Tu peux trouver la version éditée complète de ce journal sur mon site internet.
La version intégrale (fautes et anglicismes inclus) est disponible dans mon jardin numérique, Sylves. La publication s’y fait au jour le jour.
J’applique ici l’orthographe rectifiée (good-bye les petits accents circonflexes !).
Je te souhaite une excellente nouvelle année. Puisse 2024 t’être douce et bienveillante.
So long!
Enzo
Mercredi 03 janvier
Quand je suis malade, je retourne aux films en anglais sur Netflix. Je n’ai pas à lire de sous-titres, comme c’est le cas quand je regarde une série asiatique. Ça repose mes yeux.
Habituellement, je regarde peu de films, préférant le format feuilletonnant des séries. Je suis donc surpris par le nombre d’histoires différentes que je peux découvrir en quelques heures avant d’aller me coucher. Tantôt je suis sur une planète reculée de la galaxie à fomenter une rébellion, tantôt je m’émeus des amours compliquées d’une pop star. Et un peu plus tard, je regarde une énième romance de Noël (les romances de Noël peuvent aussi être appréciées après les fêtes).
La qualité du film importe moins que le sentiment de bienêtre que l’on éprouve. Et quand on est malade, une sensation agréable n’a pas de prix.
Jeudi 04 janvier
Jennifer Lopez est remarquable dans Marry Me (2022). Difficile de croire qu’elle avait plus de cinquante ans au moment du tournage.
Je n’aime pas beaucoup Owen Wilson, mais les deux ensemble fonctionnent très bien. On voit le soin qui a été porté au casting.
La BO est de meilleure qualité que les autres romances que j’ai pu regarder ces derniers jours : On my way, Nobody’s Watching et Love of my life sont mes chansons préférées… Et me connaissant, je vais passer la journée à les écouter.
Vendredi 05 janvier
Dans l’Œuvre au Noir, Marguerite Yourcenar écrit au sujet de Zénon : « La viande, le sang, les entrailles, tout ce qui a palpité et vécu lui répugnaient à cette époque de son existence, car la bête meurt à douleur comme l’homme, et il lui déplaisait de digérer des agonies. » (je souligne)
L’autrice, elle-même, était végétarienne. Cette semaine, cela fait cinq ans pareillement que j’ai fait le choix de ne plus manger ni de viande ni de poisson.
Je suis satisfait de ce choix : au quotidien, il ne me pèse pas. Ça peut devenir frustrant à l’occasion quand je voyage, mais jamais au point de me le faire regretter.
Samedi 06 janvier
Je ne suis qu’un être humain parmi sept-milliards. Mes choix de vie influenceront bien peu la destinée du monde. Je ne me fais pas d’illusions sur l’impact que j’ai à grande échelle.
Ma motivation se trouve donc principalement ailleurs : j’essaye de vivre le plus possible en adéquation avec mes valeurs. Ce n’est pas toujours facile. Ce monde nous rend aisément hypocrites : quand je refuse de manger de la viande pour des raisons éthiques, ces mêmes raisons éthiques semblent se satisfaire que je m’habille avec des vêtements cousus par des enfants de six ans. Nous avons une voiture électrique pour diminuer notre empreinte carbone, mais nous sommes heureux d’aller à l’autre bout du monde afin de profiter de la chaleur hivernale.
Pourquoi modifier notre manière de vivre si tout est voué à l’échec ? Plutôt que de viser la perfection pure, la pureté parfaite, il vaut mieux accepter ces paradoxes et ne pas baisser les bras. Ici, comme dirait Montesquieu, le mieux est le mortel ennemi du bien.
Ainsi, pour celleux qui adorent la viande, devenir végétarien ou végan est une idiotie : il est certainement préférable de manger moins de viande et d’acheter de la meilleure qualité. Moins mais mieux.
D’ailleurs, face à cette abondance qui nous submerge dans tous les domaines de l’existence, « moins mais mieux » semble être un bon principe de vie.
Dimanche 07 janvier
J’en apprends tous les jours. La nouvelle orthographe indique qu’il faut mettre un trait d’union entre tous les éléments d’un nombre.
Ainsi, on écrira « sept-milliards », « deux-cent-mille », « quatre-vingt-millions », « deux-milliards-cinq-cent-millions ». Une fois qu’on s’y est habitué, c’est plus facile à gérer.
Mais comme les règles d’écriture des nombres (vingt, cent, mille, millions, milliards) sont les mêmes que celles de l’orthographe traditionnelle, on ne peut pas dire qu’on a grandement simplifié la chose.
Imagine : tu as peiné à comprendre que tu peux mettre un -s à vingt et à cent seulement quand ils ne sont pas suivis d’autres nombres (« trois-cents invités » mais « trois-cent-cinquante invités »). Tu as sué sang et eau ; maintenant que tu es un·e expert·e de ce s, tu en éprouves une fierté ridicule qui te permet de regarder de haut ton voisin analphabète. Mais l’orthographe française a tôt fait, même dans sa version rectifiée (‘simplifiée’ my ass), de te ramener sur terre : cette règle casse-bonbon ne s’applique pas à l’écriture des dates.
Sache donc qu’on ne met toujours pas de-s à « l’an quatre-cent ».
Lundi 08 janvier
Si seulement je faisais preuve d’autant de régularité dans la publication de ce journal que dans son écriture ! Nous sommes déjà en janvier et je n’ai toujours pas publié les entrées de novembre sur Substack. Je vais préparer tout ceci cette semaine. Peut-être que j’y ajouterai celles de décembre à y être. Une version condensée, plutôt que deux newsletters à quelques jours d’intervalle. Tout dépendra de l’intérêt que je trouve à ces entrées.
Tant pis. Si je ne sais pas où ni quoi couper, j’abuserai de la gentillesse de mes lecteurices avec deux emails, échos de l’année passée. De toute manière, je n’ai rien d’autre à proposer. En septembre, je voulais publier des articles plus réguliers sur le monde exotique du Boys' Love, mais mon inspiration s’est tarie après le Lexique irrévérencieux de l’homoromance. Ou plutôt, ce n’est pas l’inspiration qui a fait défaut, mais la flemme qui a pris le dessus. Et le temps passe si vite qu’on se retrouve déjà en janvier, se souvenant des promesses de la rentrée de septembre comme d’un rêve empli d’amertume.
Je ne sais pas ce qu’il me faudrait pour prendre tout ceci au sérieux (le projet d’un livre de non-fiction sur le BL ?). Sorry, dear reader, ce n’est pas cette année que je battrai des records de constance. Il faudra se contenter des entrées de ce journal.
Mardi 09 janvier
L’intérêt pour la Thaïlande se limite encore au tourisme. Il y a peu de livres sur le pays, son histoire, ses croyances, sa langue, etc. Évidemment, les ouvrages spécialisés existent, mais ceux pour le grand public sont encore rares.
Depuis quelques mois, je cherche des livres sur le folklore et la mythologie thaïlandaise (oh, look, un bel accord de voisinage !), mais la moisson s’avère bien maigre : en matière de mythologies asiatiques, celles de Chine et du Japon remplissent tous les rayonnages.
C’est décevant. D’autant plus que mes recherches se font et en français et en anglais. Je ne trouve rien d’intéressant.
Il va me falloir employer les gros moyens et consulter les catalogues de la bibliothèque universitaire. À moi les lectures arides ! Youpi.
Mercredi 10 janvier
Le nous d’humilité est aussi humble que l’expression « à mon humble avis », souvent employée par les gens les moins humbles que je connaisse.
C’est tout autant crédible qu’une personne qui, un verre de vin à la main, nous affirme qu’elle ne boit jamais d’alcool.
Derrière ce nous se cache, plus ou moins mal, un je démesuré qui devrait arrêter ses conneries et se présenter tel quel.
Jeudi 11 janvier
Qu’est-ce qui fait un chef-d’œuvre ? Rien, si ce n’est la décision d’un groupe d’hommes et de femmes (le plus souvent des hommes, ceci dit). Il n’y a rien d’objectif, aucune caractéristique qui ferait qu’une réalisation humaine est meilleure qu’une autre.
Le temps n’est pas non plus un gage de grandeur, n’en déplaise au Figaro : ce n’est pas parce qu’on idolâtre une œuvre durant des siècles qu’elle est de fait supérieure aux autres. Ce que cette idolâtrie démontre, c’est que les structures qui promeuvent ladite œuvre sont à ce point puissantes qu'elles font croire à une vérité objective. Plus ces structures sont puissantes, moins on s’autorise à questionner et à remettre en cause ce qu'elles affirment.
Se plonger dans une civilisation différente de la nôtre, c’est réaliser que l’évidence même ne l’est pas et qu’ailleurs on ne pense pas comme nous. C’est aussi accepter que nos manières de faire, de penser et de ressentir puissent ne pas être supérieures à celles des autres. Dans le meilleur des cas, c’est apprendre à se regarder avec la même distance qu’on regarde autrui. Une distance critique, évidemment.
Vendredi 12 janvier
‘Artists who are able to continually create great works throughout their lives often manage to preserve these childlike qualities. Practicing a way of being that allows you to see the world through uncorrupted, innocent eyes can free you to act in concert with the universe’s timetable.’
—The Creative Act: A Way of Being, de Rick Rubin
Samedi 13 janvier
En ce moment, je me sens d’humeur new age. Je regarde donc des vidéos sur la visualisation, la manifestation, la spiritualité. C’est intéressant : tout ça finira un jour dans un de mes romans.
Quant à savoir ce que ça vaut, c’est à chacun d’en tirer ses propres conclusions. J’aborde ces sujets avec scepticisme, mais ouverture d’esprit.
Mais les promesses qui sont faites sont tellement ridicules qu’il est difficile de suspendre son jugement bien longtemps. C’est très américain : ça ne fait jamais dans la finesse.
Il faut toutefois reconnaitre que ces gourous du capitalisme spirituel sont doué·es pour une chose : le storytelling. Grâce à une série d’exemples superficiels vaguement liés entre eux, iels dépeignent une réalité alternative dans laquelle l’être humain est capable d’agir sur son environnement, où l’Univers bienveillant répond à ses désirs les plus fous.
L’argument d’autorité est roi… le name-dropping de rigueur : Thomas Edison, John D. Rockfeller, Steve Jobs et même… Elon Musk (qui le cite comme un exemple positif est immédiatement discrédité·e à mes yeux). L’amalgame donne parfois l’impression d’un milkshake indigeste, mais c’est efficace : les gens y croient. Ce n’est qu’en essayant d’expliquer ce qu’on a regardé à un·e proche qu’on réalise qu’on a assisté à l’élaboration d’un château de cartes.
Dimanche 14 janvier
Quand on veut me vendre quelque chose, je me méfie aussitôt.
Voilà pourquoi je préfère les spiritualités orientales, comme le bouddhisme : l’enseignement y est le plus souvent gratuit (ou à prix modique). On sent que la motivation principale est l’éveil des consciences et non leur compte en banque. Évidemment, iels participent au capitalisme, car iels vivent dans le siècle, mais il ne s’agit pas du but principal. L’argent est seulement un moyen. C’est, pour ainsi dire, neutre.
À l’inverse, les spiritualités occidentales, surtout celles qui nous viennent des États-Unis, sont des machines à pognon. Tout est fait pour tirer un maximum d’argent : cours, livres, séminaires, classes en ligne, produits dérivés. Ces gourous-là n’ont qu’une seule ambition : celle de s’enrichir.
Lundi 15 janvier
Le zuihitsu est un genre de la littérature japonaise, pouvant mêler essais et poèmes, écrit au fil de la plume. C’est certainement ce qui est le plus éloigné de notre manière dissertatoire d’écrire les essais. Ici, pas d’introduction, ni de parties en nombre prédéterminé, ni de conclusion : l’auteurice note ses observations telles qu’elles lui sont inspirées par l’environnement dans lequel iel se trouve.
L’effet à la lecture est saisissant, parfois déroutant : ce n’est pas ainsi qu’on écrit en Occident. C’est la raison pour laquelle j’apprécie ces petits essais japonais : ils ont une autre manière de dire le monde. Moins cartésienne, peut-être, mais non moins vraie.
Mardi 16 janvier
« C’est précisément cette attente qui s’effondre aujourd’hui dans les États occidentaux développés : pour la première fois depuis deux-cent-cinquante ans, la génération des parents a perdu, et ce, à grande échelle, l’espoir que la situation de leurs enfants sera meilleure que la leur, elle se contente désormais d’espérer qu’elle ne sera pas bien pire, que les crises ne seront pas tout à fait aussi graves, que les normes atteintes seront à peu près respectées. Mais elle comprend que cela ne sera possible qu’au prix d’un effort encore supérieur de mobilisation individuelle et collective des énergies, afin de propulser vers l’avant croissance, accélération et innovation. Bref, nous, contemporains, ne courons plus après un objectif prometteur qui se trouverait devant nous : nous fuyons l’abime catastrophique qui avance dans notre dos. C’est une différence culturelle radicale. »
— Harmut Rosa, Remède à l’accélération, pp. 29-30, trad. Olivier Mannoni
Mercredi 17 janvier
J’ai commencé à lire Autobiography of a Yogi (1946) de Paramahansa Yogananda (1893-1952), le « père du yoga en Occident », car j’ai appris durant le weekend que c’était le livre que Steve Jobs avait fait offrir à tous·tes celleux qui avaient assisté à ses obsèques. Ma curiosité ainsi piquée, j’ai aussitôt acheté l’ebook (30 pence, a bargain!).
L’anglais, très soutenu, est pour ainsi dire archaïque. Nous nageons en pleine hagiographie : chaque chapitre contient un ou deux miracles qui démontrent que Yogananda était destiné à devenir un grand yogi. Comme lecture, c’est très divertissant.
Je m’interroge toutefois. Il s’agit ici d’une autobiographie et non d’un roman de fantasy. En écrivant sa vie, croyait-il réellement à ce qu’il racontait ? ou n’était-ce qu’un ouvrage de propagande, un moyen pour lui d’assoir sa légende ?
Je n’en suis qu’au début, mais j’ai du mal à comprendre ce qui rend ce livre si important que Jobs en aurait fait son dernier conseil de lecture… Je vais continuer pour le découvrir.
Jeudi 18 janvier
L’orthographe rectifiée m’invite à me défaire de mon fétichisme de la langue. Au revoir, les accents circonflexes ; good-bye, les lettres inutiles.
Hier, j’ai découvert qu’asseoir était devenu assoir… J’ai tellement l’habitude de cette orthographe traditionnelle que je regarde ma phrase comme s’il lui manquait quelque chose. Mon instinct est de rajouter le e immédiatement, mais... je respire profondément et je laisse couler.
Vendredi 19 janvier
Avec plus d’un mois de retard, je découvre chaque jour un thé différent de Mariage Frères grâce à leur calendrier de l’avent. Cette année, ils l’ont appelé Christmas in Love, certainement pour mettre en avant leur série « in love », du thé bleu parfumé (principalement). Malheureusement, je n’aime pas le gout de ce thé bleu, sauf exceptionnellement (Paris in Love était pas mal). Heureusement, il n'y a pas que du thé bleu... et un jour sur deux, je découvre un nouveau thé avec plaisir, que j'ajoute à ma liste d'achats futurs...
Samedi 20 janvier
Il y a quatre ou cinq ans, en lisant le livre de Patricia Garfield (1934-2021), Creative Dreaming : A Revolutionary Approach to Increased Self-Awareness (1974), j’ai appris l’existence des rêves lucides.
De manière générale, notre société ne prête plus attention à ses rêves nocturnes. Nous ne sommes plus à l’époque de Sigmund Freud ou de Carl Jung, où ils revêtaient une importance capitale. Résultat, nous ne nous souvenons plus de nos rêves, si bien que certain·es en concluent qu’iels ne rêvent pas ! Certaines pratiques, communes à de nombreuses civilisations de par le monde et à travers les siècles, sont tombées en désuétude. C’est le cas de la lucidité dans les rêves.
Le rêve lucide est un phénomène qui a été prouvé par la science, en particulier grâce aux travaux de l’américain Stephen LaBerge. De quoi s’agit-il ? La rêveuse est consciente qu’elle rêve et peut interagir avec son rêve de manière consciente. Sur le net et dans certains ouvrages, on trouvera l’affirmation qu’elle peut « contrôler » ses rêves, mais le terme, selon LaBerge, n’est pas correct : il s’agit davantage d’une collaboration avec son inconscient. Le rêve lucide peut être utilisé à différentes fins : éveil spirituel, dialogue avec ses peurs ou ses désirs, divertissement, etc., etc.
En 2024, j’ai envie d’explorer les rêves lucides. Je n’en ai jamais eus, à ma connaissance. J’aimerais en faire l’expérience.
Dimanche 21 janvier
Le Britannique Charlie Morley, un rêveur lucide bouddhiste, qui a écrit quelques ouvrages sur le sujet, donne la marche à suivre pour faire des rêves lucides. Même s’ils peuvent arriver spontanément chez certaines personnes, la plupart d’entre nous devra s’entrainer pour y arriver.
Tout d’abord, il faut commencer par prêter attention à ses rêves et se les rappeler au réveil. Tenir un dream journal permet, non pas d’interpréter le contenu du rêve (ce n’est pas ici le but), mais de repérer les signes récurrents qui prouvent qu’il s’agit d’un rêve. Par exemple, l’apparition d’un proche décédé ou le fait qu’on se retrouve dans un cadre scolaire alors qu’on ne fait plus d’études depuis des années. L’objectif est d’entrainer l’esprit à reconnaitre le rêve sur le moment et non après.
La première étape est donc d’arriver à se poser la question « suis-je en train de rêver ? ». L’objectif du rêve, toutefois, est de nous faire croire qu’il est réel… Ainsi, on peut très bien s’être posé la question, avoir répondu par l’affirmative et quand même se retrouver happé par le rêve qui, par ses nombreux charmes, parvient à nous faire tout oublier de cette prise de conscience. Nous avons tous eu cette expérience, j’imagine.
Comment peut-on se prouver que l’on rêve ? Trois exemples faciles à tester : 1) regarder ses mains à deux reprises (dans un rêve, elles ne seront jamais identiques) ; 2) lire un texte deux fois d’affilée (le texte changera, car le cerveau est incapable de reproduire à l’identique la première lecture) ; 3) regarder un écran de télévision ou utiliser un téléphone (le cerveau semble avoir du mal à faire fonctionner correctement les nouvelles technologies dans les rêves).
Une fois qu’on a pris conscience qu’on rêvait vraiment et qu’on a contourné les défenses du rêve, c’est là que le fun commence.
Lundi 22 janvier
Rejeter l’IA/les modèles LLM pour des raisons éthiques (droit d’auteur non respecté, par exemple) est une position louable. Mais c’est aussi laisser toute liberté à d’autres personnes de décider du rôle qu’ils joueront dans notre société.
Débattons donc de ces questions éthiques (c’est primordial, si l’on veut régler les injustices actuelles et à venir), mais ne nous arrêtons pas au simple refus stérile.
Le monde continue sa course qu’on soit d’accord, ou non. Pour façonner le futur, il faut que la pensée puisse se projeter au-delà des problèmes actuels…
Voilà pourquoi j’ai été déçu par l’épisode de Procrastination sur le sujet. Je craignais une réaction épidermique, et c’est ce qui s’est passé. Tout ce qu’ils ont dit est pourtant vrai : je suis d’accord avec eux, du prix environnemental à payer à la décimation des écrivains issus de milieux moins favorisés qui nous guette. Mais en ne parlant que de ça, ils ont fait preuve, à mon avis, de myopie. Ils n’ont pas vu l’IA comme un outil d’écriture, avec lequel l’auteurice composera, comme nous écrivons toustes avec un ordinateur de nos jours. En ne se focalisant que sur les dangers, ils ont refusé de voir les opportunités qui se présenteront. Après tout, rien n'est jamais blanc ou noir.
Mardi 23 janvier
‘During REM sleep, your brain cuts off external sensory input and constructs a model of the world based on psychological determinants, including your expectations, interpretations, memories, and preconceptions about reality. While awake, your experience of consciousness is simulated in a similar way, with one exception: Your model of reality is additionally informed by sensory input from the material world. In other words, perception in dreams operates just like it does when you are awake, except that the imagery you perceive is not influenced by external sources. (…) To your brain, doing something in a dream is just like doing it while awake.’
– Learn to Lucid Dream: Powerful Techniques for Awakening Creativity and Consciousness, de Kristen LaMarca
Mercredi 24 janvier
Cette semaine, nous pourrons voir la conclusion de Last Twilight, ce BL thaï de très bonne qualité qui a, comme beaucoup d’autres avant lui, succombé à la malédiction du onzième et avant-dernier épisode.
Dans les séries romantiques thaïes, il y a une règle d’or qui dit que, durant l’épisode pénultième, tout doit partir à vau-l’eau, de manière crédible ou pas, et se terminer par la séparation des amants. Sous l’influence coréenne, une année (ou plusieurs) va passer avant qu’ils ne se retrouvent et finissent ensemble dans l’épisode final. Comme c’est de la romance, les plus futé·es n’ont aucun doute quant à la fin heureuse de la série…
Ce dernier rebondissement, l’ultime péripétie, avant le dénouement et la fin HEA est tellement répandu que c’est devenu un cliché à la limite du supportable. À chaque fois qu’il est utilisé, il faut bien reconnaitre que son potentiel dramatique diminue d’autant… Tout cliché blase, de même qu’une structure narrative utilisée ad nauseam, surtout quand les scénaristes suivent la recette sans comprendre le pourquoi du comment.
Heureusement, Bee Pongsate Lucksameepong (Vice Versa, My School President, Dangerous Romance, KinnPorsche) et Best Kittisak Kongka (Moonlight Chicken, Only Friends, Never Let me Go, Bad Buddy) ont assez d’expérience pour justifier cette dernière épreuve et la rendre acceptable dans Last Twilight.
Jeudi 25 janvier
Ce sentiment d’angoisse, je le ressens quand je lis des articles dans le Guardian sur l’état du monde ou les cauchemars qui attendent notre Brexitland adoré. C’est tout petit, parfois ça reste sous la surface… mais ça me rappelle que toutes les news sont anxiogènes, car le bizness des journalistes n’est pas d’informer, contrairement à ce qu’iels affirment et croient elleux-mêmes, mais d’offrir un divertissement morbide où l’on ne relève que ce qui va mal ou pourrait aller mal ou finira mal… Comme si le verre à moitié vide méritait davantage qu’on parle de lui, comme si le pessimisme était la seule manière d’appréhender la réalité qui nous entoure.
L’effet du journalisme sur notre vision des choses est évident. À des degrés différents, on croit toustes que le monde d’aujourd’hui est pire que le monde d’hier… alors que les statistiques dépeignent une image différente. C’est ce que démontre Hans Rosling (1948-2017) dans Factfulness : Ten Reasons We’re Wrong About The World – And Why Things Are Better Than You Think. Ce livre, remède parfait au misérabilisme ambiant, nous permet de prendre un peu de recul et de nous sentir mieux.
Rutger Bregman, avec Utopia for Realists: How We Can Build the Ideal World ou Humankind: A Hopeful History, finira de nous soigner de cette maladie du tout-en-noir.
Vendredi 26 janvier
Hier, j’ai reçu ma commande de Oud Attar : un parfum avec des notes de bergamote, rose, oud et bois de santal. C’était un achat fait à distance, et donc en aveugle : je ne l’avais pas senti. (Évidemment, le terme « aveugle » ne convient pas à la situation, puisque ce n’est pas le bon sens. Mais quel mot emploie-t-on pour quelqu’un qui ne sent pas ?)
Sur son site, la marque affirme que ses parfums sont unisexes… D’ailleurs, pour Oud Mastry, les avis provenaient aussi bien d’hommes que de femmes… mais quand je l’ai essayé, j’ai trouvé que c’était un parfum féminin. J’ai senti la rose toute la journée. Mon mari, qui dirait plutôt « pué », a grimacé à chaque fois qu’il se trouvait à moins de cinq mètres de moi.
Échec total, donc, si ce n’est que l’expérience m’a rappelé que, malgré les efforts du marketing pour promouvoir des produits « unisexe », le monde des odeurs (comme celui des couleurs, d’ailleurs) est genré. C’est une construction sociale, bien évidemment : dans notre société, ce qui est en lien avec la rose, c’est pour les femmes.
Je suis un écrivain queer, qui aime vivre dans les marges… Je prends plaisir à déconstruire certaines « vérités » sociales… mais je dois avouer qu’on touche ici à une de mes limites : Oud Mastry sent trop la rose pour moi.
Peut-être qu'il s'agit là des conséquences d'une homophobie intériorisée où paraitre trop féminin est vécu comme inacceptable (et très souvent, dangereux).
Samedi 27 janvier
Les scénaristes de Last Twilight voulaient offrir une fin digne de ce nom, un HEA qui satisferait tout le monde. Ce faisant, ils ont maladroitement compromis le message qu’ils avaient patiemment développé durant toute la série.
Perdant la vue petit à petit, Day avait pour mission, pour ainsi dire, d’accepter son handicap. Il lui fallait comprendre que sa vie ne se résumait pas à celui-ci et qu’il était possible de mener une existence indépendante et épanouie. C’était aussi ce que devait comprendre son entourage, en particulier P'Mhok, qui avait ses propres angoisses suite au suicide de sa sœur.
Les trois quarts de l’épisode final montrent que Day a su surmonter tous ces obstacles : malgré l’absence de P'Mhok, il a su arracher son indépendance et s’épanouir. Il n’a plus besoin de retrouver la vue pour être heureux, c’est inutile. Il a fait la paix avec ce qu’il est.
Mais dans les dernières minutes de l’épisode, les scénaristes, nous montrant à quoi ressemble la vie de Day et de Mhok une fois qu’ils sont revenus ensemble, s’oublient un peu et décident de lui rendre la vue. Si la première opération avait échoué, la seconde est un succès… Tout est bien qui finit bien. Ils vécurent heureux et eurent beaucoup de neveux et nièces. The End.
Certain·es interprèteront cette fin comme un message d’espoir ; d’autres, parmi lesquels je me range, regretteront ce retournement de dernière minute aux relents de validisme, qui semble affirmer malgré lui que le Happily Ever After n’est possible que si on revient à la « normalité » la plus absolue.
Dimanche 28 janvier
Commence cette longue période avant l’arrivée du printemps (souvent très tardive à Sheffield) où la vie est monotone, grise et sans espoir… où les weekends sont trop courts et les semaines semblent s’enchainer à la fois rapidement et lentement… et où l’on rêve de déménager sous les tropiques de manière permanente et de ne plus jamais remettre les pieds au Brexitland.
Lundi 29 janvier
Toujours pas de rêves lucides, mais je me souviens davantage de mes rêves. Ce qui se passe durant mes nuits n’est plus entièrement un mystère. Tenir un dream journal aide, c’est vrai : par cette pratique, j’affirme que cette matière, que je jugeais absurde ou délirante, a de la valeur et mérite que je la retienne. Je note à quel point les mêmes lieux, les mêmes personnes ou les mêmes situations reviennent de nuit en nuit… J’en ignore le sens, et pour un peu je n’en aurais rien à faire. Ce qui m’importe, c’est d’arriver à ce moment de grâce où je comprendrai, dans le rêve, que je suis en train de rêver.
Mardi 30 janvier
‘Although the character of the tortured artist tends to live more in mythology than in reality, this does not mean that art comes easily. It requires the obsessive desire to create great things. This pursuit doesn’t have to be agonizing. It can be enlivening. It’s up to you.’
– The Creative Act: A Way of Being (2023) de Rick Rubin
Mercredi 31 janvier
Je prends beaucoup de plaisir à traquer les origines d’une idée… Établir la généalogie d’un phénomène, noter ses influences en amont comme en aval, ça ressemble à une vaste enquête sans fin. Un trip d’intellectuel, en somme. (Personne ne sera donc surpris d’apprendre qu’une partie de mes études a été consacrée à la réception de l’Antiquité à la Renaissance, puis dans la Fantasy contemporaine.)
Ainsi, cette semaine, je me suis penché sur la « loi de l’attraction », cette croyance popularisée il y a quelques années par le livre de Rhonda Byrne, puis le documentaire du même nom, Le Secret (2006).
J’ai retrouvé une pensée similaire dans le petit essai de Neville Goddard, Feeling is the Secret (1944), qui parle pour sa part de « law of consciousness » (où il faut « ressentir » la nouvelle réalité que l’on rêve pour qu’elle se réalise).
Plus intéressant encore, je suis remonté à un essai de 1908, intitulé The Kybalion, écrit par « Trois initiés », qui propose d’éclaircir les enseignements de la tradition hermétique, c’est-à-dire issue des révélations d’Hermès Trismégiste (l’assimilation du dieu grec Hermès et du dieu égyptien Thot). Nous nageons en plein ésotérisme… et c’est tout à fait ma came. (Un jour, j’écrirai un roman ésotérique à la Umberto Eco ou à la Laurent Binet, qu’on se le dise.)
De quoi parle le Kybalion ? Des sept principes qui régissent notre réalité : le principe de mentalisme (le Tout est esprit et l’Univers est mental) ; celui de correspondance (as above, so below; as below, so above) ; celui de vibration (le mouvement est partout, rien n’est à l’état de repos) ; celui de polarité (tout est double et a deux pôles) ; celui de rythme (flux et reflux en toutes choses) ; celui de cause et d’effet (jamais rien n’arrive par hasard) et le principe de genre (masculin/féminin — un peu comme le yin and le yang).