Tu peux trouver la version éditée complÚte de ce journal sur mon site internet.
La version intĂ©grale (fautes et anglicismes inclus) est disponible dans mon jardin numĂ©rique, Sylves. La publication sây fait au jour le jour.
Jâapplique ici lâorthographe rectifiĂ©e (good-bye les petits accents circonflexes !).
So long!
Enzo
Dimanche 01 octobre
LâidĂ©al est lâennemi de lâartiste, car il est impossible Ă atteindre. La frustration et lâamertume quâil suscite ne sont pas de bonnes compagnes dâĂ©criture. Seul devrait importer ce qui est rĂ©alisable. (Tel choix est-il meilleur que tel autreâ?)Â
Quand on juge son Ćuvre, on ne la juge pas par rapport Ă lâimage idĂ©alisĂ©e quâon sâen faisait avant de commencer, mais Ă travers toutes ces possibilitĂ©s que lâon a Ă©cartĂ©es, car elles ne nous semblaient pas convenir sur le moment.Â
Nos capacitĂ©s sont limitĂ©es. Et notre jugement, sâil ne veut pas ĂȘtre injuste, doit en tenir compte.Â
La question nâest pas : ai-je Ă©crit le futur Prix Goncourtâ?
Mais plutĂŽt : dans les limites de mes capacitĂ©s actuelles, ai-je fait de mon mieuxâ?
Lundi 02 octobre
Ă Sheffield, lâautomne est dĂ©jĂ bien installĂ©. Il faut rallumer le chauffage et supporter le raccourcissement des jours. Les arbres commencent Ă faire leurs adieux Ă leurs feuilles. Chaque jour, mon humeur Ă©volue de maniĂšre subtile. Ma motivation sâamollit et je ne rĂȘve plus que dâune chose : regarder des sĂ©ries dans mon lit, au chaud.
Mardi 03 octobre
Je sens quâĂ©volue en moi la dĂ©finition de ce qui est littĂ©raire. Je me dĂ©tache petit Ă petit de lâidĂ©e du «âbien Ă©critâ», de cette vision assez XIXe siĂšcle de la littĂ©rature. Je mesure Ă quel point mes Ă©tudes de lettres ont façonnĂ© mon gout et mes attentes dans ce domaine. Mais ma prĂ©sence en terre Ă©trangĂšre, lĂ oĂč les lectures en français se font rares, me dĂ©tache petit Ă petit de certaines attentes sur le style. Je mâanglo-saxonnise pour ainsi dire.
Jâattends du français quâil soit comme lâanglais, câest-Ă -dire quâil permette de dĂ©crire lâaction avec efficacitĂ© et Ă©lĂ©gance. MalgrĂ© ce que certains peuvent en dire, le français demeure une langue rhĂ©torique. Dâailleurs, il suffit de lire un thriller français Ă©crit Ă la mode amĂ©ricaine pour sâen convaincre : le style est plat. Deux pages de ce rĂ©gime-lĂ , et on a envie de se tirer une balle.
La phrase naturelle en français est plus longue, plus mĂ©andreuse. Il faut souvent des pĂ©riphrases pour exprimer ce que lâanglais dit en un verbe.Â
Car la richesse de lâanglais se trouve dans ses verbes et ses prĂ©positions, qui vont droit au but.
Twinkle, sparkle, shine, shimmer, glitter. Get at, get away with, get by, get down, get off, get on, get on with, get out of, get over, get through, get up, get up to. Give up, give in, give away, etc.
Mercredi 04 octobre
Contrairement Ă ce quâon pourrait croire, je nâai pas une vision essentialiste des langues. Je considĂšre quâune langue peut tout faire, mais quâune nation ou une culture, avec le tempĂ©rament qui lui est propre, en dĂ©veloppe certains aspects et en dĂ©nigrent dâautres. Elle forme un gout qui lui est propre. En retour, la langue renforce ces tendances.
Quand je dis que le français est une langue rhĂ©torique et lâanglais une langue dâaction, ça ne veut pas dire que lâanglais est incapable dâeffets rhĂ©toriques ou quâon ne saurait agir quand on pense en français.Â
(Cette affirmation nâa dâailleurs rien de scientifique. Il sâagit de lâimpression de quelquâun qui a vĂ©cu plus dâune dĂ©cennie dans un pays Ă©tranger et dont le quotidien se fait dans les deux langues.)
Je veux dire par lĂ que les attentes ne sont pas les mĂȘmes quand on Ă©crit en français et quand on Ă©crit en anglais. Ce qui est «âbien Ă©critâ» en anglais peut apparaitre comme pauvre ou de mauvais gout en français. (Pour sâen convaincre, il suffit de lire certaines traductions qui se montrent trop fidĂšles Ă lâanglais original et donnent Ă lire un style tellement pauvre que la lecture en est douloureuse.)Â
Lâuniversitaire François Grosjean lâa aussi remarquĂ©Â :Â
«âI quickly realized that my writing style, very much influenced by my years of writing in English, simply had to become more French. I usually write short sentences with few clauses but written French requires far longer sentences with many subordinate clauses. In addition, written French usually takes on an impersonal, rather formal, tone. For example, I simply didnât feel I could give personal examples the way I do in English.â» (A Bilingual Challenge)
Jeudi 05 octobre
Ces derniers jours, je me suis demandĂ© pourquoi je nâĂ©crivais pas davantage en anglais⊠Pourquoi, dans ma pratique crĂ©ative, je nâavais pas ajoutĂ© cet outil Ă ma panoplie.Â
AprĂšs tout, jâutilise cette langue au quotidien en contexte professionnel et dans toutes mes interactions avec mon mari. JâĂ©cris des centaines dâemails, rĂ©dige de la documentation technique, forme des collĂšgues, gĂšre la communication dans mon Ă©quipe (apprĂ©ciez lâironie de ma situation â moi qui ai Ă©tĂ© le seul Ă©tranger durant longtemps). Mes lectures se font en anglais, mĂȘme une partie de mes pensĂ©es passent par cette langueâŠ
Mais jâai reçu une Ă©ducation française oĂč le «âcan doâ» doit cĂ©der le pas Ă la correction irrĂ©prochable : ne sâexprime que celui ou celle qui est certain·e de ne faire aucune faute. Je vis encore avec ce carcan mental⊠Je mâinhibe tout seul. Je nâose pas (ou trĂšs peu)â; je considĂšre que «âje nâai pas le niveauâ».
Objectivement, mon anglais est meilleur que celui de nombreux natifs dans certains domaines (Ă©tendue du vocabulaire, par exemple, ou connaissances grammaticales) et moins bon dans dâautres (lâintuition de la langue, la maniĂšre naturelle et spontanĂ©e dâexprimer une pensĂ©e, etc.) : bref, rien de plus normalâŠÂ
Je nâai pas la prĂ©tention de vouloir Ă©crire un roman en anglais, mais je me suis toujours dit quâĂ©crire de la «ânon-fictionâ» Ă©tait faisable, avec assez de pratique. Beaucoup dâallophones le font dĂ©jĂ , avec un succĂšs certain (je peux citer Anne-Laure Le Cunff dont je lis toujours les newsletters avec beaucoup dâintĂ©rĂȘt). Les auteurices exophones existent. Iels sont plus nombreux quâon ne le pense.
Mais la question demeure : quâest-ce qui me retientâ?
Vendredi 06 octobre
Il faut regarder plusieurs sĂ©ries romantiques japonaises (souvent dâune qualitĂ© discutable â leur imaginaire romantique est vraiment diffĂ©rent du nĂŽtre) avant de trouver la bonne.Â
Le saut qualitatif peut ĂȘtre immense : on passe dâune simple histoire de boy meets girl avec des tropes chelous Ă une sĂ©rie mature oĂč tout est montrĂ© avec finesse et profondeur, oĂč le jeu des acteurs et la scĂ©nographie sont impeccables.Â
Câest exactement ce que jâai ressenti hier soir en commençant : Is love sustainable? Je n'ai eu besoin que de la moitiĂ© du premier Ă©pisode pour prendre conscience que jâavais trouvĂ© un petit bijou, comme seuls les Japonais savent les faire.
Samedi 07 octobre
Ce qui rendait Oxford magique, ce nâĂ©tait pas seulement ses superbes colleges, ni sa bibliothĂšque municipale au fond incroyable (je nâai jamais eu lâoccasion dâutiliser la Bodleian, la bibliothĂšque universitaire dâOxford), mais câĂ©tait son ÂŁ2 Bookshop (qui est devenu un ÂŁ3 Bookshop vers la fin) dans New Inn Hall Street, Ă quelques pas de St Peterâs College.Â
Pour deux livres sterling (puis trois), on pouvait trouver des livres, invendus ailleurs, souvent de la poĂ©sie mais pas seulement, toujours du neuf en excellent Ă©tat. Quelque chose dâimpensable en France avec son prix unique (condamnant des stocks entiers au pilon).Â
Jâai fait quelques dĂ©couvertes : la rĂ©Ă©criture du Ramayana par Daljit Nagra chez Faber and Faber (ÂŁ18.99 RRP) ou The Death of King Arthur de Simon Armitage (Ă lâĂ©poque, il nâĂ©tait pas encore le Poet Laureate, mais il Ă©tait sur le point de devenir Oxford Professor of Poetry), publiĂ© chez le mĂȘme Ă©diteur (ÂŁ12.99 RRP). Câest aussi lĂ que jâai achetĂ© quelques romans dâAlan Hollinghurst. Mon mari y a trouvĂ© ses Ă©ditions dâOscar Wilde.
Au final, le ÂŁ3 Bookshop a dĂ» fermer ses portes â certainement quand le propriĂ©taire a voulu augmenter le loyer. Il a Ă©tĂ© remplacĂ© par... un magasin de rĂ©paration de tĂ©lĂ©phone. Une allĂ©gorie pour nos temps modernes.
Heureusement, les propriĂ©taires avaient une autre librairie : The Last Bookshop dans le quartier de Jericho, toujours ouverte si jâen crois Google. Pour une raison qui mâĂ©chappe, celle-ci mâenchantait moins.
Ma vie Ă Oxford Ă©tait loin dâĂȘtre parfaite : tout y Ă©tait cher et, par consĂ©quent, on ne pouvait pas y faire grand-chose⊠Mais jây ai Ă©tĂ© trĂšs heureux, bien plus heureux que je ne le suis Ă Sheffield, oĂč la vie est plus douce et les finances meilleures.Â
Au final, jâen viens Ă me dire que mon bonheur est proportionnel au nombre de librairies que jâai autour de moi⊠Et Ă ce titre, Oxford, câĂ©tait le paradis.
Dimanche 08 octobre
Pour quelquâun qui va toujours de lâavant, sans jamais se retourner, est-il possible de revenir sur ses pas et retrouver le bonheur quâil a Ă©garĂ©â?
Lundi 09 octobre
Twitter-X se dĂ©grade. Câest un fait. Muscadet enlĂšve les fonctions utiles les unes aprĂšs les autres, avec pour objectif clair de rendre lâexpĂ©rience de lâutilisateurice plus dĂ©sagrĂ©able.Â
DerniĂšre en date : la disparition des titres dâarticles de presseâ; seule lâimage subsiste. On ne se rend mĂȘme plus compte que câest un lien vers un article. Il veut que nous restions sur sa plateforme Ă tout prix, mais il ne fait rien pour rendre lâenvironnement agrĂ©able.
On se croirait en Angleterre oĂč, depuis le Brexit, la situation empire⊠à la tĂȘte du pays, des proto-fascistes qui nâont aucune idĂ©e de ce que veut dire «âservir la Nationâ».Â
Je vois les parallĂšles entre Twitter et Brexitland⊠mais si je suis incapable de quitter une plateforme, comment puis-je croire que je quitterai un paysâ?
Mardi 10 octobre
Pour lâauteurice, le plus difficile est dâoublier lâinspiration originelle, les reflets chatoyants de son imagination, pour ne juger que le produit final.
Laisser de cĂŽtĂ© ses envies et ses ambitions. Ne considĂ©rer que le texte Ă©crit et ce quâil raconte. Voir son potentiel, et lâamĂ©liorer dans ce sens. Faire le deuil de tout ce que le projet ne sera pas, de toutes ces Ă©motions, ces passions, ces idĂ©es qui se seront Ă©garĂ©es avant que dâĂȘtre couchĂ©es sur la page.
Accepter que ce monde en technicolor, si beau, si inspirant dans notre esprit, ne puisse ĂȘtre traduit quâen nuances de gris.
Mercredi 11 octobre
Jâadmire celleux qui ont un boulot alimentaire et savent sâen satisfaire. Ils privilĂ©gient leurs loisirs ou leur famille. Le reste nâa pas dâimportance.
J'en suis incapable. Je ne peux pas ignorer sept heures de ma journĂ©e : jâai besoin que mon travail me stimule, sans quoi je me dĂ©sespĂšre rapidement.
Je pourrais me concentrer entiĂšrement sur ma carriĂšre dâĂ©crivain auto-Ă©ditĂ©. Mais je nâaime pas mettre tous mes Ćufs dans le mĂȘme panier.Â
Peut-ĂȘtre suis-je trop ambitieux. Je veux tout : un mĂ©tier Ă©panouissant et une activitĂ© artistique florissante.Â
Jâai fini par comprendre que lâun ne deviendrait jamais lâautre et quâil me faudrait toujours travailler en parallĂšle de mon Ă©criture. Mais il est hors de question que je privilĂ©gie lâun par rapport Ă lâautre.Â
Est-ce cela quâon appelle courir plusieurs liĂšvres Ă la foisâ?
Jeudi 12 octobre
La passion amoureuse nâest pas la base dâune relation durable. Câest ce qui disparait le plus vite. Vaut mieux chercher la comprĂ©hension et la collaboration : lâamour, avant tout, est un partenariat.
Mon couple mâapaise. Je suis moins inquiet depuis que je suis avec mon mari. Nous avons chacun nos habitudes. Nous faisons mĂȘme chambre Ă part la plupart du temps. Notre relation ne ferait certainement pas rĂȘver les lecteurices de romance. Mais le partenariat fonctionne : Ă deux, nous sommes plus solides, nous allons plus loin.
Comme je considĂšre que lâamour est pĂ©rissable, je ne sais pas si nous resterons ensemble toute notre vie. Mais les annĂ©es que nous aurons passĂ©es cĂŽte Ă cĂŽte auront Ă©tĂ© confortables, sans trop de disputes, avec beaucoup de complicité⊠Nous aurons Ă©tĂ© dâexcellents compagnons de route, qui avaient pour seule mission de rendre le voyage (pour lâautre et pour soi) plus agrĂ©able.
Vendredi 13 octobre
Il arrive un moment oĂč un acteur de BL ne peut plus jouer le rĂŽle dâun adolescent. Singto est un bon exemple. Ă 29Â ans, on devrait arrĂȘter de lui proposer ce type de projet.Â
Je sais que le BL nâa pas vocation Ă ĂȘtre rĂ©aliste, mais quand mĂȘmeâŠÂ
Ăvidemment, le problĂšme se retrouve aussi chez les AmĂ©ricains⊠Tous ces adultes bodybuildĂ©s qui voudraient nous faire croire quâils ont seize ansâ! Sait-on encore Ă quoi ressemble un vrai adolescentâ?Â
Donnez donc leur chance Ă de jeunes acteursâŠ
Samedi 14 octobre
MalgrĂ© le soleil resplendissant, les tempĂ©ratures sont tellement fraiches (comprendre : froides) que câest un weekend Ă passer sous la couette.
Jâai donc achetĂ© Arthur and Teddy Are Coming Out de Ryan Love, qui me faisait de lâĆil depuis sa sortie en grand format en avril dernier.Â
Ce roman raconte lâhistoire dâun grand-pĂšre et dâun petit-fils sur le point de faire leur coming out Ă leur famille. Ce nâest pas une romance gay, mais plutĂŽt une tranche de vie familiale. Un roman feel-good, qui finit bien. Original aussi, car lâun des protagonistes a 80 ans : les sĂ©niors sont sous-reprĂ©sentĂ©s en littĂ©rature (surtout dans la littĂ©rature gayâ!).
Jâai passĂ© une excellente aprĂšs-midi Ă lire ce premier roman de Ryan Love. Malheureusement, la fin nâest pas aussi bien rĂ©ussie que le reste du roman : câest assez brouillon⊠La storyline dâArthur est parfaite, mais celle de Teddy part dans tous les sens. On pourrait argumenter quâelle est Ă lâimage de la vie : mĂ©andreuse, incertaine, avec de nombreux ratĂ©s⊠mais, dans ce cas, je pense plutĂŽt que lâauteur nâĂ©tait pas en maitrise de son intrigue. A-t-il manquĂ© dâinspirationâ? Avait-il une deadline qui lâa obligĂ© Ă tout finir rapidementâ?Â
Quoiquâil en soit, Ryan Love sâaffirme comme un auteur prometteur de littĂ©rature gay, et je lirai certainement son prochain roman.
Dimanche 15 octobre
Straight as a Jalebi est une romance gay de de Ritu Bhatal, une autrice anglaise dâorigine indienne. Il sâagit du second tome de sa sĂ©rie Rishtay, publiĂ© en juin 2023. Le troisiĂšme tome est prĂ©vu pour lâannĂ©e prochaine.
Si le premier roman de la sĂ©rie suivait Aashi, la seule fille de la famille, le second tome a pour personnage principal Sunny (son frĂšre ainĂ©) et Milan, un riche designer de New Delhi. Lâaction se passe en 2000, entre lâAngleterre et lâInde.
Je me plains rĂ©guliĂšrement de lâaspect trĂšs gĂ©nĂ©rique des romances MM : quand on en lit beaucoup, les personnages, les lieux et les situations deviennent interchangeables. Beaucoup de romances sont identiques, un peu creuses. AussitĂŽt lues, aussitĂŽt oubliĂ©es.
Straight as a Jalebi fait office dâexception Ă la rĂšgle : cette histoire, trĂšs bien Ă©crite, est originale. Elle dĂ©peint la communautĂ© indienne de Birmingham au dĂ©but du nouveau millĂ©naire. Elle introduit ses lecteurices dans un monde que lâon voit trop rarement reprĂ©sentĂ© dans les romances. Avec beaucoup dâhumour et dâamour, elle montre la vie de ces familles dâimmigrĂ©s, de ces jeunes gĂ©nĂ©rations qui doivent apprendre Ă composer avec les mariages arrangĂ©s et les traditions farfelues de leurs parents, oncles et tantes.Â
Nous vivons un moment de notre histoire oĂč certains proto-fascistes affirment que le multiculturalisme en Angleterre est un Ă©chec. VoilĂ une romance qui, vĂ©ritable doigt dâhonneur fait Ă notre ministre de lâIntĂ©rieur, Suella Braverman, rappelle que la sociĂ©tĂ© anglaise, avec ses nombreuses communautĂ©s dâimmigrĂ©s, est riche de cette diversitĂ©. And we are all the better for it.
Lundi 16 octobre
Câest Ă©videmment le plus difficile : Ă©crire une romance dont les personnages, les lieux et les situations soient assez originaux pour laisser une impression durable chez les lecteurices.
Une histoire qui, si on changeait tel ou tel Ă©lĂ©ment, ne tiendrait plus la route. Combien de romances ai-je lu qui, se passant Ă New York, auraient pu avoir pour cadre une mĂ©tropole sans nomâ?Â
De mĂȘme pour la personnalitĂ© des protagonistes. Certes, câest mieux quand les lecteurices sâidentifient Ă lâun ou lâautre, voire les deux⊠mais ce nâest pas une excuse pour Ă©crire des personnages en carton-pĂąte, tellement fades quâils en deviennent gĂ©nĂ©riques. Je veux les sentir vivre sur la page. Les aimer. Les haĂŻr. Savoir instinctivement quâils ne pourraient pas ĂȘtre les protagonistes dâune autre histoire.
Mardi 17 octobre
Il me semble quâil existe une rĂšgle implicite Ă toutes les littĂ©ratures de genre : la variĂ©tĂ© (ce que certain·es appellent aussi lâoriginalitĂ©).
Ă partir dâune sĂ©rie dâaliments imposĂ©s (les tropes du genre), lâauteurice cuisine une histoire qui doit, Ă la fois, ĂȘtre familiĂšre et originale.
Mais aprĂšs la lecture de Straight As a Jalebi, il me parait Ă©vident que le genre de la romance propose toujours le mĂȘme type de personnages : des hommes blancs, (trĂšs) riches et (trĂšs) beaux.Â
Le but, câest de vendre du fantasme. Il est donc normal quâun certain type de protagonistes sâimpose⊠Mais on peut sâĂ©tonner que la romance gay ne soit pas plus diverse que ça. Il existe des exceptions, Ă©videmment, mais câest ce quâelles sont : des exceptions.Â
Des romances qui se passent dans dâautres cultures, ou avec des personnages issus dâautres cultures, sont assez rares. Je nâinvite pas mes collĂšgues Ă faire de lâappropriation culturelle. Non, mais on est en droit de se demander pourquoi nous nâavons pas davantage dâauteurices qui viennent de milieux sociaux et ethniques plus variĂ©s.
Alors quâon dit que lâamour est universel, pourquoi ne reprĂ©sentons-nous quâun seul type dâamourâ? Pourquoi nos personnages sont-ils les plus beaux, les plus riches, les plus accomplisâ? OĂč se trouve la diversitĂ©â?
Je suis de celleux qui Ă©crivent ce genre de personnages. Je ne jette donc pas la premiĂšre pierre. Mais je mâinterrogeâŠ
Mercredi 18 octobre
De la mĂȘme maniĂšre que la Fantasy dĂ©peint un monde ultra-conservateur, le plus souvent aristocratique, la romance gay sert dâoutil de propagande Ă lâhĂ©tĂ©ronormativitĂ©, qui place les relations de couple exclusives au centre de ses prĂ©occupations. Câest ce quâon pourrait appeler une «âromance simili-queerâ» : câest gay, ça sâenrubanne des couleurs de lâarc-en-ciel, mais le message principal reste hĂ©tĂ©ro.
Jeudi 19 octobre
Je suis un Ă©crivain (et un lecteur) impatient : je ne supporte pas les longueurs. Je ne sais pas prendre mon temps. Ăa doit aller droit au but. Ce qui est un problĂšme quand je dois mettre en place lâintrigue, point par point.
Vendredi 20 octobre
GrĂące Ă ma boulimie de lectures actuelle, je me tiens Ă©loignĂ© de Twitter-XâŠÂ
Je pourrais presque mâen passer.Â
Ces derniĂšres semaines, sans la communautĂ© du BL asiatique, je nâaurais eu aucune raison de visiter la plateforme.Â
Est-ce la fin de ma prĂ©sence sur Twitterâ? Pas encore, mais je sens que ce moment fatidique approche⊠Avec Muscadet aux manettes, ce nâĂ©tait quâune question de temps avant que cela nâarrive.
Samedi 21 octobre
Homme de peu de foi, si je devais choisir entre un mariage civil et un mariage religieux, mon choix serait vite fait. (Ăvidemment, en France, on ne choisit pas : le passage Ă la mairie est obligatoire et le seul qui compte aux yeux de lâĂtat. Mais ce nâest pas le cas en Angleterre.)
Certes, une Ă©glise, un temple ou une cathĂ©drale offrent un cadre plus impressionnant quâune mairie, mais ce qui rend ces lieux si spĂ©ciaux, câest la foi des croyants. Et quand on nâen a pas, la magie nâopĂšre pas. Il nây a aucune Ă©motion Ă voir un couple prononcer des vĆux de noces devant un dieu, quand on ne croit pas en lui.
Peut-ĂȘtre serait-ce diffĂ©rent si la religion en question mâĂ©tait plus ou moins inconnue, si son aspect mystĂ©rieux renforçait lâimpression de sacré⊠Un peu comme quand on visite un temple bouddhiste ou un sanctuaire shinto. Mais le catholicisme me laisse froid comme une Ă©glise.
Dimanche 22 octobre
Cette chatte, qui souffre du coryza et qui vit dans le hameau familial, est la plus laide qui existe, car elle ne peut pas nettoyer son pelage⊠Elle qui Ă©tait naturellement blanche, la voilĂ grise et marron. Sa respiration est difficile, mais ça ne lâempĂȘche pas de ronronner⊠Elle semble ne vivre que pour deux choses : la nourriture et les cĂąlins.
Mais, comme elle pue, personne ne veut la toucher⊠Sweet tragedy.
Lundi 23 octobre
Un jour, jâĂ©crirai certainement une romance gay oĂč le personnage principal est laid. La plupart des romances nous vendent des hommes parfaits, Ă la beautĂ© sculpturale, tout en nous faisant croire que câest la beautĂ© intĂ©rieure qui compte (LOLZ).Â
Mais quid des autresâ? Les moches, les mĂ©diocres, les malaimĂ©sâ? Pourquoi nâont-ils pas droit Ă leur histoireâ? Pourquoi les relĂšgue-t-on au rang de personnages secondaires, Ă peine bon pour jouer le rĂŽle du best friendâ?
Ne serait-il pas plus rassurant pour le lecteur lambda, celui qui ne se sent pas beau, de se voir reprĂ©sentĂ© sur la pageâ?
Mardi 24 octobre
La plus grande tragĂ©die de ma vie dâauteur aura Ă©tĂ© la suivante : je ne peux Ă©crire mes histoires aussi vite que je lis celles des autres.
Lecteur-baleine, jâaimerais ĂȘtre un Ă©crivain-baleine : produire des milliers de mots par jour, ne faire que ça de mon existence, tout le temps, sans pause. Je me fantasme en auteur prolifique. Je voudrais ĂȘtre un polygraphe nĂ©vrosĂ© qui a besoin dâĂ©crire pour exister⊠mais la rĂ©alitĂ© ne saurait ĂȘtre plus diffĂ©rente : je vis trĂšs bien sans Ă©crire. Je peux passer des annĂ©es sans en Ă©prouver le besoin.
Je pourrais dire que je prĂ©fĂšre la qualitĂ© Ă la quantitĂ©, mais ce serait mentir : je suis juste trĂšs lent⊠Ce nâest pas pour rien si, pendant plusieurs annĂ©es, jâai animĂ© un site culturel qui sâappelait «âles Plumes Asthmatiquesâ».
Mercredi 25 octobre
AprĂšs dix mois dâĂ©criture quotidienne, je sĂšche un peu. Trouver des sujets pour ce journal est devenu laborieux. Ă moins que ce ne soit lâarrivĂ©e de lâautomne. Je me referme comme une feuille sur le point de tomber de sa branche.
Câest lĂ quâune IA serait la plus utile : pour me suggĂ©rer des idĂ©es de rĂ©flexions⊠et aussi pour veiller Ă ce que je ne me rĂ©pĂšte pas. Comme je ne me souviens jamais de ce que jâai Ă©crit la semaine prĂ©cĂ©dente, jâai toujours la crainte de ressasser les mĂȘmes choses, encore et encore.
Câest en Ă©crivant au quotidien que je me mâaperçois que je ne suis guĂšre original : je retrace toujours les mĂȘmes chemins. Je vis avec une dizaine dâidĂ©es dans la tĂȘte. Et câest tout. Ăvidemment, mon cerveau sâillusionne et croit quâil en produit des centaines par jour, mais, en rĂ©alitĂ©, quand je les couche ici, leur nombre se rĂ©duit comme une peau de chagrin.
Jeudi 26 octobre
Je vais reprendre lâĂ©criture de ma nouvelle/novella aujourdâhui aprĂšs une dizaine de jours de pause. Si je pouvais, je pense que je procrastinerais davantageâŠÂ
La rĂ©sistance est Ă lâĆuvre, tout est bon pour ne pas toucher Ă son manuscrit.
Le plus dur est de sây remettre. La crainte de ne pas y arriver est absurdeâ; il ne faut pas lâĂ©couter. LâexpĂ©rience montre quâelle nâa aucun fondement, mais ça ne lâempĂȘche pas de prĂ©senter le bout de son nez.
Vendredi 27 octobre
Jâadmire celleux qui privilĂ©gient leur carriĂšre artistique Ă leur carriĂšre professionnelle, voire qui font de leur art leur mĂ©tier principal, malgrĂ© lâincertitude et, il faut bien le reconnaitre, la pauvretĂ© qui sâattachent Ă un tel choix.
Jâen suis incapable. Jâai besoin de savoir que mes efforts nâauront pas Ă©tĂ© faits en vain⊠quâon finira par les reconnaitre. Peut-ĂȘtre pas Ă leur juste valeur, il est vrai, mais peu importe.
Le succĂšs en Art nâest jamais garanti. On ne rĂ©compense pas les efforts ni lâĂ©thos de lâartiste⊠mĂȘme pas le temps passĂ© Ă crĂ©er lâĆuvre. La chance est un facteur plus important encore que la qualitĂ© ou le talent. Il faut ĂȘtre au bon endroit, au bon moment.
Samedi 28 octobre
Une romance rĂ©aliste se lit plus facilement que⊠disons⊠de la fantasy. Quitte Ă mâattirer les foudres de mes collĂšgues, je peux mĂȘme affirmer que câest plus facile Ă Ă©crire. Du moins, pour ce qui est de lâintrigue. AprĂšs tout, boy/girl meets girl/boy, ça ne casse pas trois pattes Ă un canard.
Dâailleurs, que ce soit dans mes lectures ou dans mes visionnages, je sais vers quel genre je me tourne habituellement quand je ne veux faire aucun effort (câest-Ă -dire les trois quarts du temps) : la romance rĂ©aliste ne me prend jamais la tĂȘte.Â
Ăa se comprendâ; pas besoin de retenir des pans entiers de lâintrigue, contrairement à ⊠une romance fantastique, qui est bien plus plot-heavy (comme on dirait de mon cĂŽtĂ© de la Manche).
Dans mon cas, câest plus Ă©vident encore avec le petit Ă©cran : je finis trĂšs rarement les sĂ©ries fantastiques ou historiques. Trop dâeffort pour glaner les indices et retenir les Ă©lĂ©ments du world-building. Mon attention finit par faillirâ; mon intĂ©rĂȘt se fane.Â
Il faut que la qualitĂ© soit vraiment mauvaise pour que la mĂȘme chose arrive avec une romance rĂ©aliste contemporaine.
Cet Ă©tat de fait ne cesse de me surprendre (et de me dĂ©soler) : jâai Ă©tĂ© un lecteur avide de SFFF pendant longtemps. Jâai dĂ©veloppĂ© les compĂ©tences nĂ©cessaires Ă la navigation des genres de lâimaginaire⊠Lâeffort ne devrait donc pas me couter.
Dimanche 29 octobre
Entre hier et aujourdâhui, jâai lu les trois premiers tomes de la sĂ©rie Shadows of London dâAriana Nash (de la fantasy urbaine autopubliĂ©e).
Je suis impressionnĂ© par la qualitĂ© du rĂ©cit. Ce nâest pas un coup de cĆur de lecteur, mĂȘme si jâai passĂ© dâexcellents moments de lecture, mais un coup de cĆur dâĂ©crivain.Â
VoilĂ Ă quoi on reconnait une pro de lâĂ©criture. Ses scĂšnes sont maitrisĂ©es. Lâintrigue avance de maniĂšre rythmĂ©e. Tout semble naturel, rien nâest forcĂ©. Il y a un Ă©quilibre parfait entre descriptions et dialogues.
(En gĂ©nĂ©ral, nous autres Ă©crivains sommes coupables dâutiliser lâun ou lâautre pour faire avancer nos rĂ©cits â dans mon cas, ce sont les dialogues.)
Comment arrive-t-elle Ă ce rĂ©sultatâ? Je nâen ai aucune idĂ©e⊠Jâen serais presque jaloux. Jâai essayĂ© dâanalyser la construction du rĂ©cit pendant que je le lisais (comme je fais souvent), mais je nâai pas rĂ©ussi Ă repĂ©rer les ficelles. Une seconde lecture s'impose donc.
Lundi 30 octobre
Je rĂ©flĂ©chis Ă la diffĂ©rence entre auteur amateur et auteur professionnelâŠÂ
On lit beaucoup, ici et lĂ , que câest une question de mentalitĂ©Â : la pro prend son Ă©criture trĂšs au sĂ©rieux, mĂȘme quand elle nâen a pas envie.Â
Ce qui est vrai⊠mais la vraie diffĂ©rence, câest que la pro a le temps de pratiquer trĂšs souvent, ce qui nâest pas le cas de lâamateur (câest-Ă -dire celui qui ne vit pas de sa passion et qui a un autre mĂ©tier pour payer les factures). Cette diffĂ©rence me semble plus importante que la mentalitĂ©Â : faber fit fabricando, practice makes perfect, câest en Ă©crivant quâon devient Ă©crivain.
On comprend quâun athlĂšte soit meilleur quâun sportif du dimanche⊠Câest pareil en art : celle qui est capable de pratiquer, au quotidien, avec intention, progresse plus rapidement que celui qui ne dispose ni du temps ni de lâattention nĂ©cessaire, et qui case son Ă©criture lĂ oĂč il peut dans son emploi du temps.
Mardi 31 octobre
On peut approcher lâauto-Ă©dition comme un jeu, ou une expĂ©rience scientifique. On teste ceci, on ajuste cela⊠et on finit par comprendre comment ça marche. Plus ou moins.
Câest encore plus vrai quand on publie deux Ă trois romans par an : seules des itĂ©rations rapprochĂ©es dans le temps permettent de comprendre les rĂšgles du jeu et de suivre leur Ă©volution.
La situation devient plus délicate quand on sort un livre tous les deux ans. Les rÚgles ont changé, personne ne nous a mis au courant. Ce qui a marché avec le livre précédent ne marche plus. On repart de zéro. On rame.
Lâamatrice en autoĂ©dition est donc condamnĂ©e Ă claudiquer dâune publication Ă lâautre, avec lâimpression quâelle a un train de retard. Voire deux.