Nous vivons sous le joug du capitalisme. Qu’il soit devenu libéral, ultra-libéral, méta-libéral ou tout bonnement moribond ne change rien.
Nous servons un dieu appelé l’Économie, oubliant que nous l’avons créé à l’origine pour qu’il nous serve.
Nous ne sommes que des rouages dans cette grande machine dont le but est d’extraire, extraire, extraire. Pomper jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien1.
L’exploitation semble être devenue notre seul moyen d’appréhender le réel et notre environnement.
Ce qui est merveilleux avec le verbe exploiter, c’est qu’il se conjugue à toutes les personnes, et s’épanouit aussi bien à la voix active qu’à la voix passive. Dans notre société, j’exploite autant que je suis exploité. Et même si tu aimes prétendre le contraire, tu exploites, toi aussi, et tu es exploité.e.
L’être humain a un sens inné de la justice. L’idéologie, qui justifie l’exploitation, peut le bluffer un temps (parfois plusieurs siècles, il est vrai), mais sa patience finit irrémédiablement par s’user : toute exploitation abusive se termine donc par une révolte ou une révolution.
Exit la didacture. Exit la monarchie. Exit le colonialisme.
Exit le patriarcat (force à nous, on y croit).
Exploitation, jusqu’à quand abuseras-tu de notre patience ? (Cicéron)
De l’esclavage contemporain aux Kardashians, de la crise climatique à Elon Musk, côté dysfonctionnement horrifiant, the choice is limitless… On ne sait plus où donner de la tête.
Mais la décence devrait nous forcer à porter davantage d’attention aux conditions de travail dans certaines usines textiles d’Asie (qui nous habillent de pied en cap) qu’à la relation toxique qu’entretiennent Harry & Meghan avec les médias britanniques, ou avec la Famille Royale2.
Puisque je ne suis pas plus décent que Monsieur et Madame Toulemonde, je ne suis pas venu te parler de ces gamins de six ans qui cousent tes chaussures de sport ou qui fabriquent ces jouets que tu offriras, dans quelques jours, à tes enfants ou à tes neveux et nièces (Joyeux Noël, bien sûr).
Non, comme ça cause culture dans cette newsletter et que je suis accessoirement un écrivain (certain.e.s sont en droit d’en douter), je suis venu partager la dernière preuve de l’exploitation dans le secteur du livre outre-Manche (mais qui, je te rassure, s’applique également au secteur français).
Les écrivains, ces richoux
Il y a quelques jours, l’ALCS (Authors' Licensing and Collecting Society) a publié les résultats d’un enquête annuelle : les revenus des écrivains du Royaume-Désuni se sont cassé la figure (38 % de baisse depuis 2018). En moyenne, un écrivain professionnel gagne £7000 par an (8000 € environ). Depuis 2006, le nombre de ceux et celles qui vivent exclusivement de leur clavier est passé de 40 % à 19 %.
Comme dans d’autres industries, les inégalités se creusent : les revenus se concentrent entre les mains de certaines auteurices. 47 % des revenus vont à 10 % des auteurs. Les plus affectées sont évidemment les voix minorisées de la littérature (femmes, BIPOC, LGBTQ+, classes ouvrières, les provinciaux, etc., etc.).
L’industrie du livre, malgré ses chouineries régulières, se porte très bien. Elle multiplie le nombre de publications pour s’assurer un chiffre d’affaires stable (ou en augmentation), ne paie plus (ou plus trop) d’avances aux auteurices et verse des salaires de misère à ses employé.e.s3.
Bref, l’industrie du livre s’inscrit pleinement dans le capitalisme outrancier en fin de vie que nous subissons actuellement.
Vouloir devenir écrivain dans ces conditions, c’est faire preuve d’un masochisme certain (ou d’un optimisme naïf bien risible).
Mais comme le bon sens semble être une denrée tout aussi rare que la décence (en tout cas, chez moi), nous continuons à cultiver ces chimères.
Ce qui caractérise l’auteurice, c’est sa capacité à croire qu’iel va y arriver là où toustes les autres ont échoué.
Cette conviction est louable et certainement admirable (mais un peu comme on admirerait un bâtiment en feu, de loin).
Les conseils de Tonton Enzo pour réussir ta vie
Comme c’est Noël et que, tu l’auras deviné, je suis d’humeur généreuse, je me suis dit qu’il fallait que je partage ici mes conseils pour devenir une auteurice pro au XXIè siècle.
Si tu les suis, tu es garanti.e d’y arriver !!!
Le mieux, c’est de naître dans une famille riche de la région parisienne (ou expatriée à Londres).
Sois un homme blanc hétéro. Si tu ne peux pas, il faut lâcher (dans cet ordre) : ton hétérosexualité, la blancheur de ta peau, tes testicules. Essaye de rester un homme quoi qu’il arrive, tu iras toujours plus loin, mon fils.
Si vraiment tu n’as pas de bol et que tu n’es rien du point 2, ne désespère surtout pas. Femme blanche hétéro, c’est pas trop mal non plus. Si tu ne t’appelles pas Marie-Chantal ou Marie-Eudoxie, mais plutôt Noûr ou Yasmine, prends un nom de plume4, ne mets aucune photo de profil et ne donne aucune interview.
Tu refuses de céder au sexisme, au racisme et aux autres -ismes de notre société ? Et tu veux écrire sur des expériences éloignées de l’hétéronorme ? Pas de problème. Prends un sugar daddy (ou une sugar mamma). Refuse de te faire entretenir, tu dois impérativement l’épouser (ce n’est pas pour rien qu’on a le mariage pour tous en France, bordel).
Tu souhaites être indépendant.e ? Tu te compliques la vie inutilement. (Tu sais, faudrait apprendre à exploiter davantage que tu n’es exploité.e.)
Mais admettons que tu veuilles prétendre que ton succès, tu te l’es gagné : dans ce cas, deviens prof. Tu n’as pas besoin d’aimer les enfants, de comprendre les difficultés d’apprentissage ou d’avoir un don pour la pédagogie. Suffit que tu aies été un bon élève toi-même. Si tu aimes les hiérarchies dysfonctionnelles, les conditions de travail hallucinantes et les burnouts, you're in for a treat.
Joue à l’Euromillions. Tes chances de gagner le jackpot sont bien plus importantes que celles d’être un best-seller.
Travaille dans le secteur de l’édition. Exploite et sois exploité.e dans la joie et la bonne humeur. D’ailleurs, n’oublie pas de le dire à tout le monde : ce n’est pas un travail, c’est une vocation. Bonus : tu pourras toujours placer tes manuscrits auprès de tes nouveaux collègues.
Forme les autres à devenir écrivains. Si le common sense est rare, celleux qui aspirent à écrire un roman ne le sont pas. Et si tu te sens d’humeur méta, forme les futurs formateurs.
N’écris pas un roman, oublie l’Art. Produis un contenu facilement adaptable pour le petit ou le grand écran, qui peut se décliner en franchise. Sois la future J. K. Rowling (si t’es transphobe, tu as déjà pris une longueur d’avance sur les autres, ne te décourage pas !)
Deviens célèbre dans un autre domaine. Le milieu de l’édition t’offrira des ponts d’or. Tu n’es même pas obligé.e d’écrire ton livre ; un.e autre le fera à ta place.
Comme tu peux le voir, rien qui ne soit impossible. Avec de la détermination, un brin de folie et un sens de la réalité discutable, ton rêve d’écrire à temps plein est à portée de main.
Je tire ma révérence sur ces pensées optimistes et positives, car tu me connais, j’aime voir le verre à moitié plein - même quand il a été jeté à la poubelle (heureusement qu’il est recyclable !).
Je te souhaite de passer d’excellentes fêtes de fin d’année avec celleux qui te sont proches et que tu aimes (famille de sang comme famille de cœur).
Si la solitude te pèse durant ces jours de joie imposée et que tes pensées jouent à cinquante nuances de noir, écris-moi. Je te répondrai.
So long,
Enzo
Et je crois qu’on sait tous à quel point il est désagréable de se faire pomper jusqu’à la dernière goutte. Si tu penses à ce que je pense, honte à toi.
Visiblement, la décence, c’est surfait : Harry & Meghan, c’est du réchauffé, mais qu’est-ce que c’est divertissant !
Il suffit de regarder la grève actuelle chez HarperCollins à New York pour s’en convaincre.
Si tu écris dans certains genres, un pseudo masculin te sera d’une grande aide.