C'est toujours la même rengaine.
Boy meets Girl. Ils tombent amoureux, n'osent pas se l'avouer, se l'avouent, l'avouent aux autres, ça part en cacahouètes. Puis, quand on sent l'amour sur le point de triompher, arrive le retournement final (il se situe à 75-80% de l'histoire pour être précis) : leur amour est impossible. Ils se séparent, soit momentanément, soit pour de bon (croient-ils).
Si tu regardes une série coréenne, tu dois insérer ici une période minimum d'un an, car il semble qu'en-deçà, on n'a pas affaire à une vraie histoire d'amour. En Corée, l'abstinence est le pilier principal du romantisme national : on ne couche pas, on ne voit pas l'autre pendant douze mois, mais on lui reste fidèle ! On y croit. C'est de la romance hardcore1, en somme.
Bref, après cette séparation, les deux amoureux s'aperçoivent qu'ils ne peuvent pas vivre l'un sans l'autre. Ils décident d'habiter ensemble et se marient (si le mariage est possible).
The End.
Les innégociables de la romance
La romance doit suivre deux règles sans lesquelles elle ne serait pas une romance :
Elle doit parler d'amour ;
Elle doit bien se terminer.
Habituellement, la fin se décline en HEA et HFN.
HEA, c'est le happily ever after des contes, aussi connu sous le nom de "la grosse arnaque". L'histoire voudrait nous faire croire que les protagonistes, ayant trouvé l'amour de leur vie, n'auront aucun problème par la suite, qu'ils seront toujours heureux et, à l'image des meilleures politiques natalistes d'après-guerre, auront de nombreux enfants2.
Tout comme le droit divin des monarques (dans le passé), ou le capitalisme libéral (de nos jours), le Happily Ever After est une idée-parasite : on y croit mordicus, même quand la réalité nous hurle à la figure : WAKE UP! TU DÉLIRES.
HFN, c'est le Happy For Now. C'est la fin la plus réaliste que l'on puisse espérer dans ce genre. Les auteurices terminent leur histoire sur une note positive. Les protagonistes sont heureux. Ils ont des projets. Ils sont plein d'enthousiasme. Bien sûr, on se doute que les emmerdes vont très vite arriver au point que le divorce sera la seule conclusion possible à leur idylle frelatée. Mais comme un divorce n'est toujours pas considéré de manière positive par nos sociétés conservatrices, et enfreindrait donc la règle n°2 ("bien se terminer"), on s'arrête quand tout va bien. Même si ce tout-va-bien ne dure qu'une minute, une heure ou une journée. Le HFN produit l’illusion du bonheur enfin trouvé.
Cela fait plusieurs années maintenant que je mange de la romance au petit-déjeuner, au déjeuner, au goûter et au dîner. Parfois, pour me rafraîchir le palais, je consomme une histoire dont la romance est au second plan. (Je sais, je suis ouf.)
Bref, j'en regarde, j'en lis, j'en écris même.
Parce que je suis gay (ou parce que je suis une fujoshi hétéro undercover), ma préférence va au BL.
Le Boys' Love n'est pas un genre à part. C'est une "modalité" de la romance (un peu comme il existe les modes indicatif, subjonctif, conditionnel dans notre langue). Les règles du genre s'applique au BL.
La seule différence majeure, c'est que l'histoire commence par : Boy meets Boy.
Romance Queer ou Simili-Queer ?
Si tu m'as lu la dernière fois, tu sais que j'aime me plaindre de l'hétéronormativité dans le BL.
À mes yeux, la romance queer ne se contente pas de remplacer la femme par un homme, mais elle porte un regard différent sur le genre dans lequel elle s'insère bon gré mal gré.
Elle doit remettre en cause la prémisse, c'est à dire le postulat de départ.
Au début du BL, c'était bien le cas : quand l’histoire littéraire affirmait qu’un roman d’amour à l’eau de rose (comme on les appelait alors) c’était Boy meets Girl. Les queers s’étonnaient : “Vraiment ? Et pourquoi pas, Boy meets Boy ?”
Imaginer une véritable histoire d'amour entre deux hommes à une période où l'on était convaincu que les amours homosexuelles finissaient dans la tragédie, c'était révolutionnaire.
De nos jours, ça l'est beaucoup moins. Le triomphe du BL, du MM, du Yaoi, du mariage pour tous, banalise l'image de deux hommes ensemble. Et c'est tant mieux !
Toutefois, il est peut-être temps de questionner d'autres prémisses. Sans aller jusqu'à remettre en cause les HEA et les HFN (gardons ça pour plus tard), nous pourrions nous attaquer au verbe qui est au centre de l'expression “Boy meets Boy”.
“Meet”, vraiment ? Ne devrait-t-on pas dire “Boy loves Boy”, plutôt ?
Immédiatement, le champ des possibilités s'élargit.
Pourquoi devrions-nous raconter ces premières rencontres ?
Certes, l'appel de l'inconnu, le frisson qu'il procure, suffit à appâter les lecteurices... Mais si iels viennent pour lire-voir une histoire d'amour, un couple déjà établi est tout aussi intéressant qu'un amour naissant3. (Si, si, je te jure.)
Le but ultime de la romance est d'explorer l'amour sous toutes ses formes, pas de raconter une première rencontre qui mènera au mariage.
Le Young Adult4 en est pleinement conscient, contrairement à la romance adulte mainstream, qui s'avère être assez conservatrice dans l'ensemble.
Dans Two Boys Kissing de David Levithan, on découvre des couples à différents stades de leur relation : Avery et Ryan sont sur le point de connaître ce frisson de la première rencontre ; Neil et Peter sortent ensemble depuis un an et se demandent ce que leur réserve le futur ; Craig et Henry, les "two boys kissing" du roman, conjuguent leur relation au passé : ils sont sortis ensemble mais sont retournés dans la friend zone.
Le roman est un chef-d'oeuvre, Levithan est un génie. Il rappelle à ses lecteurices que leur coeur peut aussi vibrer pour des histoires qui ne sont pas standardisées... et plus important encore : il montre aux autres créateurices ce qu'il est possible de faire dans le genre de la romance.
Ce roman n’est évidemment pas traduit en français.
Ma non-conclusion
Il est difficile de s'éloigner des chemins battus. Quand on écrit dans un genre, on a tendance à reproduire ce qui a été fait avant (c'est d'ailleurs comme ça que l'on sait qu'on écrit dans un genre...).
On peut mettre des années avant de prendre conscience de l'existence de ces prémisses5. Au final, certains les acceptent sans sourciller. D'autres essayent de les tester, de les questionner, mais courent alors le risque de décevoir leurs lecteurices (voire de ne pas être publiés).
Plus le genre est défini, moins on a de liberté d'action, semble-t-il... On nous répète bien assez qu'il existe une recette qu'il faudrait appliquer à la lettre, que les consommateurices portent la couronne. Il faut impérativement leur donner ce qu'ils réclament !
Malheureusement, la réalité me semble différente. En tant que lecteur, je sais ce dont j’ai envie… mais pas toujours ce dont j’ai besoin.
C’est là toute la puissance de l’art : satisfaire les besoins de son public, même ceux qu'il n'avait pas conscience d'avoir.
Et qui de mieux placé qu'un.e artiste queer6 pour faire sienne cette mission délicate ?
So long !
Enzo
Parce qu'il est bien connu que la patience et la fidélité sont deux vertus que l'on trouve en abondance chez l'être humain.
Sauf que l'on sait tous que les princes charmants finissent par foutre le camp. Il y a même une chanson sur le sujet. Mais peu importe...
Voire davantage, si l'on considère que l'être humain dévore ces histoires pour se constituer une banque de données mentale qui lui permettra de mieux négocier sa vie.
Le jour où je rencontre un riche CEO qui fait partie d'une famille de psychopathes, je saurai quoi faire ! De même que si je tombe amoureux d'un alien. On ne sait jamais... La romance me prépare à tous les cas de figure.
Le YA est aussi une modalité et non un genre, contrairement à ce que le marketing aimerait nous faire croire.
Il ne m'était pas venu à l'idée qu'on puisse raconter une histoire d'amour en la commençant à un autre moment qu'au début. Il a fallu que je lise Levithan, et plus récemment, un tweet sur le manque d’histoires se focalisant sur des couples déjà établis, pour que l'idée fasse son bout de chemin.
Si tu es hétéro, pas de panique. Tu peux, toi aussi, être un.e artiste queer. Car, tu l’auras compris, être queer, c’est un état d’esprit. Ça n’a aucun rapport avec ce que tu fais sous les draps, sur le canapé ou le comptoir de la cuisine, voire dans les bois ou dans ta voiture (no judgment).