Que deux hommes puissent coucher ensemble, passe encore, c'est du sexe (ce sont les hormones, Simone - boys will always be boys, innit?)…
Mais qu'ils puissent s'embrasser, sortir ensemble, éprouver des sentiments l'un pour l'autre, on frise carrément l'hérésie.
Se pourrait-il que les homosexuels tombent, eux aussi, amoureux ? Leur existence aux marges de la bonne société n'impose-t-elle pas qu'ils se contentent de vivre comme des lapins, de tirer un coup (ou plusieurs, pour être exact) avec une liberté qui fait saliver les mâles hétéros ?
L'homosexuel, c'est celui qui baise d'autre mecs. Point. C'est une déviance sexuelle qu'il faut accepter bon gré mal gré, puisque c'est dans l'air du temps, toussa, toussa. Mais qu'on ne vienne pas nous parler de sentiments, de mariage, de fonder une famille.
Horresco referens.
Si on continue sur cette voie, on finirait par croire que les homos sont des gens comme vous et moi. *clutching pearls*
Ce type de raisonnement est la raison pour laquelle le Boys' Love (BL) thaïlandais est souvent perçu de manière positive dans les milieux progressistes : il banalise une image qui choque encore beaucoup de monde, en Thaïlande comme ailleurs, celle de two boys kissing.
Evidemment, si les milieux conservateurs critiquent le BL, affirmant qu'il s'agit d'un art dégénéré (on est fasciste ou on l'est pas) qui peut détruire la société tout entière si on n'y prend garde, la rainbow mafia n'est pas en reste.
Nous autres, LGBTQI+, ne sommes pas entièrement à l'aise avec le BL non plus.
Une gêne technique à l'égard du BL
Je regarde les séries BL thaïlandaises avec avidité, heureux de découvrir des histoires d'amour entre mecs. À mes yeux, il n'y en a jamais assez.
Ayant vécu dans un désert hétérosexuel pendant des decennies, le gay est avide de représentation sur le petit écran.
Mais les couples gay dans les BL sont étrangement hétéros.
Sous l'influence du Yaoi japonais, le BL thaï met toujours en scène un seme et un uke, pour parler japonais (ou un erastes et un eromenos, si on veut se la péter grave en citant du grec ancien).
Tu ne connais peut-être pas ces termes, mais si tu as déjà lu du yaoi ou vu une série BL, tu sais instinctivement de quoi je parle : le seme, c'est le mec.
Il est plus grand, plus fort, plus protecteur. Dans les séries coréennes, on l'appelle hyung (en contexte gay), oppa (en contexte hétéro) ou sunbae (en contexte professionnel) - il fait office de "grand frère", car il est souvent plus âgé. Dans les séries thaï, on l'appelle Phi (prononcé comme la lettre p en anglais).
Son visage affiche peu d'émotions, car c'est bien connu, le mec, le vrai, n'en ressent aucune. (Il n'a pas le droit : les émotions, c'est pour les filles, remember ?)
Il pourrait tout aussi bien coucher avec des femmes. D'ailleurs, c'est souvent le cas, mais, comme il n'a pas mis son GPS à jour avant d'entrer dans le monde du BL, il se perd en chemin et tombe amoureux d'un autre homme.
Cet hétéro aventureux donne, insère, pénètre... Bref, c'est un top, un actif. Dans les scènes d'amour, tu le verras toujours au dessus de son partenaire, parce que c'est bien connu : l'être humain ne connait que la position du missionnaire.
Dans le BL, on aime bien le faire à la papa, même quand on passe par la porte de derrière...
Le partenaire, c'est le uke, le passif craintif et chétif, au physique et aux manières féminines. Il a une connexion directe avec ses émotions, c'est certainement la raison pour laquelle il pleure si souvent. Il est shy, rougit à la moindre occasion... Si c'est une grande gueule en public, le voilà atteint d'un mutisme pathologique quand le seme vient planter son visage à deux centimètres du sien (le top agressif ne garde jamais ses distances).
En thaï, on l'appelle nong, car il fait office de "petit frère", à qui on va apprendre la vie (et le reste).
Sous la couette, c'est un bottom, évidemment : comme pour les femmes, il doit naviguer ce territoire miné où il faut être à la fois prude et bombasse. En gros, une chaudasse respectable qu'on peut présenter à maman sans rougir. Par conséquent, le uke en est réduit à minauder. On doit le "forcer", même quand il en a envie.
On l'aura compris, la notion de consentement est à géométrie variable, mais tout va bien, car dans le monde merveilleux du BL, c'est de l'amour, du vrai... Qu'importe si on force un peu le passif (= euphémisme pour viol) puisque les deux personnages vont s'aimer et finir ensemble.
J'exagère à peine. Certaines séries sont tout bonnement toxiques.
Notons aussi que les noms des couples suivent un ordre établi : vient d'abord le Top, puis ensuite le Bottom. C'est ainsi que dans la série à succès KinnPorsche, tu n'as pas besoin de regarder les épisodes pour savoir que Kinn est l'actif et Porsche le passif.
Cette règle s'applique également aux ships célèbres de l'industrie thaï (= deux acteurs qui travaillent toujours ensemble) : Off/Gun, Max/Tul, Santa/Earth, etc.
Au point que certains acteurs s'en amusent : Boun et Prem sont connus pour se chamailler en public sur le nom à donner à leur duo. Boun/Prem, ça voudrait dire que Prem fait la fille. Prem/Boun, que Boun devient l'uke...
Bref. Si tu es affligé.e, sache que je le suis aussi.
Même les séries les plus abouties, comme Love in the Air (où la relation entre P'Payu et Rain est incroyablement saine, malgré un premier épisode qui aurait pu faire croire le contraire), les scénaristes n'arrivent pas à se détacher du schéma Seme/Uke ou Top/Bottom : soit le personnage fait l'homme, soit il fait la femme. Faudrait pas qu’il vienne nous faire des noeuds au cerveau en étant les deux !
Sa psychologie et son comportement sont déterminés en fonction de qui fait quoi durant l'acte sodomique.
Le BL nage donc en pleine hétéronormativé.
Si on considère que la spectatrice, la Y-Girl comme on dit en Thaïlande1, doit s'identifier à l'uke, on pourrait même aller jusqu'à affirmer que le BL est anti-féministe.
Celui qui fait le gay
Mon regard est évidemment celui d'un trentenaire occidental, ouvertement gay. Je juge des productions appartenant à une autre sphère cul-turelle, avec des critères qui sont ceux de l’Occident. Je ne connais pas le milieu gay de Bangkok ou de Chiang Mai ; j'ignore les aspirations de la communauté LGBT du pays, l'image qu'ils ont d'eux-mêmes, les modèles qu'ils ont choisis pour se construire une identité.
Si les thaïs veulent produire du BL en suivant scrupuleusement les clichés hérités du yaoi japonais, c'est leur liberté ; ils font ce qu'ils veulent.
Toutefois, je peine à croire que le BL reflète réellement l'expérience sur le terrain. Evidemment, il y en aura toujours pour croire que si on aime se faire pénétrer, il faut faire siens les traits psychologiques que les sociétés patriarcales imposent aux femmes. Il y en aura certainement beaucoup plus qui, honteux d'être attirés par les hommes, refusent qu'on s'approche de leur petit derrière et se décrivent fièrement comme straight-acting.
Mais vouloir imposer des schémas hétéronormatifs dans le BL, et par extension dans les relations gays, c'est perpétuer l'ordre établi. C'est renforcer l'idée que celui qui est pénétré doit aussi se coltiner le ménage, être protégé, voire entretenu. C'est continuer à exalter la masculinité toxique... et la pensée binaire2.
Mais tu veux savoir ce qui m’exaspère le plus ? Le BL nie ce qui est à la base de l'identité gay, ce qui nous apporte autant de joie que de tristesse : la liberté et le devoir de tracer notre propre chemin, loin des attentes imposées par la société.
Dans le BL, comme dans la vraie vie, on devrait pouvoir être à la tête de la mafia et adorer se faire prendre par derrière ; on devrait pouvoir être le CEO d'un conglomérat et être ému aux larmes par les paroles de son amant.
Si Porsche pouvait prendre l'ascendant sous les draps, je suis sûr que le monde de Kinn s'en trouverait élargi. Et pas seulement son monde…
So long!
Enzo
📚 Le Démon Blanc
Le démon blanc de Fleur-Éclose est une romance gay slow-burn (trèèèèès slow-burn), en plusieurs épisodes, d'inspiration sino-romaine. Il s’agit de ma réponse à The Untamed.
Tu suis les aventures de Lao, un esclave-démon, et de Kaecilius, le neveu de l’Empereur. Le premier veut recouvrer sa liberté, le second doit retrouver sa future épouse. Les deux ne se supportent pas, mais on sait tous comment ça va finir.
La publication hebdomadaire continue. Le chapitre 7 de l’épisode 2 a été publié la semaine dernière.
Comme promis, je ne vais absolument rien spoiler (mais sache que ça me démange).
L’épisode 1 est toujours disponible sur ces deux plateformes (Wattpad | Plume d’Argent).
La Y-Girl est l’avatar de la fameuse rotten girl japonaise, la fujoshi. Elle est le public cible du BL. Si tu croyais que le BL était fait pour la communauté gay, revoie ta copie immédiatement !
Mais où sont donc les versatiles dans le BL, ceux qui aiment vivre pleinement leur sexualité et profiter de tous les plaisirs que notre corps a à offrir ?!