L'éternel féminin

Où Enzo change de genre

Une nouvelle année débute. Artificiellement, nous lançons un nouveau cycle. Hiver, printemps, été, automne, hiver. 2024 sera vite là, tu verras.
J'aurais presque envie de rester dans mon lit et attendre patiemment l'arrivée de la suivante.

Mais comme chaque année semble avoir décidé d'être pire que la précédente, il n'est peut-être pas sage de tourner le dos à 2023 si vite. Qui sait, les Chinoises pourraient avoir envie d'envahir Taiwan, Harry d'attaquer la famille royale et les tabloïds anglais, le Royaume-Désuni d'avoir une nouvelle première ministre... Wait a minute. 2023 seems oddly familiar.

Non, il vaut mieux faire face à cette nouvelle année, la tête haute, et décider de lutter contre le misérabilisme ambiant qu'elle nous promet.

De mon côté, je suis prêt : j'ai fait le plein de thés, de stylo-plumes et d'encres

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Et, pendant quelques mois (de janvier à mars minimum), je vais tenir un "journal ouvert", un journal public, dont tu peux déjà lire le contenu. C'est mon projet d'écriture du moment, si tu préfères, mais chut, je me suis promis de ne pas avoir de projets d'écriture en ce début d'année, donc ce n'est pas un projet d'écriture, c'est autre chose.

Cet autre chose, comme cette newsletter d'ailleurs, emploie le féminin générique. Chez moi, 2023 sera résolument féminine.

Ne plus voir le monde au masculin (seulement)

En français, il existe une rumeur selon laquelle "le masculin l'emporte sur le féminin" - nous l'avons toutes entendue, même s'il semblerait qu'aucune grammairienne n'ait exprimé cette règle de cette manière.

Quoiqu'il en soit, nous avons appris que dès qu'il y a un gars dans un groupe de filles, on dit "ils". Peu importe si le groupe est composé d'un million de femmes et un seul abruti ; dès qu'on devine l'ombre d'un zizi, on change automatiquement de pronom. Quand nous étions petites, nous avons certainement trouvé cette règle un peu bizarre et injuste, puis nous sommes passées à autre chose. Les enfants s'habituent à tout, même à l'arbitraire. Moi, j'étais un petit garçon, donc ce pronom masculin qui englobe tout le monde m'allait très bien. Je n'allais pas en faire un caca nerveux.

Maintenant, je suis un homme qui voit la quarantaine approcher lentement et qui a, ces dernières années, ouvert les yeux sur de nombreuses injustices. J'ai eu aussi l'occasion de mesurer mes privilèges (et oui, même quand on fait partie d'une minorité, on a des privilèges).

Je m'identifie comme étant gay, cosmopolite et féministe mais, comme je suis un produit de la société dans laquelle je vis, je suis homophobe, raciste et misogyne. Heureusement pour moi (et les autres), pas à égale mesure. Accessoirement, j'essaye aussi de me soigner. Petit à petit, je me débarrasse de certaines réactions, pensées et autres scories ; j'essaye de devenir l'image idéalisée que je me fais de moi.

En 2023, je m'attaque au langage. Avec une ferveur aussi intense que celle qui habite le Figaro (mais à l'opposé du spectre), j'ai adopté le féminin générique dans mes écrits de non-fiction. Dès qu'il y a une femme dans un groupe, le pronom "elles" s'impose avec les accords qui vont avec. L'expérience, que j'ai commencée la semaine dernière, m'a déjà donné quelques vertiges.

Je suis d'avis que "le français est à nous"

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. Nous avons le droit de le modifier au besoin pour qu'il soit à notre image. C'est même un devoir.

Si tu trouves scandaleux, ou même bizarre, que je puisse utiliser le féminin générique, demande-toi pourquoi. Qu'est-ce qui dérange au juste ? Que l'on puisse accorder une place de premier choix au genre féminin ?

Si c'est seulement parce que tu n'as pas l'habitude de le voir employé, don't worry, on va s'y habituer toutes les deux.

L'emploi du masculin générique masque la présence des femmes... et ce n'est que lorsque l'on emploie le féminin qu'on mesure à quel point c'est le cas.

Je suis fatigué qu'on puisse minoriser 50% de la population et qu'on trouve cela normal

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En 2023, à mon tout petit niveau, je rééquilibre la balance, et comme cette dernière penche dangereusement côté masculin, je fais usage du féminin à toutes les sauces. Je ne suis pas le seul : d'autres autrices, comme Martin Winckler sur Twitter, ou des sites internet, comme Sinplastico, le font déjà.

Pour changer le monde, il faut bien commencer quelque part. Je suis un écrivain, le langage est mon outil de travail... il est donc tout à fait logique que je commence par là.

Lectrice ouverte d'esprit, rejoins-moi toi aussi, si tu en as envie, surtout si t'es un homme. Promis, le féminin générique n'aura aucun effet sur tes pudenda, mais il pourrait bien te rendre plus sexy.

So long!

Enzo

1. Oui, tout est au pluriel, je dois avoir autant de stylo-plumes dans ma collection que j'ai de doigts, comme ça, pas de jaloux.

2. Pour reprendre le titre du livre de Maria Candea et de Laélia Véron.

3. Je suis aussi fatigué qu'on invisibilise les autrices après leur mort (voire de leur vivant). Mais ce sera un sujet pour plus tard.