Devenir auteurice au XXIĂš siĂšcle
OĂč Enzo exploite lâexploitation
Nous vivons sous le joug du capitalisme. Quâil soit devenu libĂ©ral, ultra-libĂ©ral, mĂ©ta-libĂ©ral ou tout bonnement moribond ne change rien.
Nous servons un dieu appelĂ© lâĂconomie, oubliant que nous lâavons créé Ă lâorigine pour quâil nous serve.
Nous ne sommes que des rouages dans cette grande machine dont le but est dâextraire, extraire, extraire. Pomper jusquâĂ ce quâil ne reste plus rien
Lâexploitation semble ĂȘtre devenue notre seul moyen dâapprĂ©hender le rĂ©el et notre environnement.
Ce qui est merveilleux avec le verbe exploiter, câest quâil se conjugue Ă toutes les personnes, et sâĂ©panouit aussi bien Ă la voix active quâĂ la voix passive. Dans notre sociĂ©tĂ©, jâexploite autant que je suis exploitĂ©. Et mĂȘme si tu aimes prĂ©tendre le contraire, tu exploites, toi aussi, et tu es exploitĂ©.e.
LâĂȘtre humain a un sens innĂ© de la justice. LâidĂ©ologie, qui justifie lâexploitation, peut le bluffer un temps (parfois plusieurs siĂšcles, il est vrai), mais sa patience finit irrĂ©mĂ©diablement par sâuser : toute exploitation abusive se termine donc par une rĂ©volte ou une rĂ©volution.
Exit la didacture. Exit la monarchie. Exit le colonialisme.
Exit le patriarcat (force Ă nous, on y croit).
Exploitation, jusquâĂ quand abuseras-tu de notre patienceâ? (CicĂ©ron)
De lâesclavage contemporain aux Kardashians, de la crise climatique Ă Elon Musk, cĂŽtĂ© dysfonctionnement horrifiant, the choice is limitless⊠On ne sait plus oĂč donner de la tĂȘte.
Mais la dĂ©cence devrait nous forcer Ă porter davantage dâattention aux conditions de travail dans certaines usines textiles dâAsie (qui nous habillent de pied en cap) quâĂ la relation toxique quâentretiennent Harry & Meghan avec les mĂ©dias britanniques, ou avec la Famille Royale
Puisque je ne suis pas plus décent que Monsieur et Madame Toulemonde, je ne suis pas venu te parler de ces gamins de six ans qui cousent tes chaussures de sport ou qui fabriquent ces jouets que tu offriras, dans quelques jours, à tes enfants ou à tes neveux et niÚces (Joyeux Noël, bien sûr).
Non, comme ça cause culture dans cette newsletter et que je suis accessoirement un Ă©crivain (certain.e.s sont en droit dâen douter), je suis venu partager la derniĂšre preuve de lâexploitation dans le secteur du livre outre-Manche (mais qui, je te rassure, sâapplique Ă©galement au secteur français).
Les écrivains, ces richoux
Il y a quelques jours, lâALCS (Authors' Licensing and Collecting Society) a publiĂ© les rĂ©sultats dâun enquĂȘte annuelle : les revenus des Ă©crivains du Royaume-DĂ©suni se sont cassĂ© la figure (38 % de baisse depuis 2018). En moyenne, un Ă©crivain professionnel gagne ÂŁ7000 par an (8000 ⏠environ). Depuis 2006, le nombre de ceux et celles qui vivent exclusivement de leur clavier est passĂ© de 40 % Ă 19 %.
Comme dans dâautres industries, les inĂ©galitĂ©s se creusent : les revenus se concentrent entre les mains de certaines auteurices. 47 % des revenus vont Ă 10 % des auteurs. Les plus affectĂ©es sont Ă©videmment les voix minorisĂ©es de la littĂ©rature (femmes, BIPOC, LGBTQ+, classes ouvriĂšres, les provinciaux, etc., etc.).
Lâindustrie du livre, malgrĂ© ses chouineries rĂ©guliĂšres, se porte trĂšs bien. Elle multiplie le nombre de publications pour sâassurer un chiffre dâaffaires stable (ou en augmentation), ne paie plus (ou plus trop) dâavances aux auteurices et verse des salaires de misĂšre Ă ses employĂ©.e.s
.Bref, lâindustrie du livre sâinscrit pleinement dans le capitalisme outrancier en fin de vie que nous subissons actuellement.
Vouloir devenir Ă©crivain dans ces conditions, câest faire preuve dâun masochisme certain (ou dâun optimisme naĂŻf bien risible).
Mais comme le bon sens semble ĂȘtre une denrĂ©e tout aussi rare que la dĂ©cence (en tout cas, chez moi), nous continuons Ă cultiver ces chimĂšres.
Ce qui caractĂ©rise lâauteurice, câest sa capacitĂ© Ă croire quâiel va y arriver lĂ oĂč toustes les autres ont Ă©chouĂ©.
Cette conviction est louable et certainement admirable (mais un peu comme on admirerait un bĂątiment en feu, de loin).
Les conseils de Tonton Enzo pour réussir ta vie
Comme câest NoĂ«l et que, tu lâauras devinĂ©, je suis dâhumeur gĂ©nĂ©reuse, je me suis dit quâil fallait que je partage ici mes conseils pour devenir une auteurice pro au XXIĂš siĂšcle.
Si tu les suis, tu es garanti.e dây arriverâ!!!
Le mieux, câest de naĂźtre dans une famille riche de la rĂ©gion parisienne (ou expatriĂ©e Ă Londres).
Sois un homme blanc hĂ©tĂ©ro. Si tu ne peux pas, il faut lĂącher (dans cet ordre) : ton hĂ©tĂ©rosexualitĂ©, la blancheur de ta peau, tes testicules. Essaye de rester un homme quoi quâil arrive, tu iras toujours plus loin, mon fils.
Si vraiment tu nâas pas de bol et que tu nâes rien du point 2, ne dĂ©sespĂšre surtout pas. Femme blanche hĂ©tĂ©ro, câest pas trop mal non plus. Si tu ne tâappelles pas Marie-Chantal ou Marie-Eudoxie, mais plutĂŽt NoĂ»r ou Yasmine, prends un nom de plume
, ne mets aucune photo de profil et ne donne aucune interview.Tu refuses de cĂ©der au sexisme, au racisme et aux autres -ismes de notre sociĂ©tĂ©â? Et tu veux Ă©crire sur des expĂ©riences Ă©loignĂ©es de lâhĂ©tĂ©ronormeâ? Pas de problĂšme. Prends un sugar daddy (ou une sugar mamma). Refuse de te faire entretenir, tu dois impĂ©rativement lâĂ©pouser (ce nâest pas pour rien quâon a le mariage pour tous en France, bordel).
Tu souhaites ĂȘtre indĂ©pendant.eâ? Tu te compliques la vie inutilement. (Tu sais, faudrait apprendre Ă exploiter davantage que tu nâes exploitĂ©.e.)
Mais admettons que tu veuilles prĂ©tendre que ton succĂšs, tu te lâes gagné : dans ce cas, deviens prof. Tu nâas pas besoin dâaimer les enfants, de comprendre les difficultĂ©s dâapprentissage ou dâavoir un don pour la pĂ©dagogie. Suffit que tu aies Ă©tĂ© un bon Ă©lĂšve toi-mĂȘme. Si tu aimes les hiĂ©rarchies dysfonctionnelles, les conditions de travail hallucinantes et les burnouts, you're in for a treat.
Joue Ă lâEuromillions. Tes chances de gagner le jackpot sont bien plus importantes que celles dâĂȘtre un best-seller.
Travaille dans le secteur de lâĂ©dition. Exploite et sois exploitĂ©.e dans la joie et la bonne humeur. Dâailleurs, nâoublie pas de le dire Ă tout le monde : ce nâest pas un travail, câest une vocation. Bonus : tu pourras toujours placer tes manuscrits auprĂšs de tes nouveaux collĂšgues.
Forme les autres Ă devenir Ă©crivains. Si le common sense est rare, celleux qui aspirent Ă Ă©crire un roman ne le sont pas. Et si tu te sens dâhumeur mĂ©ta, forme les futurs formateurs.
NâĂ©cris pas un roman, oublie lâArt. Produis un contenu facilement adaptable pour le petit ou le grand Ă©cran, qui peut se dĂ©cliner en franchise. Sois la future J. K. Rowling (si tâes transphobe, tu as dĂ©jĂ pris une longueur dâavance sur les autres, ne te dĂ©courage pasâ!)
Deviens cĂ©lĂšbre dans un autre domaine. Le milieu de lâĂ©dition tâoffrira des ponts dâor. Tu nâes mĂȘme pas obligĂ©.e dâĂ©crire ton livreâ; un.e autre le fera Ă ta place.
Comme tu peux le voir, rien qui ne soit impossible. Avec de la dĂ©termination, un brin de folie et un sens de la rĂ©alitĂ© discutable, ton rĂȘve dâĂ©crire Ă temps plein est Ă portĂ©e de main.
Je tire ma rĂ©vĂ©rence sur ces pensĂ©es optimistes et positives, car tu me connais, jâaime voir le verre Ă moitiĂ© plein - mĂȘme quand il a Ă©tĂ© jetĂ© Ă la poubelle (heureusement quâil est recyclableâ!).
Je te souhaite de passer dâexcellentes fĂȘtes de fin dâannĂ©e avec celleux qui te sont proches et que tu aimes (famille de sang comme famille de cĆur).
Si la solitude te pÚse durant ces jours de joie imposée et que tes pensées jouent à cinquante nuances de noir, écris-moi. Je te répondrai.
So long,
Enzo
Et je crois quâon sait tous Ă quel point il est dĂ©sagrĂ©able de se faire pomper jusquâĂ la derniĂšre goutte. Si tu penses Ă ce que je pense, honte Ă toi.
Visiblement, la dĂ©cence, câest surfait : Harry & Meghan, câest du rĂ©chauffĂ©, mais quâest-ce que câest divertissantâ!
Il suffit de regarder la grĂšve actuelle chez HarperCollins Ă New York pour sâen convaincre.
Si tu Ă©cris dans certains genres, un pseudo masculin te sera dâune grande aide.