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Hello !
Cette semaine, c'est juré, je fais (plus) court.
Je ne sais pas si c'est le cas chez toi, mais l'automne est déjà arrivé à Sheffield. Il faut dire qu'à cette latitude, l'été est un gringalet, facilement intimidable, qui ne fait pas le poids. K-O en moins de deux.
Ça fait quatre ans que je vis dans la région. Cette année, il semblerait que l'automne ait pris pitié de la situation dans laquelle le Brexitland se trouve (cost of living super-crisis, nouvelle première ministre, nouveau roi, toussa, toussa) : les températures se maintiennent autour des 20 degrés. Nous n’avons pas eu à allumer le chauffage. Une victoire de canard !
J'écris ces lignes dans la grisaille, ce gris si caractéristique qu'il mérite le nom de "Sheffield grey". Déjà, mon corps se rappelle qu'il va falloir hiberner, qu'il ne faut pas gaspiller son énergie...
Du coup, interdiction de blablater, logorrhée proscrite
, cette newsletter va aller droit au but.Cette semaine, plutôt que de me plaindre, j'ai décidé de te parler de mes écrivains préférés. En gros, je vais passer cette newsletter à me la péter.
Quand je ne pleurniche pas, je me la pète. Si tu ne l'avais pas encore deviné : je suis une véritable perle.
De quoi parle-t-on quand on parle de nos écrivains favoris ?
Parler de ses écrivains préférés n'est pas un acte innocent. C'est dire au monde : voilà qui je veux être à tes yeux, voilà l’opinion que tu dois te faire de moi.
C'est aussi un marqueur social : le président de la République s'extasie rarement en public au sujet de Barbara Cartland. Va comprendre…
Jupiter préfère mettre en avant Les nourritures terrestres d'André Gide et Le Rouge et le Noir de Stendhal, sans oublier les mémoires du Général De Gaulle (car on est centriste ou on l'est pas...).
Du coup, quel image Enzo Daumier souhaite-t-il donner de lui ? (oui, il parle à la 3e personne, non pas parce qu'il est snob, mais parce qu'il regarde trop de séries BL thaï où tout le monde parle de soi à la 3e personne.)
Si je souhaitais montrer que j'ai de la culture, je dirais
que j'aime énormément Marcel Proust, que je le relis tous les étés (à y être...). Proust, c'est adapté pour un auteur de littérature gay, n'est-ce pas ? Ça fait très queer, et surtout très lettré.Gide aussi, d'ailleurs, serait un très bon choix. On ne peut pas faire plus gay qu’André Gide, right ? (On voit ce que tu as fait ici, Macron, très subtil, wink, wink.)
Tu me diras, on pourrait aussi affirmer qu'on aime Cocteau... (mais là, c'est déjà se poser comme le gars qui a suivi l'option théâtre - ou ciné - au lycée, voire, horresco referens, l'option arts plastiques. No, thank you).
J'ai étudié les lettres classiques à la fac. Je n'en ai pas honte. Je suis un geek, je suis un nerd, un intello à lunettes (ouvre un vieux Gaffiot et tu comprendras pourquoi les lunettes).
#NoShame.
Des auteurs antiques seraient-ils mieux indiqués pour peupler mon Top 3 ?
Let me think about it.
Déjà, pour commencer, on doit faire une croix sur Ovide, car c'est un hétéro de première. Quel auteur gay peut-il clamer avec sérieux qu'il est fan d'Ovide, le coureur de jupons ? Exit donc Ovide. (C'est dommage, car il est cool.)
Si je veux cultiver une image sulfureuse, je pourrais choisir Catulle ("Pēdīcābo ego vōs et irrumābō", google-le si tu n'en as jamais entendu parler, c'est croustillant), mais peu de gens le connaissent. Du coup, quel intérêt de se vanter si personne ne comprend qu'on se vante ?!
Au final, je pourrais choisir Pétrone (et son Satyricon) pour l'image sulfureuse et fun
, et Virgile pour le côté pilier de la littérature mondiale, etc. etc..Note que si tu es hétéro, ton choix se portera davantage sur Homère, plutôt que Virgile, et ce, en dépit de la tendresse assez évidente entre Patrocle et Achille.
Virgile, my dear reader, is very gay
.Mais brisons-là, car je m'égare.
Redevenons sérieux un minute. Mon choix n’est en rien motivé par l’image que je souhaite donner de moi. C’était peut-être le cas lorsque j’avais vingt ans, ça ne l’est plus depuis belle lurette.
Mes critères de sélection sont simples : je me fiche de savoir si les auteurices en question sont prestigieux.ses ou ne le sont pas, si iels sont plutôt situé.es côté culture populaire ou côté culture intellectuelle. Je me fiche pareillement de la rénommée des éditeurs qui les publient.
Ce qui m'importe, c'est que je reviens à leurs oeuvres régulièrement
Without further ado, lançons-nous.
Première place : Ursula K. Le Guin (1929-2018)
Si tu me suis sur les réseaux sociaux, cela ne te surprendra pas. Elle est, non seulement, la grand dame des lettres américaines, mais aussi une des meilleures autrices de SFFF de la seconde moitié du XXe siècle et du début du XXIe.
Connue en France pour sa SF, Ursula Le Guin est bien plus que ça : c'est une poétesse, une essayiste, une critique littéraire, une traductrice, une romancière jeunesse, etc. Elle représente, à mes yeux, l'autrice par excellence : sa vie est faite de mots. Elle ne se laisse pas enfermée dans un seul genre. Sa plume ne connaît aucune limite.
Je l'ai découverte quand j'avais quinze ans (avec Terremer, évidemment), mais il a fallu attendre dix-douze ans avant que je ne revienne à son oeuvre et ne mesure pleinement l'étendue de cette dernière et son importance.
Si tu n'aimes pas la SFFF, lis donc ses essais (sur le féminisme, l'engagement politique, le droit à l'imagination, etc.). Ces huit dernières années, Le Guin a été ma maîtresse à penser.
Pour te donner une idée de ce que tu trouveras dans ses essais, écoute plutôt ce discours (daté de 2014, je t’offre ici l’occasion de pratiquer ton anglais) :
Avec elle, j'ai appris qu'on pouvait écrire avec sérieux et ambition dans un genre dont le but affiché a été, durant longtemps, le divertissement le plus absolu. Qu'offrir une profondeur intellectuelle à ses récits ne voulait pas dire qu'on devait être sec et sacrifier à l'émotion. Elle m'a montré qu’en Fantasy, la quête du héros n'était pas le seul modèle possible, que l'imaginaire n'avait pas besoin d'être épique, guerrier, violent, et que la noblesse pouvait aussi se trouver dans les travaux domestiques.
Elle m’a appris que toute littérature est politique et que prétendre le contraire revient à soutenir la pensée dominante et le statu quo.
Elle m'a sensibilisé au fait que les autrices talentueuses, après leur mort, sont effacées du canon littéraire au point qu'on finit par croire qu'il n'y a que des hommes qui ont écrit
.À l'heure où il devient de plus en plus difficile de supporter les interventions nauséabondes de J.K. Rowling, il est peut-être temps que nous redécouvrions celle qui a été la première à imaginer une école de sorciers.
Bref, si tu souhaites découvrir son oeuvre, ou l'explorer davantage, n'hésite pas à m'écrire, je te conseillerai avec plaisir !
Deuxième place : Marguerite Yourcenar (1903-1987)
On l'aime ou on la déteste.
Son éducation aristocratique, digne du XIXe siècle, la rend parfois imbuvable. Si tu as l'impression qu'elle te prend de haut, c'est certainement le cas ! Son érudition intimide. Elle est une véritable control-freak et le fait qu'elle ait essayé de nier le profond attachement qui la liait à Grace Frick, sa compagne et traductrice durant de nombreuses décennies, ne la rend décidément pas sympathique.
Ne mentionnons même pas une certaine misogynie à l'occasion, caractéristique des lesbiennes de la première moitié du XXe siècle (mais aussi très présente chez les homosexuels de la même époque).
Mais Yourcenar, c'est aussi une intellectuelle de premier ordre, éloignée du milieu germano-pratin prout-prout
, par choix (elle passe la majeure partie de sa vie aux Etats-Unis ou à voyager à travers le monde). Son entrée à l'Académie Française, qui lui garantit d’être mentionnée régulièrement depuis plus de quarante ans, semble être une erreur de parcours plutôt qu'une véritable volonté de sa part d'y siéger.Son engagement pour la cause animale et l'environnement font d'elle une pionnière.
Elle est fascinée par l'Antiquité, la Renaissance, l'Orient (proche comme lointain). Trois zones géographico-temporelles qui m'intéressent pareillement.
Elle semble avoir tout lu et ne se limite pas aux textes de la littérature française. J'aime cet esprit curieux, exigeant, son désir sincère de comprendre la nature humaine et ses expériences. Pour cela, elle n'hésite pas à aller se frotter aux textes fondateurs des autres civilisations, et à se rendre sur place.
Elle aussi a écrit dans plusieurs genres (fiction historique, non-fiction, théâtre, poésie, traductions). Le Guin m'est bien plus sympathique, mais j'aime retourner à Yourcenar pour son côté marbre froid. J'aime son style, un peu guindé, mais qui ne manque jamais de grâce.
Et en troisième place ?
J’ai promis de faire court. Du coup, je laisse planer le mystère jusqu’à la prochaine newsletter
.En vérité, je n’ai pas encore réussi à déterminer qui occupe la troisième place. Si Le Guin et Yourcenar se sont imposées d’elles-mêmes (tu auras compris que je préfère m’entourer de femmes - what a shocker !), j’ai quelques doutes sur l’identité de celui que je devrais placer ensuite dans mon Panthéon littéraire.
Je sais qu’il s’agit d’un homme, et j’ai même réussi à réduire la liste.
Le Démon Blanc (encore lui !) : où le lire ?
Le démon blanc de Fleur-Éclose est une romance gay slow-burn (trèèèèès slow-burn), en plusieurs épisodes, d'inspiration sino-romaine. Il s’agit de ma réponse à The Untamed.
Tu suis les aventures de Lao, un esclave-démon, et de Kaecilius, le neveu de l’Empereur. Le premier veut recouvrer sa liberté, le second doit retrouver sa future épouse. Les deux ne se supportent pas, mais on sait tous comment ça va finir.
Ça y est : la publication du premier jet de l’épisode 2 a commencé.
Tu peux déjà retrouver le prologue et le premier chapitre ici :
Comme le rythme de publication est hebdomadaire, la suite arrivera très vite. Elle pourrait même être déjà là. Check it out !
Si tu n’as pas encore lu l’épisode 1, pas de panique, il est disponible ici sur Plume d’Argent. Je vais tâcher de ne rien spoiler, en attendant.
Les aficionados de Wattpad ayant réclamé que je revienne sur l’evil platform, je m’exécute :
See you soon for an even shorter newsletter (je m’y applique, promis !),
Enzo
Pour y arriver, je viens de prendre un imodium.
Avec mon accent parisien le plus pointu. (Et une trace d’accent du Sud(-Ouest), car on ne peut jamais effacer ses fières origines méridionales).
Disclaimer : je ne lis pas Proust.
Si tu es curieux.se, lis Pétrone. Ça parle de q et de grosses **toussote** du début jusqu’à la fin. What’s not to like?
Pour être honnête, seul un poète homo peut inventer THE personnage féminin tragique par excellence (a.k.a Didon). Les drama queens, ça nous connaît.
Cette régularité ne veut pas dire que je les (re)lis plusieurs fois par an pour autant.
À ce sujet, l'avenir nous dira si Philip K. Dick, son exact contemporain, lui sera préféré au final. Je crois qu'en France, c'est certainement le cas...
= Saint-Germain-des-Prés et compagnie. (Elle était évidemment en contact avec ce milieu, d’autant plus qu’elle est éditée chez Gallimard…)
Si tu t’es écrié.e : “Scandale ! Voilà qu’Enzo fait de nouveau son Daumier ! On ne peut pas lui faire confiance. Il est pareil à Boris Johnson, très doué pour les effets d’annonce, mais incapable de tenir parole.”, je vois que tu commences à me connaître.