Journal - novembre/décembre 2023
Où Enzo coupe, coupe, coupe pour publier deux mois de Journal...
Tu peux trouver la version éditée complète de ce journal sur mon site internet.
La version intégrale (fautes et anglicismes inclus) est disponible dans mon jardin numérique, Sylves. La publication s’y fait au jour le jour.
J’applique ici l’orthographe rectifiée (good-bye les petits accents circonflexes !).
Je te souhaite une excellente nouvelle année. Puisse 2024 t’être douce et bienveillante.
So long!
Enzo
Dimanche 05 novembre
Avec mon caractère obsessionnel, il m’arrive de faire un marathon où je regarde plusieurs séries d’un même acteur. Ce week-end, c’était le beau Taïwanais Fandy Fan (范少勳), que j’avais découvert il y a quelques années dans History 2.
Petit marathon qui n’a consisté que de deux séries : The Way You Shine (2023) et More than Blue (2021).
More Than Blue était dans ma liste des séries à regarder, mais cela faisait plusieurs mois que je retardais ce moment fatidique, et à raison : le trailer était extrêmement triste. Je savais donc que j’allais être bouleversé : c’était une histoire d’amour qui finirait mal (le protagoniste succombant à une leucémie)…
Mais en réalité, la série est bien plus riche que cela, l’écriture tout aussi remarquable que le jeu des acteurs. On suit deux histoires en parallèle : un producteur de musique (Po Han) et son assistante (Yi Qi) recherchent le copyright d’une chanson qu’on leur a envoyée… Ils apprennent que le compositeur (K) et la parolière (Cream) sont décédés quelques années plus tôt et qu’il s’agit de leur dernière collaboration. K est mort de la leucémie et Cream se serait suicidée quelque temps plus tard. Personne ne sait qui détient le copyright de la chanson. Po Han et Yi Qi mènent donc l’enquête. Très vite, ils parviennent à mettre la main sur le journal de K… Et la série alterne donc scènes du passé, qui nous montrent l’histoire d’amour de K et de Cream, et le présent où l’on suit la relation naissante entre Po Han et Yi Qi. Chaque couple doit faire face à la tragédie. Chaque épisode nous déchire le cœur et nous le rafistole. On pleure mais on rit aussi. C’est extrêmement cathartique.
L’histoire de K et de Cream est semblable à la peau d’un ognon : chaque épisode explore une couche de cette émouvante tragédie, et, à chaque fois, nous devons réécrire, réévaluer ce que l’on savait de leur histoire. Dans More Than Blue, rien n’est jamais ce qu’il parait. Mais malgré leurs faux-semblants, les personnages sont honnêtes : la puissance de leurs sentiments ne ment jamais.
Fandy Fan est sublime dans le rôle de K. Mais les autres acteurices sont tout aussi bouleversant·es : Ivy Shao est déchirante dans le rôle de la mère célibataire ; Eleven Yao et Figaro Tseng (le troisième couple) nous troublent par leurs désirs, tantôt égoïstes, tantôt altruistes. Le jeune acteur Bai Run Yun, qui joue Ke Le, nous fait sentir la peur enfantine de la mort et impressionne par son jeu déjà mâture.
Cette série est une adaptation d’un film Coréen du même nom, sorti en 2009.
Vendredi 10 novembre
J’ai lu une romance autopubliée et écrite en français par une autrice d’origine américaine qui vit depuis plusieurs années en France. L’expérience est intéressante, car elle montre à quel point le « bon usage » du français (je mets ici les guillemets qui s’imposent) rend l’écriture romanesque difficile.
Cette autrice a un niveau qui ferait certainement rougir certain·es auteur·ices francophones que j’ai pu lire ces dernières années, si iels étaient seulement capables de prêter attention à leur outil d’écriture principal et d’éprouver de la honte, ce dont on peut douter.
Sa grammaire était impeccable, mais le choix des mots dans certains cas n’était pas le plus indiqué. Mon cerveau corrigeait automatiquement ces « fautes de style » en suppléant tantôt un verbe, tantôt un adjectif… J’ai regretté qu’elle n’ait pas eu un relecteur plus attentif ou plus entreprenant : le but n’était pas de réécrire le texte entièrement, mais de suggérer ici et là une expression plus courante en contexte littéraire. La correction grammaticale ne fait pas tout ; ce sont là les limites d’un outil comme Antidote.
Comme il ne s’agissait que d’une novella… j’ai dû relever une vingtaine de « maladresses » (qui n’étaient pas le genre de maladresses stylistiques qu’un·e auteurice francophone aurait faites, précisons-le).
Parmi celles-ci, un seul « écart » (par rapport à la norme/l’usage) était stylistiquement intéressant : voilà pourquoi j’aimerais lire davantage d’auteurices exophones — leur usage neuf du français fait, à l’occasion, des merveilles.
Samedi 11 novembre
L’entrée d’hier n’a pas pour but de critiquer cette autrice, qui a mérité mon plus profond respect, mais de montrer à quel point la pratique du français « littéraire » peut s’avérer hasardeuse.
Il existe une « jurisprudence du bon gout », développée sur plusieurs siècles, qui influence encore de nos jours notre manière d’écrire. Nous mettons des années à l’acquérir inconsciemment ; il faut lire des centaines et des centaines de romans. Certain·es le font avec application et intérêt tandis que d’autres la rejettent avec plus ou moins de force, ou repoussent les limites de ce qui est jugé convenable, par esprit de modernité ou par rébellion.
Nous interprétons tous cette « jurisprudence » (l’usage littéraire de la langue), que nous le voulions ou non… et notre manière de l’appliquer constitue notre style (ici, au sens microscopique — comment nous écrivons nos phrases).
Puisque je suis Français, j’ai l’impression que le poids de cette jurisprudence est plus pesant que… disons… son équivalent anglais. Le milieu littéraire francophone porte une attention démesurée et malsaine au style (j'en suis le premier atteint, comme le démontre ces entrées). Personne ne sera surpris, ou ne me contredira, si j’affirme qu’il existe un culte du style dans l’Hexagone.
Il doit exister un équivalent de cette « police du style » en anglais, mais elle me semble moins puissante. Mais qui suis-je pour juger ? Je ne suis pas un natif et je ne fréquente que les littératures de genre… qui sont les fers de lance de l’édition commerciale et les ennemis naturels de la « grande littérature » avec une majuscule, la vraie, l'ennuyeuse.
Dimanche 12 novembre
Quand nous jugeons de la qualité stylistique d’un ouvrage, nous confondons correction et élégance. « Cette phrase n’est pas correcte » dirons-nous d’une expression que l’on emploie tous à l’oral mais que l’école a essayé de chasser de l’écrit.
Je pense que cette confusion n’est pas un hasard : notre système pédagogico-culturel fait tout son possible pour l’entretenir. Parler d’élégance renvoie au gout… Or, nous savons qu’il n’y a pas plus subjectif que les gouts et les couleurs. Au contraire, parler de correction semble objectif. C’est blanc ou noir. C’est correct ou ça ne l’est pas. Les règles sont claires sur le sujet.
Ce qui détermine la correction, c’est l’usage général que la population fait de sa langue à travers le temps. Ce qui détermine l’élégance, c’est l’usage d’une minorité qui s’est approprié ce droit.
« Mange Pierre le chat » est incorrect, car le français suit principalement le modèle SVC — sujet verbe complément.
Dire que « prêter attention » est mieux que « faire attention » relève du subjectif… De même qu’affirmer qu’il faut préférer « en revanche » à « par contre ».
Distinguer correction et élégance nous permet donc de mettre au jour tout ce qui relève du subjectif, de l'arbitraire, mais voudrait se faire passer pour des vérités objectives. Cela nous donne davantage de liberté… Peu importe si, au final, nous décidons de suivre le « bon gout » à la française ou pas.
L’essentiel, en tant qu’auteurices, c’est de pouvoir utiliser notre outil principal, c’est-à-dire notre langue, le plus librement possible, loin des décisions arbitraires d'un groupuscule de pédants germanopratins.
Mardi 14 novembre
En ce moment, je lis la série Love, Austen d’Anyta Sunday, une autrice néozélandaise de romances MM. Chaque volume réécrit un roman de Jane Austen. Je prends beaucoup de plaisir à plonger dans les histoires de cette autrice que j’ai découverte en 2020 et qui est rapidement devenue l’une de mes écrivain·es préféré·es.
Ça fait plusieurs années que je veux, moi aussi, réécrire un ou plusieurs classiques… Mais les plus célèbres ont déjà été faits plusieurs fois… Il doit y avoir des dizaines de réécritures queers de Roméo & Juliette. Tantôt mon cœur penche vers des classiques antiques (peut-être l’Enéide ou les Métamorphoses), tantôt il voudrait faire comme les autres (les classiques du XIXe anglais sont plus fun à adapter)…
Quels sont les classiques français que j’aimerais réécrire ? Il n’y en a pas tant que ça… Peut-être les Liaisons Dangereuses (mais n’est-ce pas archifait ?!)… Des pièces de Racine (elles-mêmes des réécritures de la matière antique)… ou de Molière (quand je suis d’humeur plus légère). Peut-être du Dumas ? Il est certain que nous n’avons pas une Jane Austen française (ou si elle a jamais existé, le patriarcat s’est empressé de nous la faire oublier). Je ne me verrais pas réécrire du Balzac, du Hugo ou du Zola ! Peut-être faudrait-il chercher du côté de la littérature populaire, qui a déjà bien inspiré les anglophones : Jules Verne, Eugène Sue, Maurice Leblanc, Gaston Leroux, etc.
La réécriture est un acte d’amour, soit envers le(s) personnage(s), l’œuvre littéraire ou l’auteur. Il y a peu d’œuvres françaises (aucune ?) qui m’inspirent une telle passion. C’est à se demander pourquoi j’ai fait des études de lettres.
Dimanche 19 novembre
À quoi reconnait-on un monde où les inégalités vont grandissant ? Au fait que les milliardaires ont remplacé les millionnaires dans les romances.
C’est terrible, on n’en parle pas assez : les millionnaires sont devenus une espèce menacée. On n’en trouve presque plus. Ils ne font plus rêver : pour un peu, on les croirait pauvres.
« Milliardaire » est donc le nouveau mot tendance qui cristallise les fantasmes de notre époque, si bien qu’on le met à toutes les sauces. Le protagoniste est un génie du business ? C’est un milliardaire. Il fait partie d’une famille puissante et influente ? C’est un milliardaire. Il est jeune et sexy ? C’est un milliardaire.
Certain·es auteurices semblent incapables de comprendre ce qui se cache derrière ce mot. Par exemple, on ne devient pas milliardaire en dix ans à peine quand on est vraiment parti de rien (à moins d’être un gangster de première classe).
Certains milliardaires que l’on découvre dans les pages des romances ne sont que des millionnaires déguisés. Leur train de vie n’est pas celui des 1 %, mais ce n’est pas grave : si la romance se voulait réaliste, ça se saurait.
Quand on voit qui sont les milliardaires dans le monde réel, comment ils se sont enrichis dans certains cas (dodgy, dodgy, dodgy), j’ai du mal à voir comment ils peuvent nous faire fantasmer. I mean… Elon Musk ? Jeff Bezos? Mark Zuckerberg ? Bernard Arnault ! Yes, please, choke me, daddy.
Vendredi 24 novembre
L’autre jour, je suis retourné sur Brain Pickings (renommé The Marginalian il y a quelques années), le site de Maria Popova.
Il y a dix ans, j’étais un lecteur assidu et admiratif, mais j’ai fini par développer une allergie. De nos jours, j’ai à peine fini de lire un paragraphe que je veux déjà la claquer.
Ne sait-elle pas faire des phrases simples et claires ?
Je me méfie de ces textes écrits « avec style », où les mots nobles et les tours de phrase recherchés cachent, en réalité, assez mal la vacuité de la pensée. Je n’aime pas ce style fumeux, qui ne parvient qu’à nous faire tousser à la lecture.
« Every year in the decade since, I have added one new learning and changed none of the previous. (It can only be so – a person is less like a star, whose very chemistry, the source of its light, changes profoundly over its life-cycle, and more like a planet, like this planet, whose landscape changes over the ages but is always shaped by the geologic strata layered beneath, encoding everything the planet has been since its birth.) »
Bla bla bla. Je n’aime pas les styles grandiloquents.
*
Là où Maria Popova force l’admiration, toutefois, c’est avec son projet lui-même et sa longévité : cela fait 17 ans qu’elle publie sur ce site — lisant des centaines, voire des milliers de livres par an…
C’est dommage que nous n’ayons pas un équivalent francophone… Ceci s’explique peut-être par le fait qu’il serait impossible d’en vivre de notre côté de l’Atlantique.
(Julien Simon s’y était essayé sur son site Page 42, mais il n’était pas allé au-delà de quelques articles. C’est bien dommage.)
Personnellement, j’en serais incapable : je n’aime pas prendre de notes… et j’ai bien peur que ça soit la base de ce travail de curation et de présentation.
Samedi 25 novembre
Le terminal 2 de l'aéroport d'Heathrow m’a offert l’expérience d’embarquement la plus agréable de tous les aéroports que j’ai jamais visités. Surtout les contrôles de sécurité : j’ai eu l’espace et le temps nécessaires. À aucun moment n’ai-je été stressé. Si on me l’avait dit, je ne l’aurais pas cru.
Malgré le monde, le terminal était calme : habituellement, les sons rebondissent en une cacophonie épuisante. Comme dans les gares. Là, visiblement, ils ont tout fait pour minimiser les échos. Un vrai luxe.
Tout cela a fait que, lorsque notre vol a été retardé d’une demi-heure, j’étais zen. Comme sur un petit nuage. Il faut dire, aussi, que j'avais passé une heure en compagnie de David Tennant et de Catherine Tate...
Dimanche 26 novembre
Londres — Bangkok
Heureusement qu’on finit par retourner là d’où l’on vient, sinon on perdrait sept heures de notre vie. Paf. Merci, au revoir.
C’est peut-être ce qui perturbe le plus notre corps : l’angoisse de ne jamais retrouver ces sept heures. Où sont-elles passées ? Bim, le jet-lag.
Et on reste éveillé au milieu de la nuit à se poser cette question… Que se passerait-il si on ne les récupérait jamais ?
Lundi 27 novembre
Dodo. Réveil. Ce n’est pas le matin, c’est même pas minuit. Nuit blanche. On se rendort à l'aube. L’alarme sonne trop vite. Il faut aller petit-déjeuner. Sieste post-jentaculaire… (mais à quoi pensez-vous, petits coquinous ?!) Puis, l’esprit groggy, on est enfin prêt à faire face à la chaleur et à la foule de Bangkok.
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Aujourd’hui, le programme est très culture : nous allons faire les centres commerciaux du coin. Il y en a trois enfilés comme des perles (Siam Paragon, Siam Center et Siam Discovery) à une station en skytrain de là où nous logeons.
Quel plaisir d’être en terrain connu : outre les marques de luxe, on retrouve Yves Rocher, Muji, Uniqlo, Mango, Starbucks, McDo, etc. Quant aux affiches publicitaires, les visages ont un air familier : ce sont des acteurs issus du BL.
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Peut-être qu’il faudra repasser pour le dépaysement… Mais au lieu de mater le cul des Occidentaux, on peut mater celui des locaux (et des touristes). On ne sait où donner de la tête. En plus, il fait chaud ; les hormones s’affolent vite.
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Et puisque je parle de nourriture pour les yeux, parlons de la nourriture pour l’estomac : nous avons mangé à Veganerie Soul, un restaurant végan au menu tout particulièrement alléchant. Tellement heureux que nous y sommes aussi retournés pour le diner.
Mardi 28 novembre
Le Jim Thompson House & Museum est situé à bord de canal, pas très loin des grands centres commerciaux que j’ai mentionnés dans mon entrée d’hier. Il s’agit de la maison d’un Américain, Jim Thompson, venu s’installer en Thaïlande après la Seconde Guerre mondiale.
Architecte de formation, il s’est découvert une passion pour l’art de la soie thaïlandais et a contribué à sa reconnaissance internationale. Il était aussi collectionneur d’œuvres d’art issues de la région.
Cette maison, devenue musée quelques années après sa disparition en 1967 dans des circonstances mystérieuses, est en réalité un assemblage de maisons traditionnelles, démontées et réassemblées sur le terrain qu’il avait acheté et qui faisait face au quartier des tisseurs de soie, de l’autre côté du canal.
C’est un très bel endroit avec un beau jardin. Un petit paradis végétal au milieu de la capitale thaïlandaise. La maison est parsemée d’objets d’art issus de la collection du millionnaire : cela permet de se faire une initiation à l’art thaïlandais et birman sans trop de frais ni d’effort. Il est possible d’acheter les vêtements que produit l’entreprise qu’il a fondée dans une boutique accolée au musée.
Même si, dans un premier temps, j’ai pensé que Thompson était gay (il a été un célibataire endurci et aucune femme n’apparait durablement dans sa biographie), ce n’était visiblement pas le cas : j’ai lu quelque part qu’il avait été l’amant de la femme d’un ambassadeur et qu’il collectionnait les conquêtes (c’était un bel homme, faut dire). Le fait qu’il ait été marié très brièvement à Patricia Thraves n’est pas en soi une preuve de son hétérosexualité (bien au contraire, je dirais)… Et on connait l’attrait de l’étranger pour les hommes qui aiment les hommes. Peut-être était-il bisexuel, peut-être était-il vraiment hétéro : on ne le saura jamais (comme on ne saura pas plus ce qui lui est arrivé le 26 mars 1967 lors de son voyage dans les Cameron Highlands, en Malaisie).
Mercredi 29 novembre
Chiang Mai est une alternative à Bangkok pour tous ceux et celles qui préfèrent le calme à l’agitation sans cesse de la capitale. Il semble y avoir une meilleure sélection de restaurants végétariens ou végans : certainement une conséquence de la présence des digital nomads, qui ont choisi cette ville du nord du pays comme lieu de séjour temporaire. On y trouve aussi quelques « dispensaires » de beuh, depuis que la Thaïlande a légalisé la marijuana : tout est vraiment fait pour qu’on s’y sente bien !
Jeudi 30 novembre
Je ne pense pas.
Dans un pays étranger que l’on visite pour la première fois, le cerveau est trop occupé à assimiler les bruits, les odeurs, ces sensations nouvelles, pour penser quoi que ce soit. Il n’y a nulle pensée qui lie les expériences les unes aux autres. Au contraire, ces dernières semblent s’enchainer, se compiler, s’entasser. Peut-être que la réflexion vient après le voyage. Quand on a le temps de digérer ce que l’on a vécu. Quand l'ennui repointe le bout de son nez.
Vendredi 01 décembre
On dit de Chiang Mai qu’elle est la seconde plus grande ville de Thaïlande. Tout le monde le dit : le gouvernement, les sites touristiques, même Wikipédia.
Or, quand on regarde la population des plus grandes villes, on s’aperçoit que « la rose du Nord » ne se place même pas dans le top 5… Elle n’est pas non plus la seconde ville la plus visitée du pays…
Du coup, comment expliquer cette bizarrerie ? Aucune idée. Peut-être confond-on la ville et l’agglomération.
Ce qui est certain, toutefois : Chiang Mai est la capitale de la province éponyme et, avec ses 127 000 habitants (2019), la plus grande ville du nord du pays. Ancienne capitale du royaume de Lanna, elle a été annexée par le Royaume de Siam dans la seconde moitié du XIXème siècle.
Samedi 02 décembre
Araksa Tea Garden
Situé dans les montagnes, à une heure et demi en taxi de Chiang Mai, Araksa Tea Garden est un petit coin de paradis pour les amateurs de thé.
Les visiteurs peuvent cueillir quelques pousses de thé, assister à sa préparation (en thé vert, car le thé noir prendrait trop de temps) et déguster le fruit de leur labeur. Le cadre est paisible et me donne envie de me réorienter professionnellement. Je me demande comment on finit par travailler dans l’industrie du thé.
Dimanche 03 décembre
Museum of Maker - Kalm Village
À deux pas de notre hôtel, ce musée est en réalité une fondation qui abrite des boutiques, un café-bibliothèque, un restaurant et quelques galeries d’art.
L’architecture contemporaine ici excelle : sur plusieurs niveaux, il y a de nombreux coins et recoins où l’on peut se poser pour admirer tantôt la vue sur un temple voisin tantôt un petit espace vert avec fontaine.
L’exposition temporaire, Colour lives, se focalise sur les meubles très colorés de Suwan Kongkhunthian. À l’étage, on peut voir les collections de textile tirées des archives de la fondation. Ces beaux motifs sont ceux des tribus des montagnes et ont certainement inspiré Suwan K.
Mardi 05 décembre
Nous nous sommes retrouvés avec un vol de retour sur Bangkok en toute fin de journée : mauvaise idée, mais ce n’était pas de notre choix. Comme nous avions visité tout ce que nous voulions voir, nous sommes restés à l’hôtel, même après avoir rendu les clés de notre chambre à midi.
Moi qui avais pris l’habitude de faire une sieste durant l’après-midi, l’absence d’un lit m’a rendu un peu grincheux. Mon mari, quant à lui, a passé une bonne partie de sa journée à la piscine : il était ravi.
À l’aéroport, nous avons mangé au Burger King : les prix sont presque aussi élevés qu’au Royaume-Uni, mais les portions de frites dites « larges » le sont vraiment. Certainement trop pour des Européens, qui ont l’habitude de portions plus réduites.
Mercredi 06 décembre
Quand nous avons préparé le voyage, j’ai convaincu mon mari qu’après Chiang Mai, il valait mieux préférer Pattaya à Phuket pour voir la mer.
Après quelques heures à Pattaya, je regrette ce choix : cette ville de bord de mer représente tout ce que je déteste. C’est grand, c’est bruyant et ça n’a aucun charme. Nous allons y passer les quatre prochains jours avant de revenir à Bangkok pour le vol du retour.
Jeudi 07 décembre
Après plusieurs jours d’observation, je peux confirmer qu’un terrible crime contre l’humanité est perpétré dans le royaume du sourire : les Thaïlandais enferment les viennoiseries dans des chauffe-plats, convaincus qu’elles doivent se consommer chaudes.
Résultats : les chocolatines et les croissants, devenus secs et rabougris après un tel traitement, sont immangeables. Appelez-moi l’Ambassade !
Vendredi 08 décembre
Rêve étrange, mais dont la thématique est malheureusement trop récurrente pour ne pas être chargée de sens : cette nuit, je suis retourné sur les bancs de l’école. Pour être plus exact, ceux de la prépa !
À 36 ans, retourner en prépa, c’est quand même ridicule. Même dans mon rêve, je trouvais que c’était abusé.
Dans mon rêve, deux prises de conscience m’ont ébranlé assez pour que je m’en souvienne :
Que j’allais devoir me coucher à minuit tous les soirs si je souhaitais garder le rythme de la prépa… (quel traumatisme : mon sommeil est ce qu'il y a de plus important dans ma vie) ;
Que j’allais devoir arrêter la rédaction de ce Journal pour me concentrer sur mes études... Après presque une année à le rédiger tous les jours, c’est cet abandon-là, juste avant la ligne finale, qui promettait de m’achever.
Samedi 09 décembre
En ce moment, je lis le Rowan Harbor Cycle (2018-2019) : trois trilogies qui se suivent et ne peuvent se lire indépendamment. C’est de la fantasy urbaine M/M. J’ai découvert l’autrice, Sam Burns, grâce à son dernier roman, Where Foxes Say Goodnight (2023).
Le Rowan Harbor Cycle est une illustration de ce que Gail Carriger développe dans The Heroine’s Journey : l’action est portée par une communauté de personnages et non par un héros solitaire. L’entraide est ce qui garantit le succès de leur combat contre le mal et ses incarnations. Aucune trilogie n’est dédiée à un protagoniste en particulier. Devon, Jesse et Fletcher sont pour ainsi dire égaux : ils assument chacun une partie de la narration/action (comprendre : un tome chacun).
La première trilogie pose les bases. Puisque nous sommes dans du MM, chaque tome raconte comment les protagonistes ont rencontré leur mate/âme-sœur. Puisque j’ai à peine commencé la lecture du 4ème volume, je n’ai pas encore une vision panoramique des choix narratologiques de l’autrice, mais je suis curieux de voir comment elle développe son intrigue avec ce schéma original, entre variété et répétition.
Dimanche 10 décembre
Au final, nous avons quitté Pattaya plus tôt que prévu. Ce n’est pas une ville que nous visiterons de nouveau le jour où nous retournerons en Thaïlande.
Mais il y a eu quelques points positifs : par exemple, son centre commercial, Terminal 21, situé à côté de notre hôtel, est meilleur que son homologue de Bangkok. Nous y avons passé presque tout notre temps (c’est là que se trouvaient de nombreux restaurants). Nous sommes même allés au cinéma. Nous avons vu Wonka : en plus de ses talents d’acteur, qui n’étaient pas un secret, Timothée Chalamet y démontre qu’il sait parfaitement chanter. Certaines personnes semblent tout avoir dans la vie : la loterie génétique, c’est quand même quelque chose.
Lundi 11 décembre
Treize heures de vol, c’est long… mais au moins, l’avion n’était pas aussi froid qu’à l’aller. Peut-être parce que le cockpit avait fait le plein d’air chaud thaïlandais (il faisait 34° au départ de Bangkok) ; peut-être parce qu’une partie du vol s’est faite durant la journée. Qui sait !
Malheureusement, le divertissement était aussi médiocre qu’à l’aller : EvaAir pourrait proposer davantage de films et de séries. Je pensais que je verrais la fin de Haunting Mansion, que j’avais commencé deux semaines plus tôt, mais j’ai abandonné après cinq minutes. J’ai préféré regarder Blue Beetle, un des derniers DC, qui, à défaut d’offrir une histoire un tant soit peu originale, est bien fait. C’est agréable de voir une distribution entièrement latino à l’écran. J’ai, ensuite, regardé un film japonais de Noël : Black Night Parade (2022), adapté d’un manga (comme tout ce qui nous vient du Japon, à peu près !). Très bien, même si la fin abrupte appelle une suite, vu qu’une bonne partie de l’intrigue n’a pas été résolue.
Jeudi 14 décembre
Je me laisse quelques semaines pour décider de ce qui m’occupera durant le premier trimestre de 2024.
Les projets ne manquent pas : je peux retourner aux aventures de Corydon, d’Alexandre and co., que j’ai mises en pause en novembre ; ou poursuivre la nouvelle sur le Rabbit God que j’ai commencée avant de partir en Thaïlande pour me divertir ; ou encore, rédiger l’épisode 3 du Démon Blanc afin de terminer la première saison (commencée en 2020). Il y aussi les suites qu’on me demande : ce qui arrive à Raiden, à Louis et à Roberta après les évènements de Dormeveille College… ou des nouvelles des amours de Lucien et d’Andrew, de Marc et de Damian (Tendres Baisers).
2024 pourrait être l’année où je me décide enfin à écrire un projet d’écriture fragmentée, inspiré des Villes Invisibles de Calvino, des Chants perdus de l’Odyssée de Zachary Mason ou des Ghost Variations de Kevin Brockmeier. Des Microfictions, en somme, mais davantage liées entre elles que celles de Régis Jauffret et bien plus fantastiques (et moins déprimantes) !
Pour cela, il me faudrait sortir des sentiers battus, mais je ne suis pas sûr d’avoir le courage, ni de savoir comment faire. Cela fait des années que je réfléchis à la question. Ma conclusion : seul importe le plaisir de lecture. Il faudrait donc écrire quelque chose qui soit à la fois fragmenté et qui pique l’intérêt du début jusqu’à la fin. (Les ouvrages que j’ai cités plus haut ont tendance à m’ennuyer au bout d’un moment. Je les aime, mais peut-être suis-je amoureux de l’idée qu’il représente, davantage que du produit final.)
Mission impossible donc ? Certainement.
Samedi 16 décembre
La littérature est un acte de communication… C’est un échange entre l’auteurice et ses lecteurices.
Certain·es auteurices ne veulent pas échanger. Iels sont là pour impressionner : moi, moi, moi — voilà ce que leur texte semble crier à qui veut (ou pas) entendre. Le texte s’impose sans laisser de choix. Il est comme sourd, il ne laisse aucune place à celleux qui le lisent… Un peu comme ces gens qui monologuent et ne prêtent aucune attention à qui iels parlent. Iels sont là pour débiter leur tirade ; iels ne discutent pas.
Évidemment, la littérature est un acte de communication inégal : on n’entend qu’une seule partie de la conversation, celle de l’auteurice. C’est donc facile d’oublier qu’il s’agit d’une conversation, et non d’un monologue. Quand on écrit, on doit s’assurer que le texte soit le plus accueillant possible, qu’il laisse une place confortable aux lecteurices et leur donne l’opportunité de répondre pour ainsi dire (même si on n’entendra jamais cette réponse).
Voilà l’éthique de l’écrivain : respecter ses lecteurices, même quand iel ne sait pas qu’iels sont. Il n’y a aucune honte à vouloir impressionner la galerie, mais l’humilité (celle qui permet de raconter une histoire comme il faut, de la partager avec autrui en toute sincérité) doit s’exprimer en premier. Les mauvais auteurs sont ceux qui entrent en littérature pour les mauvaises raisons, ceux qui oublient qu’il s’agit d’un acte de partage où l’égoïsme ne saurait avoir sa place.
Oui, écrire, c’est être égocentrique… c’est se mettre au milieu. C’est dire : j’existe donc je crée.
Mais à partir du moment où l’on veut être lu, la dynamique change. On doit prendre en compte son lectorat et ses besoins… l’accueillir au sein de l’œuvre, lui rendre la visite agréable.
Mardi 19 décembre
Hier soir, j’ai commencé Sunshine by my Side avec Xiao Zhan dans le rôle-titre. À 32 ans, son visage est celui d’un homme… Je peine à retrouver dans ces beaux traits anguleux la douceur du visage de Wei Wu Xian dans The Untamed (2019).
Sunshine by my Side (sorti en septembre dernier) a tout pour me plaire: c’est l’histoire d’un jeune homme qui est amoureux d’une femme plus âgée. Voilà un trope que je n’apprécie que dans ce sens. L’inverse a un petit côté prédateur sexuel, même quand il s’agit de sa version gay. Pourquoi est-ce que l’une (homme jeune/femme plus âgée) me plait tandis que l’autre (homme jeune/homme mature) me crispe ? Voilà quelque chose qui intéresserait ma psychothérapeute (si seulement j’en avais une !).
Pour être honnête, ce trope me botte tout particulièrement dans les séries chinoises, car il n’y a qu’avec lui qu’on évite la protagoniste bimbo capricieuse et immature que l’on retrouve dans les 3/4 des productions du pays. J’aime les personnages féminins forts et indépendants. J’aime qu’elles soient le centre de gravité de l’histoire et qu’elles n’aient pas besoin de se ratatiner pour l’homme.
Jeudi 21 décembre
On ne peut pas s’affirmer « centriste » quand on flirte avec l’extrême droite. On est d’extrême droite, point final.
Vendredi 22 décembre
Le plan de Macron a-t-il toujours été de faire deux mandats, puis de se faire remplacer par Le Pen pendant cinq ans, avant de revenir en héros triomphant pour un autre mandat, voire deux ?
Je ne m’explique pas autrement la légitimation hypocrite du RN telle qu’elle est orchestrée par ce gouvernement.
S’il s’agit de l’intention de Macron, c’est évidemment risqué : l’extrême droite ne joue pas selon les mêmes règles. Une fois qu’elle sera au pouvoir, qui sait ce qu’il faudra faire pour l’en éjecter.
Samedi 23 décembre
Peut-être que la bonne critique littéraire doit pouvoir se lire sans qu’on ait lu l’ouvrage qu’elle passe en revue.
C’est l’impression que me donne All These Worlds de Niall Harrison, un recueil de ses critiques de SF, parues entre 2005 et 2014.
Je n’ai rien lu de ce qui est au sommaire (je ne suis pas un grand lecteur de SF, malheureusement), mais chaque article clarifie les enjeux du roman, tout en replaçant ce dernier dans la production science-fictionnelle qui l’a précédé ou qui lui est strictement contemporaine. Niall Harrison trouve, semble-t-il, le juste milieu lorsqu’il présente les éléments de l’intrigue, révélant seulement ce qui est nécessaire afin de soutenir les thèses qu’il met en avant. Dans l’esprit du lecteur ignorant, une image détaillée se forme alors, qui ne gâche pas pour autant l’envie de lire le roman.
Lundi 25 décembre
La microfiction est une histoire minimaliste racontée en un nombre limité de mots.
Les anglophones, comme à leur habitude, ont déjà tout défini, avec des termes différents selon la longueur : la twittérature se limite à 280 caractères ; le dribble ou minisaga ne dépasse pas les 50 mots ; le drabble (ou la vraie microfiction, si on veut être pédant) se développe sur 100 mots tandis que la sudden fiction peut aller jusqu’à 750. La microstory, quant à elle, aussi connue sous le nom de flash fiction, est plus majestueuse avec ses 1000 mots.
Les littératures de l’imaginaire ont investi cette forme brève avec bonheur. Je lis en ce moment l’anthologie anglophone Cosmos, qui regroupe 100 microfictions (de 100 mots), en prose ou en vers, d’auteurices varié·es (mais je ne crois pas qu’iels soient au nombre de cent). Le tout est publié chez Ghost Orchid Press, qui a sorti en 2021, sous la houlette d’A. R. Ward, cinq anthologies fantastiques (ou horrifiques) de ce type autour des thèmes de la maison, de l’espace, des souterrains, des profondeurs marines et… des groupes de rocks.
Mardi 26 décembre
Une recherche sommaire du catalogue d’Amazon.co.uk montre que seuls les littératures de l’imaginaire et l’érotisme semblent avoir produit des recueils de microfictions en nombre.
Plus intéressant pour moi, Lawrence Schimel, l’auteur de SFFF et d’expression anglo-espagnole, a sorti en 2016 un recueil de microrécits gays : Una barba para dos (y otros 99 microrrelatos eróticos) chez l’éditeur Dos Bigotes. Trois de ces microfictions ont été traduites en anglais et publiées sur le site Words Without Borders. Voilà ce que j’aimerais écrire en 2024.
Mercredi 27 décembre
L’acteur coréen Lee Sun Kyun s’est suicidé suite à une triste affaire (suspicion de prise de cannabis). Il avait 48 ans.
Un drame qui démontre à quel point le paysage médiatique de la Corée du Sud est toxique : là-bas, les sacrifices de stars sont légion. On les porte au faite de la gloire avant de les précipiter dans l’abime avec une violence spectaculaire (car il s’agit avant tout d’un spectacle, fait pour divertir)…
Les crimes de ces idoles sont souvent minimes, voire ridicules : l’un a une petite-amie, l’autre a fumé un joint.
Mais un tel niveau d’idolâtrie ne supporte pas que ces stars puissent être humaines ; on ne leur pardonne donc aucune imperfection. On les met au pilori ; le harcèlement ne connait pas de fin.
Ou plutôt, si, il prend fin quand l’idole conspuée, harassée, ayant perdu tout espoir, se suicide.
Jeudi 28 décembre
La semaine dernière, quand je me ratissais le crâne à la recherche d’un nouveau projet d’écriture pour 2024, faisant fi de ceux que j’ai déjà commencés et mis de côté (for now or for ever), je n’avais pas envie d’écrire de la poésie…
Les envies vont et viennent, et parfois, avec une rapidité déconcertante, si bien que, maintenant, je veux en écrire. C’est souvent ce qui se passe quand je visite Instagram : quelques posts poétiques, au milieu d’une pluie d’acteurs BL, suffisent à raviver ma passion pour la poésie.
En 2023, je m’étais donné pour mission d’écrire une entrée de journal par jour, d’abord pour un mois entier, puis, au final, pour une année. Mission accomplie, sans trop de mal, et finalement, beaucoup de plaisir. Je continuerai en 2024. Peut-être jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Mais qui dit nouvelle année, dit nouveau défi : il est temps que je retourne à la poésie. Au mois de janvier, j’écrirai un poème par jour (minimum).
Vendredi 29 décembre
Je dois avoir les yeux plus gros que le ventre (I want to bite off more than I can chew), mais j’aimerais me lancer un second défi : écrire 500 microfictions de 500 mots chacune.
C’est certainement trop ambitieux pour être accompli en une année, mais rien ne m’empêche de commencer et de voir où ça me mènera.
Peut-être n’en écrirai-je que dix ou cinquante ; peut-être seront-elles extrêmement mauvaises. Mais plutôt que de réfléchir à une idée pendant des semaines et des semaines, puis l'abandonner avant que de commencer, il est préférable que je la teste en la mettant en pratique.
Très bonne lecture ! j'ai particulièrement apprécié votre voyage en Thaïlande