Tu peux trouver la version éditée complÚte de ce journal sur mon site internet.
La version intĂ©grale (fautes et anglicismes inclus) est disponible dans mon jardin numĂ©rique, Sylves. La publication sây fait au jour le jour.
Jâapplique ici lâorthographe rectifiĂ©e (good-bye les petits accents circonflexes !).
Je te souhaite une excellente nouvelle annĂ©e. Puisse 2024 tâĂȘtre douce et bienveillante.
So long!
Enzo
Mercredi 03 janvier
Quand je suis malade, je retourne aux films en anglais sur Netflix. Je nâai pas Ă lire de sous-titres, comme câest le cas quand je regarde une sĂ©rie asiatique. Ăa repose mes yeux.
Habituellement, je regarde peu de films, prĂ©fĂ©rant le format feuilletonnant des sĂ©ries. Je suis donc surpris par le nombre dâhistoires diffĂ©rentes que je peux dĂ©couvrir en quelques heures avant dâaller me coucher. TantĂŽt je suis sur une planĂšte reculĂ©e de la galaxie Ă fomenter une rĂ©bellion, tantĂŽt je mâĂ©meus des amours compliquĂ©es dâune pop star. Et un peu plus tard, je regarde une Ă©niĂšme romance de NoĂ«l (les romances de NoĂ«l peuvent aussi ĂȘtre apprĂ©ciĂ©es aprĂšs les fĂȘtes).
La qualitĂ© du film importe moins que le sentiment de bienĂȘtre que lâon Ă©prouve. Et quand on est malade, une sensation agrĂ©able nâa pas de prix.
Jeudi 04 janvier
Jennifer Lopez est remarquable dans Marry Me (2022). Difficile de croire quâelle avait plus de cinquante ans au moment du tournage.
Je nâaime pas beaucoup Owen Wilson, mais les deux ensemble fonctionnent trĂšs bien. On voit le soin qui a Ă©tĂ© portĂ© au casting.
La BO est de meilleure qualitĂ© que les autres romances que jâai pu regarder ces derniers jours : On my way, Nobodyâs Watching et Love of my life sont mes chansons prĂ©fĂ©rĂ©es⊠Et me connaissant, je vais passer la journĂ©e Ă les Ă©couter.
Vendredi 05 janvier
Dans lâĆuvre au Noir, Marguerite Yourcenar Ă©crit au sujet de ZĂ©non : «âLa viande, le sang, les entrailles, tout ce qui a palpitĂ© et vĂ©cu lui rĂ©pugnaient Ă cette Ă©poque de son existence, car la bĂȘte meurt Ă douleur comme lâhomme, et il lui dĂ©plaisait de digĂ©rer des agonies.â» (je souligne)
Lâautrice, elle-mĂȘme, Ă©tait vĂ©gĂ©tarienne. Cette semaine, cela fait cinq ans pareillement que jâai fait le choix de ne plus manger ni de viande ni de poisson.
Je suis satisfait de ce choix : au quotidien, il ne me pĂšse pas. Ăa peut devenir frustrant Ă lâoccasion quand je voyage, mais jamais au point de me le faire regretter.
Samedi 06 janvier
Je ne suis quâun ĂȘtre humain parmi sept-milliards. Mes choix de vie influenceront bien peu la destinĂ©e du monde. Je ne me fais pas dâillusions sur lâimpact que jâai Ă grande Ă©chelle.Â
Ma motivation se trouve donc principalement ailleurs : jâessaye de vivre le plus possible en adĂ©quation avec mes valeurs. Ce nâest pas toujours facile. Ce monde nous rend aisĂ©ment hypocrites : quand je refuse de manger de la viande pour des raisons Ă©thiques, ces mĂȘmes raisons Ă©thiques semblent se satisfaire que je mâhabille avec des vĂȘtements cousus par des enfants de six ans. Nous avons une voiture Ă©lectrique pour diminuer notre empreinte carbone, mais nous sommes heureux dâaller Ă lâautre bout du monde afin de profiter de la chaleur hivernale.
Pourquoi modifier notre maniĂšre de vivre si tout est vouĂ© Ă lâĂ©checâ? PlutĂŽt que de viser la perfection pure, la puretĂ© parfaite, il vaut mieux accepter ces paradoxes et ne pas baisser les bras. Ici, comme dirait Montesquieu, le mieux est le mortel ennemi du bien.Â
Ainsi, pour celleux qui adorent la viande, devenir vĂ©gĂ©tarien ou vĂ©gan est une idiotie : il est certainement prĂ©fĂ©rable de manger moins de viande et dâacheter de la meilleure qualitĂ©. Moins mais mieux.
Dâailleurs, face Ă cette abondance qui nous submerge dans tous les domaines de lâexistence, «âmoins mais mieuxâ» semble ĂȘtre un bon principe de vie.
Dimanche 07 janvier
Jâen apprends tous les jours. La nouvelle orthographe indique quâil faut mettre un trait dâunion entre tous les Ă©lĂ©ments dâun nombre.
Ainsi, on Ă©crira «âsept-milliardsâ», «âdeux-cent-milleâ», «âquatre-vingt-millionsâ», «âdeux-milliards-cinq-cent-millionsâ». Une fois quâon sây est habituĂ©, câest plus facile Ă gĂ©rer.
Mais comme les rĂšgles dâĂ©criture des nombres (vingt, cent, mille, millions, milliards) sont les mĂȘmes que celles de lâorthographe traditionnelle, on ne peut pas dire quâon a grandement simplifiĂ© la chose.Â
Imagine : tu as peinĂ© Ă comprendre que tu peux mettre un -s Ă vingt et Ă cent seulement quand ils ne sont pas suivis dâautres nombres («âtrois-cents invitĂ©sâ» mais «âtrois-cent-cinquante invitĂ©sâ»). Tu as suĂ© sang et eauâ; maintenant que tu es un·e expert·e de ce s, tu en Ă©prouves une fiertĂ© ridicule qui te permet de regarder de haut ton voisin analphabĂšte. Mais lâorthographe française a tĂŽt fait, mĂȘme dans sa version rectifiĂ©e (âsimplifiĂ©eâ my ass), de te ramener sur terre : cette rĂšgle casse-bonbon ne sâapplique pas Ă lâĂ©criture des dates.
Sache donc quâon ne met toujours pas de-s à «âlâan quatre-centâ».
Lundi 08 janvier
Si seulement je faisais preuve dâautant de rĂ©gularitĂ© dans la publication de ce journal que dans son Ă©critureâ! Nous sommes dĂ©jĂ en janvier et je nâai toujours pas publiĂ© les entrĂ©es de novembre sur Substack. Je vais prĂ©parer tout ceci cette semaine. Peut-ĂȘtre que jây ajouterai celles de dĂ©cembre Ă y ĂȘtre. Une version condensĂ©e, plutĂŽt que deux newsletters Ă quelques jours dâintervalle. Tout dĂ©pendra de lâintĂ©rĂȘt que je trouve Ă ces entrĂ©es.Â
Tant pis. Si je ne sais pas oĂč ni quoi couper, jâabuserai de la gentillesse de mes lecteurices avec deux emails, Ă©chos de lâannĂ©e passĂ©e. De toute maniĂšre, je nâai rien dâautre Ă proposer. En septembre, je voulais publier des articles plus rĂ©guliers sur le monde exotique du Boys' Love, mais mon inspiration sâest tarie aprĂšs le Lexique irrĂ©vĂ©rencieux de lâhomoromance. Ou plutĂŽt, ce nâest pas lâinspiration qui a fait dĂ©faut, mais la flemme qui a pris le dessus. Et le temps passe si vite quâon se retrouve dĂ©jĂ en janvier, se souvenant des promesses de la rentrĂ©e de septembre comme dâun rĂȘve empli dâamertume.
Je ne sais pas ce quâil me faudrait pour prendre tout ceci au sĂ©rieux (le projet dâun livre de non-fiction sur le BLâ?). Sorry, dear reader, ce nâest pas cette annĂ©e que je battrai des records de constance. Il faudra se contenter des entrĂ©es de ce journal.
Mardi 09 janvier
LâintĂ©rĂȘt pour la ThaĂŻlande se limite encore au tourisme. Il y a peu de livres sur le pays, son histoire, ses croyances, sa langue, etc. Ăvidemment, les ouvrages spĂ©cialisĂ©s existent, mais ceux pour le grand public sont encore rares.
Depuis quelques mois, je cherche des livres sur le folklore et la mythologie thaĂŻlandaise (oh, look, un bel accord de voisinageâ!), mais la moisson sâavĂšre bien maigre : en matiĂšre de mythologies asiatiques, celles de Chine et du Japon remplissent tous les rayonnages.Â
Câest dĂ©cevant. Dâautant plus que mes recherches se font et en français et en anglais. Je ne trouve rien dâintĂ©ressant.
Il va me falloir employer les gros moyens et consulter les catalogues de la bibliothĂšque universitaire. Ă moi les lectures aridesâ! Youpi.
Mercredi 10 janvier
Le nous dâhumilitĂ© est aussi humble que lâexpression «âĂ mon humble avisâ», souvent employĂ©e par les gens les moins humbles que je connaisse.
Câest tout autant crĂ©dible quâune personne qui, un verre de vin Ă la main, nous affirme quâelle ne boit jamais dâalcool.
DerriĂšre ce nous se cache, plus ou moins mal, un je dĂ©mesurĂ© qui devrait arrĂȘter ses conneries et se prĂ©senter tel quel.
Jeudi 11 janvier
Quâest-ce qui fait un chef-dâĆuvreâ? Rien, si ce nâest la dĂ©cision dâun groupe dâhommes et de femmes (le plus souvent des hommes, ceci dit). Il nây a rien dâobjectif, aucune caractĂ©ristique qui ferait quâune rĂ©alisation humaine est meilleure quâune autre.
Le temps nâest pas non plus un gage de grandeur, nâen dĂ©plaise au Figaro : ce nâest pas parce quâon idolĂątre une Ćuvre durant des siĂšcles quâelle est de fait supĂ©rieure aux autres. Ce que cette idolĂątrie dĂ©montre, câest que les structures qui promeuvent ladite Ćuvre sont Ă ce point puissantes qu'elles font croire Ă une vĂ©ritĂ© objective. Plus ces structures sont puissantes, moins on sâautorise Ă questionner et Ă remettre en cause ce qu'elles affirment.
Se plonger dans une civilisation diffĂ©rente de la nĂŽtre, câest rĂ©aliser que lâĂ©vidence mĂȘme ne lâest pas et quâailleurs on ne pense pas comme nous. Câest aussi accepter que nos maniĂšres de faire, de penser et de ressentir puissent ne pas ĂȘtre supĂ©rieures Ă celles des autres. Dans le meilleur des cas, câest apprendre Ă se regarder avec la mĂȘme distance quâon regarde autrui. Une distance critique, Ă©videmment.
Vendredi 12 janvier
âArtists who are able to continually create great works throughout their lives often manage to preserve these childlike qualities. Practicing a way of being that allows you to see the world through uncorrupted, innocent eyes can free you to act in concert with the universeâs timetable.â
âThe Creative Act: A Way of Being, de Rick Rubin
Samedi 13 janvier
En ce moment, je me sens dâhumeur new age. Je regarde donc des vidĂ©os sur la visualisation, la manifestation, la spiritualitĂ©. Câest intĂ©ressant : tout ça finira un jour dans un de mes romans.
Quant Ă savoir ce que ça vaut, câest Ă chacun dâen tirer ses propres conclusions. Jâaborde ces sujets avec scepticisme, mais ouverture dâesprit.Â
Mais les promesses qui sont faites sont tellement ridicules quâil est difficile de suspendre son jugement bien longtemps. Câest trĂšs amĂ©ricain : ça ne fait jamais dans la finesse.Â
Il faut toutefois reconnaitre que ces gourous du capitalisme spirituel sont doué·es pour une chose : le storytelling. GrĂące Ă une sĂ©rie dâexemples superficiels vaguement liĂ©s entre eux, iels dĂ©peignent une rĂ©alitĂ© alternative dans laquelle lâĂȘtre humain est capable dâagir sur son environnement, oĂč lâUnivers bienveillant rĂ©pond Ă ses dĂ©sirs les plus fous.Â
Lâargument dâautoritĂ© est roi⊠le name-dropping de rigueur : Thomas Edison, John D. Rockfeller, Steve Jobs et mĂȘme⊠Elon Musk (qui le cite comme un exemple positif est immĂ©diatement discrĂ©dité·e Ă mes yeux). Lâamalgame donne parfois lâimpression dâun milkshake indigeste, mais câest efficace : les gens y croient. Ce nâest quâen essayant dâexpliquer ce quâon a regardĂ© Ă un·e proche quâon rĂ©alise quâon a assistĂ© Ă lâĂ©laboration dâun chĂąteau de cartes.
Dimanche 14 janvier
Quand on veut me vendre quelque chose, je me mĂ©fie aussitĂŽt.Â
VoilĂ pourquoi je prĂ©fĂšre les spiritualitĂ©s orientales, comme le bouddhisme : lâenseignement y est le plus souvent gratuit (ou Ă prix modique). On sent que la motivation principale est lâĂ©veil des consciences et non leur compte en banque. Ăvidemment, iels participent au capitalisme, car iels vivent dans le siĂšcle, mais il ne sâagit pas du but principal. Lâargent est seulement un moyen. Câest, pour ainsi dire, neutre.
Ă lâinverse, les spiritualitĂ©s occidentales, surtout celles qui nous viennent des Ătats-Unis, sont des machines Ă pognon. Tout est fait pour tirer un maximum dâargent : cours, livres, sĂ©minaires, classes en ligne, produits dĂ©rivĂ©s. Ces gourous-lĂ nâont quâune seule ambition : celle de sâenrichir.
Lundi 15 janvier
Le zuihitsu est un genre de la littĂ©rature japonaise, pouvant mĂȘler essais et poĂšmes, Ă©crit au fil de la plume. Câest certainement ce qui est le plus Ă©loignĂ© de notre maniĂšre dissertatoire dâĂ©crire les essais. Ici, pas dâintroduction, ni de parties en nombre prĂ©dĂ©terminĂ©, ni de conclusion : lâauteurice note ses observations telles quâelles lui sont inspirĂ©es par lâenvironnement dans lequel iel se trouve.
Lâeffet Ă la lecture est saisissant, parfois dĂ©routant : ce nâest pas ainsi quâon Ă©crit en Occident. Câest la raison pour laquelle jâapprĂ©cie ces petits essais japonais : ils ont une autre maniĂšre de dire le monde. Moins cartĂ©sienne, peut-ĂȘtre, mais non moins vraie.
Mardi 16 janvier
«âCâest prĂ©cisĂ©ment cette attente qui sâeffondre aujourdâhui dans les Ătats occidentaux dĂ©veloppĂ©s : pour la premiĂšre fois depuis deux-cent-cinquante ans, la gĂ©nĂ©ration des parents a perdu, et ce, Ă grande Ă©chelle, lâespoir que la situation de leurs enfants sera meilleure que la leur, elle se contente dĂ©sormais dâespĂ©rer quâelle ne sera pas bien pire, que les crises ne seront pas tout Ă fait aussi graves, que les normes atteintes seront Ă peu prĂšs respectĂ©es. Mais elle comprend que cela ne sera possible quâau prix dâun effort encore supĂ©rieur de mobilisation individuelle et collective des Ă©nergies, afin de propulser vers lâavant croissance, accĂ©lĂ©ration et innovation. Bref, nous, contemporains, ne courons plus aprĂšs un objectif prometteur qui se trouverait devant nous : nous fuyons lâabime catastrophique qui avance dans notre dos. Câest une diffĂ©rence culturelle radicale.â»
â Harmut Rosa, RemĂšde Ă lâaccĂ©lĂ©ration, pp. 29-30, trad. Olivier Mannoni
Mercredi 17 janvier
Jâai commencĂ© Ă lire Autobiography of a Yogi (1946) de Paramahansa Yogananda (1893-1952), le «âpĂšre du yoga en Occidentâ», car jâai appris durant le weekend que câĂ©tait le livre que Steve Jobs avait fait offrir Ă tous·tes celleux qui avaient assistĂ© Ă ses obsĂšques. Ma curiositĂ© ainsi piquĂ©e, jâai aussitĂŽt achetĂ© lâebook (30 pence, a bargain!).
Lâanglais, trĂšs soutenu, est pour ainsi dire archaĂŻque. Nous nageons en pleine hagiographie : chaque chapitre contient un ou deux miracles qui dĂ©montrent que Yogananda Ă©tait destinĂ© Ă devenir un grand yogi. Comme lecture, câest trĂšs divertissant.
Je mâinterroge toutefois. Il sâagit ici dâune autobiographie et non dâun roman de fantasy. En Ă©crivant sa vie, croyait-il rĂ©ellement Ă ce quâil racontaitâ? ou nâĂ©tait-ce quâun ouvrage de propagande, un moyen pour lui dâassoir sa lĂ©gendeâ?
Je nâen suis quâau dĂ©but, mais jâai du mal Ă comprendre ce qui rend ce livre si important que Jobs en aurait fait son dernier conseil de lecture⊠Je vais continuer pour le dĂ©couvrir.
Jeudi 18 janvier
Lâorthographe rectifiĂ©e mâinvite Ă me dĂ©faire de mon fĂ©tichisme de la langue. Au revoir, les accents circonflexesâ; good-bye, les lettres inutiles.Â
Hier, jâai dĂ©couvert quâasseoir Ă©tait devenu assoir⊠Jâai tellement lâhabitude de cette orthographe traditionnelle que je regarde ma phrase comme sâil lui manquait quelque chose. Mon instinct est de rajouter le e immĂ©diatement, mais... je respire profondĂ©ment et je laisse couler.
Vendredi 19 janvier
Avec plus dâun mois de retard, je dĂ©couvre chaque jour un thĂ© diffĂ©rent de Mariage FrĂšres grĂące Ă leur calendrier de lâavent. Cette annĂ©e, ils lâont appelĂ© Christmas in Love, certainement pour mettre en avant leur sĂ©rie «âin loveâ», du thĂ© bleu parfumĂ© (principalement). Malheureusement, je nâaime pas le gout de ce thĂ© bleu, sauf exceptionnellement (Paris in Love Ă©tait pas mal). Heureusement, il n'y a pas que du thĂ© bleu... et un jour sur deux, je dĂ©couvre un nouveau thĂ© avec plaisir, que j'ajoute Ă ma liste d'achats futurs...
Samedi 20 janvier
Il y a quatre ou cinq ans, en lisant le livre de Patricia Garfield (1934-2021), Creative Dreaming : A Revolutionary Approach to Increased Self-Awareness (1974), jâai appris lâexistence des rĂȘves lucides.
De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, notre sociĂ©tĂ© ne prĂȘte plus attention Ă ses rĂȘves nocturnes. Nous ne sommes plus Ă lâĂ©poque de Sigmund Freud ou de Carl Jung, oĂč ils revĂȘtaient une importance capitale. RĂ©sultat, nous ne nous souvenons plus de nos rĂȘves, si bien que certain·es en concluent quâiels ne rĂȘvent pasâ! Certaines pratiques, communes Ă de nombreuses civilisations de par le monde et Ă travers les siĂšcles, sont tombĂ©es en dĂ©suĂ©tude. Câest le cas de la luciditĂ© dans les rĂȘves.
Le rĂȘve lucide est un phĂ©nomĂšne qui a Ă©tĂ© prouvĂ© par la science, en particulier grĂące aux travaux de lâamĂ©ricain Stephen LaBerge. De quoi sâagit-ilâ? La rĂȘveuse est consciente quâelle rĂȘve et peut interagir avec son rĂȘve de maniĂšre consciente. Sur le net et dans certains ouvrages, on trouvera lâaffirmation quâelle peut «âcontrĂŽlerâ» ses rĂȘves, mais le terme, selon LaBerge, nâest pas correct : il sâagit davantage dâune collaboration avec son inconscient. Le rĂȘve lucide peut ĂȘtre utilisĂ© Ă diffĂ©rentes fins : Ă©veil spirituel, dialogue avec ses peurs ou ses dĂ©sirs, divertissement, etc., etc.
En 2024, jâai envie dâexplorer les rĂȘves lucides. Je nâen ai jamais eus, Ă ma connaissance. Jâaimerais en faire lâexpĂ©rience.
Dimanche 21 janvier
Le Britannique Charlie Morley, un rĂȘveur lucide bouddhiste, qui a Ă©crit quelques ouvrages sur le sujet, donne la marche Ă suivre pour faire des rĂȘves lucides. MĂȘme sâils peuvent arriver spontanĂ©ment chez certaines personnes, la plupart dâentre nous devra sâentrainer pour y arriver.
Tout dâabord, il faut commencer par prĂȘter attention Ă ses rĂȘves et se les rappeler au rĂ©veil. Tenir un dream journal permet, non pas dâinterprĂ©ter le contenu du rĂȘve (ce nâest pas ici le but), mais de repĂ©rer les signes rĂ©currents qui prouvent quâil sâagit dâun rĂȘve. Par exemple, lâapparition dâun proche dĂ©cĂ©dĂ© ou le fait quâon se retrouve dans un cadre scolaire alors quâon ne fait plus dâĂ©tudes depuis des annĂ©es. Lâobjectif est dâentrainer lâesprit Ă reconnaitre le rĂȘve sur le moment et non aprĂšs.
La premiĂšre Ă©tape est donc dâarriver Ă se poser la question «âsuis-je en train de rĂȘverâ?â». Lâobjectif du rĂȘve, toutefois, est de nous faire croire quâil est rĂ©el⊠Ainsi, on peut trĂšs bien sâĂȘtre posĂ© la question, avoir rĂ©pondu par lâaffirmative et quand mĂȘme se retrouver happĂ© par le rĂȘve qui, par ses nombreux charmes, parvient Ă nous faire tout oublier de cette prise de conscience. Nous avons tous eu cette expĂ©rience, jâimagine.Â
Comment peut-on se prouver que lâon rĂȘveâ? Trois exemples faciles Ă tester : 1) regarder ses mains Ă deux reprises (dans un rĂȘve, elles ne seront jamais identiques)â; 2) lire un texte deux fois dâaffilĂ©e (le texte changera, car le cerveau est incapable de reproduire Ă lâidentique la premiĂšre lecture)â; 3) regarder un Ă©cran de tĂ©lĂ©vision ou utiliser un tĂ©lĂ©phone (le cerveau semble avoir du mal Ă faire fonctionner correctement les nouvelles technologies dans les rĂȘves).
Une fois quâon a pris conscience quâon rĂȘvait vraiment et quâon a contournĂ© les dĂ©fenses du rĂȘve, câest lĂ que le fun commence.
Lundi 22 janvier
Rejeter lâIA/les modĂšles LLM pour des raisons Ă©thiques (droit dâauteur non respectĂ©, par exemple) est une position louable. Mais câest aussi laisser toute libertĂ© Ă dâautres personnes de dĂ©cider du rĂŽle quâils joueront dans notre sociĂ©tĂ©.Â
DĂ©battons donc de ces questions Ă©thiques (câest primordial, si lâon veut rĂ©gler les injustices actuelles et Ă venir), mais ne nous arrĂȘtons pas au simple refus stĂ©rile.Â
Le monde continue sa course quâon soit dâaccord, ou non. Pour façonner le futur, il faut que la pensĂ©e puisse se projeter au-delĂ des problĂšmes actuelsâŠ
VoilĂ pourquoi jâai Ă©tĂ© déçu par lâĂ©pisode de Procrastination sur le sujet. Je craignais une rĂ©action Ă©pidermique, et câest ce qui sâest passĂ©. Tout ce quâils ont dit est pourtant vrai : je suis dâaccord avec eux, du prix environnemental Ă payer Ă la dĂ©cimation des Ă©crivains issus de milieux moins favorisĂ©s qui nous guette. Mais en ne parlant que de ça, ils ont fait preuve, Ă mon avis, de myopie. Ils nâont pas vu lâIA comme un outil dâĂ©criture, avec lequel lâauteurice composera, comme nous Ă©crivons toustes avec un ordinateur de nos jours. En ne se focalisant que sur les dangers, ils ont refusĂ© de voir les opportunitĂ©s qui se prĂ©senteront. AprĂšs tout, rien n'est jamais blanc ou noir.
Mardi 23 janvier
âDuring REM sleep, your brain cuts off external sensory input and constructs a model of the world based on psychological determinants, including your expectations, interpretations, memories, and preconceptions about reality. While awake, your experience of consciousness is simulated in a similar way, with one exception: Your model of reality is additionally informed by sensory input from the material world. In other words, perception in dreams operates just like it does when you are awake, except that the imagery you perceive is not influenced by external sources. (âŠ) To your brain, doing something in a dream is just like doing it while awake.â
â Learn to Lucid Dream: Powerful Techniques for Awakening Creativity and Consciousness, de Kristen LaMarca
Mercredi 24 janvier
Cette semaine, nous pourrons voir la conclusion de Last Twilight, ce BL thaĂŻ de trĂšs bonne qualitĂ© qui a, comme beaucoup dâautres avant lui, succombĂ© Ă la malĂ©diction du onziĂšme et avant-dernier Ă©pisode.Â
Dans les sĂ©ries romantiques thaĂŻes, il y a une rĂšgle dâor qui dit que, durant lâĂ©pisode pĂ©nultiĂšme, tout doit partir Ă vau-lâeau, de maniĂšre crĂ©dible ou pas, et se terminer par la sĂ©paration des amants. Sous lâinfluence corĂ©enne, une annĂ©e (ou plusieurs) va passer avant quâils ne se retrouvent et finissent ensemble dans lâĂ©pisode final. Comme câest de la romance, les plus futé·es nâont aucun doute quant Ă la fin heureuse de la sĂ©rieâŠ
Ce dernier rebondissement, lâultime pĂ©ripĂ©tie, avant le dĂ©nouement et la fin HEA est tellement rĂ©pandu que câest devenu un clichĂ© Ă la limite du supportable. Ă chaque fois quâil est utilisĂ©, il faut bien reconnaitre que son potentiel dramatique diminue dâautant⊠Tout clichĂ© blase, de mĂȘme quâune structure narrative utilisĂ©e ad nauseam, surtout quand les scĂ©naristes suivent la recette sans comprendre le pourquoi du comment.Â
Heureusement, Bee Pongsate Lucksameepong (Vice Versa, My School President, Dangerous Romance, KinnPorsche) et Best Kittisak Kongka (Moonlight Chicken, Only Friends, Never Let me Go, Bad Buddy) ont assez dâexpĂ©rience pour justifier cette derniĂšre Ă©preuve et la rendre acceptable dans Last Twilight.
Jeudi 25 janvier
Ce sentiment dâangoisse, je le ressens quand je lis des articles dans le Guardian sur lâĂ©tat du monde ou les cauchemars qui attendent notre Brexitland adorĂ©. Câest tout petit, parfois ça reste sous la surface⊠mais ça me rappelle que toutes les news sont anxiogĂšnes, car le bizness des journalistes nâest pas dâinformer, contrairement Ă ce quâiels affirment et croient elleux-mĂȘmes, mais dâoffrir un divertissement morbide oĂč lâon ne relĂšve que ce qui va mal ou pourrait aller mal ou finira mal⊠Comme si le verre Ă moitiĂ© vide mĂ©ritait davantage quâon parle de lui, comme si le pessimisme Ă©tait la seule maniĂšre dâapprĂ©hender la rĂ©alitĂ© qui nous entoure.Â
Lâeffet du journalisme sur notre vision des choses est Ă©vident. Ă des degrĂ©s diffĂ©rents, on croit toustes que le monde dâaujourdâhui est pire que le monde dâhier⊠alors que les statistiques dĂ©peignent une image diffĂ©rente. Câest ce que dĂ©montre Hans Rosling (1948-2017) dans Factfulness : Ten Reasons Weâre Wrong About The WorldâââAnd Why Things Are Better Than You Think. Ce livre, remĂšde parfait au misĂ©rabilisme ambiant, nous permet de prendre un peu de recul et de nous sentir mieux.Â
Rutger Bregman, avec Utopia for Realists: How We Can Build the Ideal World ou Humankind: A Hopeful History, finira de nous soigner de cette maladie du tout-en-noir.
Vendredi 26 janvier
Hier, jâai reçu ma commande de Oud Attar : un parfum avec des notes de bergamote, rose, oud et bois de santal. CâĂ©tait un achat fait Ă distance, et donc en aveugle : je ne lâavais pas senti. (Ăvidemment, le terme «âaveugleâ» ne convient pas Ă la situation, puisque ce nâest pas le bon sens. Mais quel mot emploie-t-on pour quelquâun qui ne sent pasâ?)Â
Sur son site, la marque affirme que ses parfums sont unisexes⊠Dâailleurs, pour Oud Mastry, les avis provenaient aussi bien dâhommes que de femmes⊠mais quand je lâai essayĂ©, jâai trouvĂ© que câĂ©tait un parfum fĂ©minin. Jâai senti la rose toute la journĂ©e. Mon mari, qui dirait plutĂŽt «âpuĂ©â», a grimacĂ© Ă chaque fois quâil se trouvait Ă moins de cinq mĂštres de moi.Â
Ăchec total, donc, si ce nâest que lâexpĂ©rience mâa rappelĂ© que, malgrĂ© les efforts du marketing pour promouvoir des produits «âunisexeâ», le monde des odeurs (comme celui des couleurs, dâailleurs) est genrĂ©. Câest une construction sociale, bien Ă©videmment : dans notre sociĂ©tĂ©, ce qui est en lien avec la rose, câest pour les femmes.
Je suis un Ă©crivain queer, qui aime vivre dans les marges⊠Je prends plaisir Ă dĂ©construire certaines «âvĂ©ritĂ©sâ» sociales⊠mais je dois avouer quâon touche ici Ă une de mes limites : Oud Mastry sent trop la rose pour moi.Â
Peut-ĂȘtre qu'il s'agit lĂ des consĂ©quences d'une homophobie intĂ©riorisĂ©e oĂč paraitre trop fĂ©minin est vĂ©cu comme inacceptable (et trĂšs souvent, dangereux).
Samedi 27 janvier
Les scĂ©naristes de Last Twilight voulaient offrir une fin digne de ce nom, un HEA qui satisferait tout le monde. Ce faisant, ils ont maladroitement compromis le message quâils avaient patiemment dĂ©veloppĂ© durant toute la sĂ©rie.Â
Perdant la vue petit Ă petit, Day avait pour mission, pour ainsi dire, dâaccepter son handicap. Il lui fallait comprendre que sa vie ne se rĂ©sumait pas Ă celui-ci et quâil Ă©tait possible de mener une existence indĂ©pendante et Ă©panouie. CâĂ©tait aussi ce que devait comprendre son entourage, en particulier P'Mhok, qui avait ses propres angoisses suite au suicide de sa sĆur.Â
Les trois quarts de lâĂ©pisode final montrent que Day a su surmonter tous ces obstacles : malgrĂ© lâabsence de P'Mhok, il a su arracher son indĂ©pendance et sâĂ©panouir. Il nâa plus besoin de retrouver la vue pour ĂȘtre heureux, câest inutile. Il a fait la paix avec ce quâil est.
Mais dans les derniĂšres minutes de lâĂ©pisode, les scĂ©naristes, nous montrant Ă quoi ressemble la vie de Day et de Mhok une fois quâils sont revenus ensemble, sâoublient un peu et dĂ©cident de lui rendre la vue. Si la premiĂšre opĂ©ration avait Ă©chouĂ©, la seconde est un succĂšs⊠Tout est bien qui finit bien. Ils vĂ©curent heureux et eurent beaucoup de neveux et niĂšces. The End.
Certain·es interprĂšteront cette fin comme un message dâespoirâ; dâautres, parmi lesquels je me range, regretteront ce retournement de derniĂšre minute aux relents de validisme, qui semble affirmer malgrĂ© lui que le Happily Ever After nâest possible que si on revient Ă la «ânormalitĂ©â» la plus absolue.
Dimanche 28 janvier
Commence cette longue pĂ©riode avant lâarrivĂ©e du printemps (souvent trĂšs tardive Ă Sheffield) oĂč la vie est monotone, grise et sans espoir⊠oĂč les weekends sont trop courts et les semaines semblent sâenchainer Ă la fois rapidement et lentement⊠et oĂč lâon rĂȘve de dĂ©mĂ©nager sous les tropiques de maniĂšre permanente et de ne plus jamais remettre les pieds au Brexitland.
Lundi 29 janvier
Toujours pas de rĂȘves lucides, mais je me souviens davantage de mes rĂȘves. Ce qui se passe durant mes nuits nâest plus entiĂšrement un mystĂšre. Tenir un dream journal aide, câest vrai : par cette pratique, jâaffirme que cette matiĂšre, que je jugeais absurde ou dĂ©lirante, a de la valeur et mĂ©rite que je la retienne. Je note Ă quel point les mĂȘmes lieux, les mĂȘmes personnes ou les mĂȘmes situations reviennent de nuit en nuit⊠Jâen ignore le sens, et pour un peu je nâen aurais rien Ă faire. Ce qui mâimporte, câest dâarriver Ă ce moment de grĂące oĂč je comprendrai, dans le rĂȘve, que je suis en train de rĂȘver.
Mardi 30 janvier
âAlthough the character of the tortured artist tends to live more in mythology than in reality, this does not mean that art comes easily. It requires the obsessive desire to create great things. This pursuit doesnât have to be agonizing. It can be enlivening. Itâs up to you.â
â The Creative Act: A Way of Being (2023) de Rick Rubin
Mercredi 31 janvier
Je prends beaucoup de plaisir Ă traquer les origines dâune idĂ©e⊠Ătablir la gĂ©nĂ©alogie dâun phĂ©nomĂšne, noter ses influences en amont comme en aval, ça ressemble Ă une vaste enquĂȘte sans fin. Un trip dâintellectuel, en somme. (Personne ne sera donc surpris dâapprendre quâune partie de mes Ă©tudes a Ă©tĂ© consacrĂ©e Ă la rĂ©ception de lâAntiquitĂ© Ă la Renaissance, puis dans la Fantasy contemporaine.)Â
Ainsi, cette semaine, je me suis penchĂ© sur la «âloi de lâattractionâ», cette croyance popularisĂ©e il y a quelques annĂ©es par le livre de Rhonda Byrne, puis le documentaire du mĂȘme nom, Le Secret (2006).Â
Jâai retrouvĂ© une pensĂ©e similaire dans le petit essai de Neville Goddard, Feeling is the Secret (1944), qui parle pour sa part de «âlaw of consciousnessâ» (oĂč il faut «âressentirâ» la nouvelle rĂ©alitĂ© que lâon rĂȘve pour quâelle se rĂ©alise).
Plus intĂ©ressant encore, je suis remontĂ© Ă un essai de 1908, intitulĂ© The Kybalion, Ă©crit par «âTrois initiĂ©sâ», qui propose dâĂ©claircir les enseignements de la tradition hermĂ©tique, câest-Ă -dire issue des rĂ©vĂ©lations dâHermĂšs TrismĂ©giste (lâassimilation du dieu grec HermĂšs et du dieu Ă©gyptien Thot). Nous nageons en plein Ă©sotĂ©risme⊠et câest tout Ă fait ma came. (Un jour, jâĂ©crirai un roman Ă©sotĂ©rique Ă la Umberto Eco ou Ă la Laurent Binet, quâon se le dise.)
De quoi parle le Kybalionâ? Des sept principes qui rĂ©gissent notre rĂ©alitĂ©Â : le principe de mentalisme (le Tout est esprit et lâUnivers est mental)â; celui de correspondance (as above, so below; as below, so above)â; celui de vibration (le mouvement est partout, rien nâest Ă lâĂ©tat de repos)â; celui de polaritĂ© (tout est double et a deux pĂŽles)â; celui de rythme (flux et reflux en toutes choses)â; celui de cause et dâeffet (jamais rien nâarrive par hasard) et le principe de genre (masculin/fĂ©minin â un peu comme le yin and le yang).