petit-déjeuner, au déjeuner, au goûter et au dßner. Parfois, pour me rafraßchir le palais, je consomme une histoire dont la romance est au second plan. (Je sais, je suis ouf.)

Bref, j'en regarde, j'en lis, j'en Ă©cris mĂȘme.

Parce que je suis gay (ou parce que je suis une fujoshi hétéro undercover), ma préférence va au BL.
Le Boys' Love n'est pas un genre à part. C'est une "modalité" de la romance (un peu comme il existe les modes indicatif, subjonctif, conditionnel dans notre langue). Les rÚgles du genre s'applique au BL.
La seule différence majeure, c'est que l'histoire commence par : Boy meets Boy.

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Romance Queer ou Simili-Queer ?

Si tu m'as lu la derniÚre fois, tu sais que j'aime me plaindre de l'hétéronormativité dans le BL.

À mes yeux, la romance queer ne se contente pas de remplacer la femme par un homme, mais elle porte un regard diffĂ©rent sur le genre dans lequel elle s'insĂšre bon grĂ© mal grĂ©.

Elle doit remettre en cause la prémisse, c'est à dire le postulat de départ.

Au dĂ©but du BL, c'Ă©tait bien le cas : quand l’histoire littĂ©raire affirmait qu’un roman d’amour Ă  l’eau de rose (comme on les appelait alors) c’était Boy meets Girl. Les queers s’étonnaient : “Vraiment ? Et pourquoi pas, Boy meets Boy ?”

Imaginer une vĂ©ritable histoire d'amour entre deux hommes Ă  une pĂ©riode oĂč l'on Ă©tait convaincu que les amours homosexuelles finissaient dans la tragĂ©die, c'Ă©tait rĂ©volutionnaire.

De nos jours, ça l'est beaucoup moins. Le triomphe du BL, du MM, du Yaoi, du mariage pour tous, banalise l'image de deux hommes ensemble. Et c'est tant mieux !

Toutefois, il est peut-ĂȘtre temps de questionner d'autres prĂ©misses. Sans aller jusqu'Ă  remettre en cause les HEA et les HFN (gardons ça pour plus tard), nous pourrions nous attaquer au verbe qui est au centre de l'expression “Boy meets Boy”.

“Meet”, vraiment ? Ne devrait-t-on pas dire “Boy loves Boy”, plutît ?

Immédiatement, le champ des possibilités s'élargit.

Pourquoi devrions-nous raconter ces premiĂšres rencontres ?

Certes, l'appel de l'inconnu, le frisson qu'il procure, suffit à appùter les lecteurices... Mais si iels viennent pour lire-voir une histoire d'amour, un couple déjà établi est tout aussi intéressant qu'un amour naissant

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. (Si, si, je te jure.)

Le but ultime de la romance est d'explorer l'amour sous toutes ses formes, pas de raconter une premiĂšre rencontre qui mĂšnera au mariage.


Le Young Adult

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en est pleinement conscient, contrairement Ă  la romance adulte mainstream, qui s'avĂšre ĂȘtre assez conservatrice dans l'ensemble.

Dans Two Boys Kissing de David Levithan, on découvre des couples à différents stades de leur relation : Avery et Ryan sont sur le point de connaßtre ce frisson de la premiÚre rencontre ; Neil et Peter sortent ensemble depuis un an et se demandent ce que leur réserve le futur ; Craig et Henry, les "two boys kissing" du roman, conjuguent leur relation au passé : ils sont sortis ensemble mais sont retournés dans la friend zone.

Le roman est un chef-d'oeuvre, Levithan est un génie. Il rappelle à ses lecteurices que leur coeur peut aussi vibrer pour des histoires qui ne sont pas standardisées... et plus important encore : il montre aux autres créateurices ce qu'il est possible de faire dans le genre de la romance.

Ce roman n’est Ă©videmment pas traduit en français.


Ma non-conclusion

Il est difficile de s'éloigner des chemins battus. Quand on écrit dans un genre, on a tendance à reproduire ce qui a été fait avant (c'est d'ailleurs comme ça que l'on sait qu'on écrit dans un genre...).

On peut mettre des années avant de prendre conscience de l'existence de ces prémisses

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. Au final, certains les acceptent sans sourciller. D'autres essayent de les tester, de les questionner, mais courent alors le risque de dĂ©cevoir leurs lecteurices (voire de ne pas ĂȘtre publiĂ©s).

Plus le genre est défini, moins on a de liberté d'action, semble-t-il... On nous répÚte bien assez qu'il existe une recette qu'il faudrait appliquer à la lettre, que les consommateurices portent la couronne. Il faut impérativement leur donner ce qu'ils réclament !

Malheureusement, la rĂ©alitĂ© me semble diffĂ©rente. En tant que lecteur, je sais ce dont j’ai envie
 mais pas toujours ce dont j’ai besoin.

C’est lĂ  toute la puissance de l’art : satisfaire les besoins de son public, mĂȘme ceux qu'il n'avait pas conscience d'avoir.
Et qui de mieux placé qu'un.e artiste queer

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pour faire sienne cette mission délicate ?

So long !

Enzo

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Parce qu'il est bien connu que la patience et la fidĂ©litĂ© sont deux vertus que l'on trouve en abondance chez l'ĂȘtre humain.

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Sauf que l'on sait tous que les princes charmants finissent par foutre le camp. Il y a mĂȘme une chanson sur le sujet. Mais peu importe...

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Voire davantage, si l'on considĂšre que l'ĂȘtre humain dĂ©vore ces histoires pour se constituer une banque de donnĂ©es mentale qui lui permettra de mieux nĂ©gocier sa vie.
Le jour oĂč je rencontre un riche CEO qui fait partie d'une famille de psychopathes, je saurai quoi faire ! De mĂȘme que si je tombe amoureux d'un alien. On ne sait jamais... La romance me prĂ©pare Ă  tous les cas de figure.

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Le YA est aussi une modalité et non un genre, contrairement à ce que le marketing aimerait nous faire croire.

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Il ne m'Ă©tait pas venu Ă  l'idĂ©e qu'on puisse raconter une histoire d'amour en la commençant Ă  un autre moment qu'au dĂ©but. Il a fallu que je lise Levithan, et plus rĂ©cemment, un tweet sur le manque d’histoires se focalisant sur des couples dĂ©jĂ  Ă©tablis, pour que l'idĂ©e fasse son bout de chemin.

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Si tu es hĂ©tĂ©ro, pas de panique. Tu peux, toi aussi, ĂȘtre un.e artiste queer. Car, tu l’auras compris, ĂȘtre queer, c’est un Ă©tat d’esprit. Ça n’a aucun rapport avec ce que tu fais sous les draps, sur le canapĂ© ou le comptoir de la cuisine, voire dans les bois ou dans ta voiture (no judgment).

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