La version intégrale de ce journal est disponible dans mon jardin numérique, Sylves. La publication s’y fait au jour le jour.
J’applique ici l’orthographe rectifiée (good-bye les petits accents circonflexes !). Si une de ces entrées résonne tout particulièrement en toi, n’hésite pas à me le dire, ici ou sur les réseaux sociaux.
So long!
Enzo
Lundi 02 septembre
« Vous aimez vous imaginer maitre de votre destin, planifiant consciemment le cours de votre vie du mieux que vous pouvez. Mais vous ne vous rendez pas compte à quel point vos émotions vous dominent. Elles vous poussent vers des idées qui apaisent votre égo. Elles vous poussent à rechercher des preuves qui confirment ce que vous voulez déjà croire. Elles vous font voir ce que vous voulez voir, selon votre humeur, et cette déconnexion avec la réalité est la source des mauvaises décisions et des schémas négatifs qui hantent votre vie. La rationalité est la capacité à contrecarrer ces effets émotionnels, à penser au lieu de réagir, à ouvrir son esprit à ce qui se passe réellement, plutôt qu’à ce que l’on ressent. Elle n’est pas naturelle ; c’est un pouvoir que nous devons cultiver, mais ce faisant, nous réalisons notre plus grand potentiel. » (Robert Greene, The Laws of Human Nature)
Mardi 03 septembre
Pendant longtemps, et ça ne surprendra personne, j’ai préféré la vie des hommes du passé à celle de mes contemporains. Je dis « des hommes », car, bien évidemment, lorsqu’on se passionne d’Histoire, on est inondé d’exemples masculins ; les femmes sont absentes du récit historique. Elles ont été effacées, génération après génération, si bien qu’il ne reste plus grand-chose de ce qu’elles étaient. On les découvre à travers les mots des hommes, rarement à leur avantage, rarement dans toute leur complexité.
Parfois, je rêve à ce que seraient les études classiques si nous avions conservé davantage que quelques vers de Sappho… si nous pouvions entendre autre chose que les voix grincheuses des minerves rances, de ces sénateurs conservateurs (Carthago delenda est !) qui avaient un balai dans le fondement. Toute cette misogynie ! ce classisme !
Tout cela mériterait d’être contrebalancé par les écrits des femmes, leurs aspirations, leurs désirs, leurs ambitions, leurs rêves, leurs fantasmes, leurs manières uniques de voir le monde. Heureusement, c’est là que la fiction historique contemporaine entre en jeu : elle meuble les vides que l’Histoire a laissés ; elle donne à voir une image plus complète… et, j’ose dire, plus vraie.
Mercredi 04 septembre
Je crains que le nouveau gouvernement anglais, officiellement de gauche, ne nous déçoive très rapidement. D’ailleurs, je ne pense pas qu’il soit de gauche : leur attachement à la rigueur fiscale, à l’austérité budgétaire, les place automatiquement à droite de l’échiquier politique. En somme, nous avons retrouvé les conservateurs arrivés au pouvoir en 2010, sauf qu’ils s’habillent maintenant de rouge plutôt que de bleu. Cette décennie semble être faite pour nous décevoir chaque jour davantage.
Sinon, en France, toujours pas de premier ministre… Macron s’essaye à l’autocratie… nul doute que ça jouera en faveur de l’extrême droite.
Jeudi 05 septembre
Je lis sur le net que l’IA pourrait libérer l’écriture de la même manière que la photographie a libéré jadis la peinture, en lui permettant de s’éloigner de l’hyperréalisme servile.
On entend beaucoup de choses au sujet des IA et des LLMs, ces créations issues du Seigneur ou du Diable (the jury’s still out). Le sujet enflamme les passions, mais il me laisse froid. Le dernier à s’exprimer sur ce thème est Ted Chiang, l’écrivain américain de SF (Why AI isn’t going to make Art?), qui rappelle que sans intentionnalité, il n’y a pas d’art, que les choix que fait l’écrivain, c’est ce qui crée l’œuvre d’art. Faire appel à l’IA, c’est déléguer le cœur même de la création artistique. Le résultat est un vomi de mots, plus ou moins agréable à lire… mais qui, pour le moment en tout cas, ne berne pas les lecteurices : iels veulent encore les romans AOC écrits par des êtres de chair…
Mais les gouts changent et il n’est pas invraisemblable que certains genres stéréotypés, comme la romance, puissent un jour être produits par des IA. Comme avec la peinture et la photographie, il y aura deux marchés : une littérature écrite par des humains telle qu’on la connait encore de nos jours et une littérature commerciale et personnalisable imaginée par des artistes-prompteurs et produite par la machine. Ça ne choquera personne, car l’humain s’habitue à tout. Et nos descendants, quand ils se pencheront sur cette période troublée du début du XXIe siècle, ne comprendront pas nos cris de Cassandre.
Vendredi 06 septembre
Encore sonné par ce qui est arrivé en France. Comment a-t-on pu passer, en deux mois à peine, du front républicain à un Premier ministre validé par l’extrême droite ?
La droite bourgeoise est prête à tout pour rester au pouvoir, quitte à saccager les institutions républicaines et à chier sur le peuple (le sphincter de Jupiter a été très actif ces dernières heures). Même si le Nouveau Front Populaire n’avait pas ma sympathie, je serais révolté par ce déni de démocratie.
Lundi 09 septembre
Je vais me remettre à mes « pages du matin ». L’hiver se prépare, je le sens. Ça me donne envie de retrouver mes habitudes hivernales. Pour cela, j’ai acheté The Author Notebook de GLP Creations (via Amazon), qui propose non seulement un format parfait, mais aussi du papier Tomoe River (quand on écrit au stylo-plume, la qualité du papier importe énormément). Je crois que je le préfère au MD Notebook de Midori, dont la page est un peu trop large à mon gout (d’ailleurs, il faudra que j'utilise celui que j'ai pour autre chose : je n’en ai rempli qu’un quart). Midori reste une marque que j’affectionne beaucoup et que je recommande : la simplicité toute japonaise avec sa reliure caractéristique est ravissante.
Mardi 10 septembre
Pour ce qui est de la difficulté de lecture, il existe deux types de fantasy : le monde secondaire, entièrement inventé par l’auteurice, dont les codes et les particularismes doivent être mémorisés par les lecteurices ; et la fantasy urbaine, ou la romance paranormale (ce que l’on nomme en France « bit-lit »), qui se passe généralement sur Terre et dont le worldbuilding est réduit à quelques espèces surnaturelles (vampires, fées, loups-garous, etc.).
L’effort de lecture n’est pas le même, pas plus que le plaisir que l’on en retire, d’ailleurs.
La bit-lit est dans le camp de la lecture low cost, avec une défamiliarisation minime. Les amateurices de romances réalistes contemporaines peuvent, à peu de frais, s’aventurer sur les terres de l’imaginaire. Pour prendre la métaphore de la marche, il s’agit d’une balade sur terrain plat.
Par contre, l’histoire qui se passe dans un monde secondaire fait office de randonnée en montagne : l’effort n’est pas le même. D’ailleurs, certain·es lecteurices s’en tiennent éloignées, car iels n’aiment pas dépenser leur énergie à mémoriser les us et coutumes de peuples qui n’existent pas. Il faut avoir le gout de la difficulté, être heureux de ne pas savoir ou de ne pas comprendre pendant plusieurs pages ou chapitres. Cela demande une disposition d’esprit particulière. It’s an acquired taste.
Bien évidemment, la difficulté de lecture n’est en rien proportionnelle à la qualité littéraire — et on trouve du bon comme du mauvais dans ces deux types de Fantasy. À titre personnel, j’apprécie les deux, même s’il est vrai que je ne m’engage plus dans un monde secondaire avec insouciance et désinvolture. Quand la lecture requiert davantage d’effort, je préfère m’assurer qu’elle me procurera un plaisir supérieur. C’est bien le minimum.
Mercredi 11 septembre
Threads met en avant la part d’ombre du milieu de l’édition et de l’écriture : ça chouine, ça s’émeut, ça s’agace. Ça forme des tribus artificiellement et ça polémique pour le plaisir.
Comment pourrait-il en être autrement quand on voit l’état actuel du secteur, aussi bien dans l’Hexagone que dans l’Anglophonie ? Le tableau est loin d’être glorieux. Il laisse un gout amer dans la bouche.
Mais pour des lecteurices qui n’écrivent pas et qui ne sont pas intéressé·es par l’envers du décor, je me demande quelle image nous leur donnons. N’est-il pas préférable de maintenir l’illusion ?
Jeudi 12 septembre
Je me suis fixé une règle toute simple : je ne réponds à aucun sondage de satisfaction si je n’obtiens rien en échange (le minimum étant un tirage au sort pour gagner un coupon cadeau). Comme pour tout le monde, mon temps est très précieux. Je ne vois pas pourquoi je le perdrais à graisser la machine du capitalisme.
Vendredi 13 septembre
Déjà, les arbres sont teintés d'ors, de bruns et d'orange. Bientôt, je pourrai voir le parc dans toute sa nudité hivernale.
Lundi 16 septembre
I Hear the Sunspot (2024) est un très beau BL japonais, avec de bons acteurs et un bon scénario, adapté du manga éponyme, mais, si on le juge d’après les critères du BL seul, c’est une série décevante : les protagonistes s’embrassent une seule fois, hors-champ, et ils ne déclarent leur amour qu’à la toute fin du dernier épisode, si bien qu’on ne les voit pas ensemble. Du coup, difficile de ne pas espérer une saison 2 qui satisferait davantage les amateurices de romance.
En somme, en l’état, plutôt qu’un BL, c’est une bromance glorifiée.
Mardi 17 septembre
C’est peut-être parce que la Corée du Sud est un pays conservateur et misogyne que la romance occupe une place importante dans la production artistique nationale.
Il faudrait alors voir la romance comme un outil de propagande qui maintient la femme, à travers des modèles, des aspirations et des fantasmes stéréotypés, dans une dynamique particulière, le plus souvent à son désavantage.
À priori, l’homme semble tirer profit de cette représentation genrée rétrograde, mais il faudrait être bête pour croire qu’il n’est pas, lui aussi, victime de la romance et de son imaginaire.
Mercredi 18 septembre
Outil d’oppression de l’hétéronorme, la romance, si elle est subvertie, peut être un outil de libération.
Le BL offre aux créateurices un espace où l’on peut s’éloigner des clichés romantiques afin d’expérimenter. Entre deux hommes, les dynamiques et les rôles sont radicalement différents ; vouloir reproduire les schémas genrés traditionnels devient vite ridicule.
C’est certainement pour cela que beaucoup de femmes aiment lire du BL et en écrire : l’hétéronorme qui régit leur vie y est moins pressante, leur liberté plus grande.
Jeudi 19 septembre
D’un point de vue queer, le BL n’est utile que parce qu’il permet une visibilité plus grande et banalise l’image de deux hommes qui s’embrassent. Il permet de faire avancer les droits de la communauté LGBTQ+ dans certains pays, comme c’est le cas en Thaïlande.
Mais son conformisme sulfureux (!) est étrange : il reflète une image assez déformée de la réalité, le plus souvent aseptisée. On s’y reconnait sans s’y reconnaitre. C’est comme si on lisait une histoire écrite par des hétéros pour des hétéros. Wait…
C’est exactement cela : parce que les préoccupations de la romance sont, par définition, hétérocentrées (couple, mariage, enfants), il y a peu de place pour les véritables interrogations des queers. Évidemment, il y a des couples gays qui souhaitent fonder une famille, mais, en réalité, la majorité ne le fera pas. Quand le couple n’a pas pour but de fonder une famille, sa nature change… et les questions que l’on se pose à son sujet diffèrent pareillement.
Lorsqu'on se trouve hors de l’hétéronorme (qui est semblable à une grande autoroute sur laquelle on peut aller à toute vitesse sans réfléchir), il faut apprendre à tracer son propre chemin. La douleur de ne pas être comme tout le monde s’accompagne d’une liberté vertigineuse et du devoir de donner sens à son existence.
Si le BL était écrit plus souvent par des queers pour des queers, il offrirait une plus grande diversité dans son approche. J’aime à croire que le genre interrogerait davantage l’amour sous toutes ses formes et ne se contenterait pas, par exemple, de raconter la première rencontre.
Vendredi 20 septembre
J’envie ces auteurices qui ne se posent pas de questions et qui écrivent leurs histoires comme si leur vie en dépendait.
Pour ma part, je doute, je me questionne, je tergiverse. Les années peuvent passer sans que j’aie écrit une seule ligne… En ce moment, ma bouée de secours, c’est ce Journal. Ça fait un an et demi que je le tiens. (Mon endurance est admirable, n’est-ce pas ? Peut-être que je mérite même une médaille !)
Mes envies débordent du simple cadre du roman : j’ai envie d’écrire des essais, des poèmes, des récits. Je me vois davantage comme écrivain que comme romancier. Ce qui me complique la vie : le champ des possibles est plus vaste et je suis incapable de faire des choix. Ne nous étonnons pas si je procrastine pendant des lustres.
Et puisque je parle de lustre (= une durée de cinq ans), l’année prochaine, cela fera un lustre entier que je n’ai rien publié de nouveau.
Lundi 23 septembre
Si je n’écris pas dans ce Journal le weekend depuis quelques semaines, ce n’est pas parce que j’ai découvert le secret de l’équilibre travail-vie personnelle. Non. C’est juste que je suis sec : aucune inspiration. Je ne sais pas de quoi parler.
En compagnie de mes chats, je regarde les feuilles tomber au sol tout en me demandant comment je vais survivre à un nouvel hiver. D’habitude, c’est le moment de l’année où je me plonge boulimiquement dans la lecture. Il y a dix ans, je dévorais les YA ; il y a deux ans, c’était les romances MM. Aujourd’hui, je peine à lire un paragraphe.
Le point positif, c’est que l’envie peut revenir à tout moment : il suffit d’une histoire pour relancer la machine. En attendant, je regarde des séries asiatiques : le plaisir que je retire du storytelling est toujours présent, c’est juste qu’il m’est donné par un autre médium. Avec l'âge, j'apprends à ne rien forcer et à prendre la vie telle qu'elle vient.
Mardi 24 septembre
À quel point fantasmons-nous notre vie, au lieu de la vivre pleinement ?
Il m’apparait souvent que nous cultivons davantage nos fantasmes qu’une vision claire de la réalité et de ses possibles. C’est le problème avec un cerveau qui préfère vivre tantôt dans le passé (regrets, nostalgie) tantôt dans le futur (projets, aspirations, objectifs). Au final, nous habitons rarement le moment présent et la vie passe sans que l’on s’en aperçoive.
Mercredi 25 septembre
« Je crois en l’abolition de la peine de mort pour le bien de personnes comme Marcellus Williams — des hommes innocents, accusés à tort et disculpés par des preuves ADN ultérieures. J’y crois pour le bien des juges et des bourreaux. J’y crois pour les familles des victimes. L’administration de la mort nous rend plus barbares, plus endurcis et moins justes. Je pense que c’est cet endurcissement qui a conduit à l’exécution de Marcellus Williams la nuit dernière — un haussement d’épaules collectif de personnes qui se sont dit : “Eh bien, que pouvons-nous faire ? C’est ainsi que les choses sont faites”. »
– Courtney Milan, newsletter du 25/09/2024
Jeudi 26 septembre
La politique en ce moment, des deux côtés de la Manche, a des airs d’automne : ça jaunit, ça tombe, ça moisit. Et les espoirs des électeurices sont balayés pour finir au compost.
Vendredi 27 septembre
Une des joies de ce début du 21e siècle :
« Le marché détourne nos intentions morales pour les intégrer à sa propre logique. Nos actions vertueuses, comme acheter éthique ou utiliser des voitures électriques, finissent souvent par créer d’autres désastres. L’éthique devient parfois perverse, en renforçant le système qu’elle prétend corriger. » (Estelle Ferrarese)
Lundi 30 septembre
Je ne pense pas que l’écrivaine doive tout mâcher pour le lecteur. Il est vrai qu’on écrit pour être lu, mais l’exactitude et la richesse du vocabulaire l’emportent (à mon avis) sur la facilité de lecture.
Il n’y a aucune honte à ne pas connaitre un mot : c’est pour cela que les dictionnaires existent. Ils sont nos amis ; ils ne sauraient nous menacer.
L’une des plus grandes joies de la lecture, c’est de voir son vocabulaire s’étendre dans certains domaines, se renforcer dans d’autres ; c’est d’apprendre un nouveau mot, une nouvelle définition chaque jour.
C’est comme participer à un jeu, sans condition d’entrée préalable, stimulant et sans fin, dont l’auteur est le maitre malgré lui. Ça se joue à tous les niveaux : même la plus cultivée des lectrices apprendra de nouveaux mots ou corrigera une définition erronée.
L’autre jour, j’ai ainsi appris l’existence du verbe amodier, qui désigne l’acte de céder l’exploitation d’un bien en échange d’une redevance. Si je devais l’employer un jour (ce dont je doute toutefois), ce ne serait pas pour faire étalage de mon érudition ou tenter vainement de montrer ma supériorité, mais ce serait parce que le texte l’exige, parce que la situation décrite appelle cette définition précise.