Lexique irrĂ©vĂ©rencieux de lâhomoromance
OĂč Enzo a fait pousser la moustache et se fait passer pour Robert
Avant de tâembarquer pour un voyage extraordinaire dans le milieu de lâhomoromance (dâailleurs, jâattends toujours de savoir ce dont tu veux que je te parle !), je tiens Ă mâassurer que tu disposes du vocabulaire nĂ©cessaire pour survivre Ă ce pĂ©riple.
Jâai compilĂ© une liste de mots et dâexpressions que lâon entend souvent sur les rĂ©seaux sociaux. Lâexactitude des dĂ©finitions est loin dâĂȘtre garantie. On mâappelle Enzo, pas RobertâŠ
So long!
PâEnzo
Antifan
De lâamour Ă la haine, il nây a quâun pas que lâantifan a vite franchi. HĂ©ros de nos temps troublĂ©s, lâanti (de son petit nom) rĂ©introduit un peu de bon sens dans les pratiques dĂ©lirantes de ses congĂ©nĂšres fans. Il est ce que le ying est au yang, le blanc au noir ou Kylie Minogue Ă la jeunesse.
Il incarne aussi un principe identifiĂ© au milieu des annĂ©es 2010 par lâanthropologue Taylor Swift dans son essai sĂ©minal Shake it off : «âAnd the haters gonna hate, hate, hate, hate, hate.â»
Ce petit lexique nâa pas Ă©tĂ© rĂ©digĂ© par un antifan contrairement Ă ce que lâon pourrait croire.
Bias
Terme anglais issu du vocabulaire de la fan culture et de la k-pop signifiant le membre prĂ©fĂ©rĂ© dâun groupe.
Nul doute que cette expression, difficilement prononçable en français, pourrait sâappliquer au casting des sĂ©ries BL⊠et en particulier, Ă la sĂ©rie Only Friends (en cours de diffusion).
Ă la question, «âquel est ton biasâ?â», aucune rĂ©ponse de biais nâest acceptĂ©e. Sans la moindre hĂ©sitation, il te faudra rĂ©pondre : Mark Pakin Kunaanuwit dans le rĂŽle de Nick.
Autres réponses acceptables : First Kanaphan Puitrakul dans le rÎle de Sand ou Khaotung Thanawat Ratanakitpaisan dans le rÎle de Ray.
(La seule hĂ©sitation acceptable, câest quand tu prononces ces noms, Ă©videmment.)
BL (Boysâ Love)
Un ensemble de crĂ©ations artistiques ayant pour questionnement principal : «âcâest qui qui fait la meufâ?â»
Enfant illĂ©gitime du capitalisme et de lâhĂ©tĂ©ronorme, le BL est Ă©crit par des femmes pour des femmes. Ă lâoccasion antifĂ©ministe, il perpĂ©tue de nombreux clichĂ©s sur la vie sexuelle et amoureuse de ces «âhommes qui le font avec dâautres hommesâ».
Le succĂšs de ce genre ne cesse dâĂ©tonner.
Les pĂ©dants sâaffolent du fait que lâorthographe de cette expression anglaise ne semble pas avoir Ă©tĂ© fixĂ©e : boysâ loveâ? boyâs loveâ?
Les pĂ©dĂ©s, quant Ă eux, ne se souciant pas de la place de lâapostrophe, ne sâintĂ©ressent quâĂ la nuditĂ© des acteurs (pour les sĂ©ries) et la taille des pĂ©nis (pour les mangas). Il est prĂ©fĂ©rable de rĂ©gler ce problĂšme en abrĂ©geant boyâs love/boysâlove en BL.
Danmei (èœçŸ)
Câest lâĂ©quivalent chinois du yaoi japonais, du BL international, du Y thaĂŻlandais ou du MM amĂ©ricain. LĂ encore, par des femmes pour des femmes. Les personnages sont principalement habillĂ©s de robes blanches flottantes, leur visage a une beautĂ© troublante et ils aiment la discrĂ©tion la plus absolue (câest pourquoi ils passent tous par la porte de derriĂšre).
Le danmei est une importation japonaise. On date sa pénétration dans le marché chinois au début des années 1990. Le succÚs (et le plaisir) est immédiat⊠mais il faut attendre la fin des années 2010 pour que ces histoires soient adaptées pour le petit écran, souvent censurées comme il se doit.
Si vous ne devez retenir quâun seul danmei, câest Ă©videmment The Untamed (éæ 什), adaptĂ© du roman de fantasy (xianxia) Mo Dao Zu Shi (Le Grand Maitre de la Cultivation DĂ©moniaque) de Mo Xiang Tong Xiu.
Dans ce cas prĂ©cis, ton bias, câest Ă©videmment le beau Xiao Zhan (èæ) qui joue le rĂŽle de lâespiĂšgle Wei Wuxian. Tu as le droit dâĂȘtre lâantifan de son partenaire Ă lâĂ©cran, Wang Yibo (çäžć), qui a le mĂȘme charisme quâune huitre (je sais, je suis injuste, les huitres sont plus expressives).
Fan service
Itâs not real, people.
Fudanshi (è ç·ć)
Aussi improbable que cela soit, câest lâĂ©quivalent masculin de la fujoshi. Improbable, dis-je, car les hommes sont des ĂȘtres purs qui ne sauraient lire ces histoires vicieuses dâamour entre hommes. Surtout si ces hommes-lĂ sont hĂ©tĂ©ros, car les hommes qui lisent du BL ne sont pas tous homosexuels, me dit-on (on sait comment ça va finir, hein).
Fujoshi (è ć„łć)
SurnommĂ©e la «âfille pourrieâ», lâamatrice de BL est assez mal considĂ©rĂ©e par la sociĂ©tĂ©. Peut-ĂȘtre parce quâelle est responsable dâun crime contre lâhumanitĂ©Â : la fĂ©tichisation des gays (et des bis).
Que nos sociĂ©tĂ©s patriarcales aient pu Ă©hontĂ©ment fĂ©tichiser le corps des femmes pendant des siĂšcles ne justifiera jamais que les femmes puissent faire de mĂȘme avec les hommes, nâest-ce pasâ?
Le mot, dâorigine japonaise, sâest rĂ©pandu dans toute lâAsie. Il est fort possible que le sens ait aussi Ă©voluĂ©Â : «âfoutez-nous la paix, les mecsâ» semble ĂȘtre sa dĂ©finition actuelle.
GL (Girlsâ Love)
La parente pauvre de lâhomoromance.
Si les femmes hĂ©tĂ©ros aiment voir des hommes sâintĂ©resser aux portes de derriĂšre et exprimer leur fĂ©minitĂ© dans des rĂŽles-clichĂ©s bien prĂ©cis, elles ne semblent pas aussi chaudes quand il sâagit dâhistoires dâamour entre femmes. Maybe it is too close to home? Who knows.
Si le BL est fait par des femmes pour des femmes, nâallez pas croire que le GL est fait par des hommes pour des hommes (non, ça, ça sâappelle lâArt et vous en trouverez partout dans les musĂ©es).
Le GL sâintĂ©resse Ă cette question, que finalement peu de gens se posent : «âmais câest qui qui fait lâhommeâ?â».
Lâautre interrogation, promue par les communautĂ©s du yoga, du bricolage et de la papeterie, est la suivante : «âle ciseau, câest pour de vraiâ?â».
GMM TV
Si la CorĂ©e du Sud a sa vague (hallyu), la ThaĂŻlande a son vent (Thai Wind ou T-Wind)⊠et le moteur principal de ce vent, câest GMMTV, qui produit depuis quelques annĂ©es un nombre impressionnant de BL pour la tĂ©lĂ©vision. Pour nâen citer que quelques-uns : Only Friends, Only Friends, Only Friends.
HEA & HFN
AbrĂ©viations anglaises employĂ©es par commoditĂ©. LâĂ©quivalent français est, pour HEA, EIVHEEBDE (Et ils vĂ©curent heureux et eurent beaucoup dâenfants) et, pour HFN, CMDBPFSQCFB (Cinq minutes de bonheur pour faire style que ça finit bien)⊠On sait quelles abrĂ©viations lâAcadĂ©mie Française nous forcera Ă utiliser.
Happy Ever After, câest la promesse que le couple restera ensemble pour toujours et sâappliquera Ă procrĂ©er jusquâĂ la fin (que personne ne leur dise que ça ne fonctionnera pas, sâil vous plait â tant dâenthousiasme Ă sâenvoyer en lâair mĂ©rite notre silence le plus respectueux).
Happy For Now, câest une fin lĂ©gĂšrement plus rĂ©aliste oĂč lâon conçoit que le bonheur Ă©ternel nâexiste pas et quâil faut donc arrĂȘter de dĂ©conner. ĂpuisĂ©s par toutes les Ă©preuves quâils ont dĂ» traverser, les deux hommes se posent un peu pour souffler deux secondes : câest ça, la fin heureuse. En rĂ©alitĂ©, on se fiche des protagonistes, seules les lectrices et leur satisfaction Ă©goĂŻste importent ici.
Un petit rappel pour les ignorant·es : lâhomoromance finit toujours bien. Quand ça finit mal, ce nâest pas de lâhomoromance, câest de la littĂ©rature LGBTQ+.
MM
Alternative : MLM (pour men loving men)
Nom donnĂ© Ă lâhomoromance dans les pays anglophones et, par extension, les pays francophones. Terme en concurrence avec le mot BL.
Une preuve supplĂ©mentaire que les wokes ne seront pas satisfaits avant dâavoir utilisĂ© toutes les lettres de lâalphabet.
Sasaeng (ìŹìíŹ)
Un peu de corĂ©en ne nous fera pas de mal (si, si, je tâassure).
Ce qui est certain, câest que la fan sasaeng ne manque pas dâenthousiasme⊠Son respect pour la vie privĂ©e des stars quâelle idolĂątre peut ĂȘtre discutable, mais qui sommes-nous pour juger de ces extrĂ©mistes qui se battent au quotidien pour que «âfanâ» retrouve son sens dâorigine, Ă savoir une variation abrĂ©gĂ©e de «âfanatiqueâ»â?
Les sasaeng habitent aussi la communautĂ© du BL. Elles semblent confondre fan service et rĂ©alité⊠et sâoffusquent que ces acteurs qui jouent dans des BL/GL puissent avoir des relations amoureuses avec des membres du sexe opposĂ© (I know, outrageous).
Les sasaeng sont donc des puristes du fantasme, et, Ă ce titre, mĂ©ritent tout notre respect. Il nâest pas facile dâĂȘtre Ă ce point dĂ©connectĂ© de la rĂ©alitĂ©. Chapeau bas.
(Et si vous souhaitez savoir pourquoi je genre cette dĂ©finition entiĂšrement au fĂ©minin, câest parce que je pratique la misogynie, suivant en cela les dictats de notre sociĂ©tĂ© patriarcale. Youâre welcome.)
Seme/Uke
Que celleux qui doutent que le BL soit lâincarnation parfaite de lâhĂ©tĂ©ronormativitĂ© dĂ©guisĂ©e nâaillent pas plus loin.
La majoritĂ© de la production suit un schĂ©ma tellement dĂ©connectĂ© de la rĂ©alitĂ© quâon ne saurait lâapprĂ©cier ailleurs que dans les romances.
Dans le BL, il faut toujours quâil y ait un seme (le top, le dominateur, lâinserteur de pĂ©nis, bref, lâhomme, le vrai) et un uke (celui qui fait la femme et qui se tape tous les clichĂ©s quâon peut avoir dans notre sociĂ©tĂ© patriarcale : il est chĂ©tif, craintif, aime faire le mĂ©nage et pleure, car tu comprends, il a des Ă©motions, lui).
La diffĂ©rence est tout autant physique que psychologique : on nâa jamais vu un petit seme gringalet dans un BL. Ce qui veut dire que tu nâas pas besoin de rĂ©flĂ©chir quand tu regardes un BL : si le gars fait une tĂȘte de plus, câest lui qui va frapper Ă la porte de derriĂšre de son partenaire. Ce dernier, immanquablement et invariablement (jâinsiste), jouera le rĂŽle de la vierge effarouchĂ©e ou de la bombasse respectable.
Le consentement entre le seme et lâuke est Ă gĂ©omĂ©trie variable, mais, osef, car ils sâaiment.
Ship
Oui, je sais, ce serait presque une insulte que dâintroduire ce mot⊠car tout le monde sait que ship, câest le bateau.
Celui ou celle qui met deux acteurs (ou deux personnages) dans le mĂȘme bateau, câest le shippeur ou la shippeuse.
Le ship est fictif (comme le fan service dâailleurs, on ne le rĂ©pĂštera jamais assez) : si les deux acteurs sont rĂ©ellement ensemble, ce nâest pas un ship, câest la rĂ©alitĂ©âŠ
Ăvidemment, le problĂšme, câest quâon ne sait pas qui est avec qui et qui ne lâest pas, qui est gay et qui est hĂ©tĂ©ro. Bref, le BL, câest souvent le bordel. VoilĂ pourquoi il ne faut pas sâĂ©tonner si les sasaeng perdent le sens de la rĂ©alitĂ©.
Stan (verbe)
Moi, je ne stan personne. Si tu stan, câest que tu es un·e sasaeng. Câest mal.
Câest dâautant plus mal que tu ne conjugues pas le verbe en français et que tu devrais avoir honte.
Stan, en anglais, dĂ©signe le comportement excessif dâun·e fan⊠Le capitalisme aime quand les fans stan, parce quâils dĂ©pensent sans retenue et achĂštent les objets les plus dĂ©biles qui soient (lightsticks, anyone?).
Vivement que lâAcadĂ©mie Française propose un Ă©quivalent français convenable Ă ce verbe de lâexcĂšs, car si je lis encore «âqui câest que tu stanâ?â» sur Twitter, je risque de me transformer en antifan.
Yaoi (ăăă)
Le mot que personne ne sait prononcer, Ă part les Japonais·es peut-ĂȘtre.
YaoĂŻ-oĂŻ-oĂŻâ? ou Ya-oh-hiiiiiâ? Le mystĂšre demeure entier. Et notre fiertĂ© toute gauloise nous empĂȘche de demander au Japon comment prononcer ce terme importĂ©.
Mais ne nous plaignons pas, nous aurions pu hĂ©riter de boizu rabu (ăăŒă€ăș ă©ă) comme terme, et nous nâaurions pas rigolĂ©.
Le yaoi est apparu dans les annĂ©es 1970 et a, depuis, conquis le monde entier. Câest Ă lui que lâon doit tous les clichĂ©s les plus exaspĂ©rants du BL, dont on parvient Ă peine Ă se dĂ©barrasser cinquante ans plus tard. Il existe de nombreux sous-genres que nous explorerons certainement dans une newsletter Ă venir.
Seule la production japonaise mĂ©rite dâĂȘtre qualifiĂ©e de yaoi.
Je sais, ça fait un peu puriste, mais si on nâindique pas clairement les limites Ă ne pas franchir, les gays finiront par ĂȘtre eux-mĂȘmes qualifiĂ©s de yaoi.
Et le jour oĂč ça arrivera, tous les versatiles (ceux qui ne veulent ĂȘtre ni le seme ni lâuke, ceux qui aiment donner autant que recevoir, ceux qui aiment ĂȘtre au-dessus comme au-dessous), seront dans la m**** (I mean, more than usual).
Ai-je oublié des mots ?
Au nom de la science, fais-moi le savoir !