Tu peux trouver la version éditée complète de ce journal sur mon site internet.
La version intégrale (fautes et anglicismes inclus) est disponible dans mon jardin numérique, Sylves. La publication s’y fait au jour le jour.
J’applique ici l’orthographe rectifiée (good-bye les petits accents circonflexes !). Si une de ces entrées résonne tout particulièrement en toi, n’hésite pas à me le dire, ici ou sur les réseaux sociaux.
So long!
Enzo
Mercredi 01 mai
« Les techniques qui donnent vie à nos personnages ont tout à voir avec l’accumulation patiente de détails. Les personnages du roman émergent comme la neige se dépose : petit à petit. Les flocons de neige individuels ne sont ni ici ni là. Pris ensemble, ils façonnent un paysage. »
Harry Bingham, How to Write a Novel (trad. DeepL & ED)
Jeudi 02 mai
Ça fait deux jours que je n’ai pas écrit mes morning pages, car ma routine matinale ne me satisfait plus.
Commencée le 18 novembre 2022, sur les conseils de Julia Cameron, cette pratique m’a beaucoup apporté. Elle m’a permis de réfléchir à l’écriture et à ma vie chaque matin, au réveil (et de justifier ma passion grandissante pour les stylos-encre et le thé, que j’ai intégrés à ce rituel !)
Écrites au fil de la plume, sans censure aucune, dans un franglais brouillon, ces pages ont fait émerger des envies, ont cristallisé des obsessions, ont mis en lumière des zones d’ombre de ma personnalité. J’ai pu observer mes contradictions, repérer des pensées cycliques, et, ainsi, mieux me comprendre. Tantôt thérapeutiques, tantôt motivationnelles, elles m’ont accompagné du lundi au vendredi telles des compagnes fidèles.
L’habitude est à ce point ancrée en moi que je sens maintenant un manque. Ces morning pages sont addictives. Plutôt que de les arrêter de manière permanente, j’aimerais les transformer en evening pages (il faut bien que je continue à utiliser mes stylos encre chaque jour !), mais je n’ai pas encore eu la force de m’y mettre : s'installer dans une nouvelle routine, c’est dur.
Vendredi 03 mai
Qu’est-ce que les romanciers aiment le plus ? Raconter des histoires ou écrire des livres ?
Dans le premier cas, une publication sur le Net devrait suffire à les satisfaire : leur passion, c’est le storytelling, donc le format final (et le média) importe peu. L’essentiel, c’est de pouvoir partager avec le plus grand nombre la vie de ces personnages qui les obsèdent.
Dans le second cas, c’est l’objet-livre qui prime ; ils feront tout pour voir leur nom sur la couverture d’un livre imprimé et ne se satisferont jamais d’une simple présence en ligne, qui n’est vécue que comme un succédané.
*
Ces dernières années, je me suis aperçu que je n’étais pas romancier, mais écrivain : c’est l’usage du verbe (on peut parler d’obsession, dans mon cas) qui est central à ma pratique.
Certes, j’adore imaginer des histoires, mais les écrire ne répond pas à un besoin vital : je peux passer des années entières sans toucher à un manuscrit.
Je pourrais tout aussi bien composer de la non-fiction ou des poèmes, et m’en satisfaire.
D’ailleurs, c’est peut-être ce que je finirai par faire : j’aime l’immédiateté de la forme brève ; j’aime le partage presque instantané. Si j’avais des retours de mes lecteurices chaque fois que je publiais un blogue ou une newsletter, je pense que l’écriture romanesque perdrait très vite de son importance à mes yeux.
Samedi 04 mai
Je ne suis pas allergique à l’idée de partager mes idées en public (si c’était le cas, je ne publierais pas ce journal), mais je n’aime pas alimenter ces monstres que sont les réseaux sociaux.
Ils nous forcent à produire du contenu (le plus souvent éphémère), gratuitement, à l’attention des autres utilisateurs, non pas pour les divertir ou les éduquer, mais pour qu’ils passent davantage de temps sur la plateforme. La qualité du contenu importe peu, au final ; c’est la quantité qu’on doit privilégier si l’on souhaite « être visible ». Et plus c'est polarisant, mieux c'est.
Je refuse d’être l’esclave de l’algorithme toxique de Twitter ou de Threads. Je n’aime pas que ces réseaux sociaux forment des silos où le partage entre plateformes est activement découragé.
Je suis donc avec beaucoup d’intérêt certains écrivains, blogueurs et penseurs qui s’inscrivent dans le mouvement de l’IndieWeb et qui proposent une vision alternative à l’internet des grandes corporations, qui nous pourrit tous un peu-beaucoup la vie. Si ces blogueurs sortent des sentiers battus, c’est parce qu’ils sont le plus souvent des développeurs web (professionnels ou amateurs). Ils ont donc les connaissances techniques nécessaires pour expérimenter.
Mike Grindle est l’un d’entre eux. Depuis quelques mois, il a ajouté à son site internet statique une page (Notes) qui regroupe les micropublications qu’il poste ailleurs sur les réseaux sociaux. Cela veut dire que non seulement ses lecteurs n’ont pas besoin d’être sur les RS en question pour pouvoir lire ce qu’il poste, mais aussi qu’il redevient « propriétaire » de ce qu’il produit et offre gratuitement à ses lecteurices.
[NdA juillet 24 - Mike Grindle a depuis supprimé cette page]
Dimanche 05 mai
« Si tu veux devenir écrivain aujourd’hui, les livres ne sont probablement pas la solution. Tu devrais avoir un site internet et écrire sur celui-ci. Possède une newsletter afin de t’assurer que tu contrôles la relation avec tes lecteurs. Plus important encore, ne t’attends pas à gagner le jackpot et à écrire à temps plein. Peut-être que tu entends parler [de ces chanceux] tout le temps, mais c’est là le biais des survivants en action. On n’entend jamais parler des 10 000 autres personnes qui ont fait la même chose et qui avaient de bonnes compétences en écriture, mais qui n’ont pas trouvé le bon créneau au bon moment et qui n’ont pas attiré l’attention du bon influenceur. »
(Curtis McHale, newsletter du 04 mai 2024, trad. DeepL et ED)
Lundi 06 mai
« Nous aurions estimé qu'il était non seulement incorrect, mais désagréable de ne pas travailler tous les matins, sept jours par semaine et environ onze mois par an. Par conséquent, tous les matins, vers 9h30, après le petit-déjeuner, chacun d'entre nous, comme s'il était mû par une loi naturelle incontestable, partait travailler jusqu'à l'heure du déjeuner, à 13 heures. Il est surprenant de voir tout ce que l'on peut produire en un an, que ce soit des brioches, des livres, des pots ou des tableaux, si l'on travaille dur et avec professionnalisme pendant trois heures et demie chaque jour pendant 330 jours. C'est pourquoi, malgré ses infirmités, Virginia a pu produire tant de choses. » (Leonard Wolf, cité par Oliver Burkeman)
Mardi 07 mai
« Fondamentalement, l’écriture c’est du sens sur du rythme. Du sens qui se livre selon des accélérations et des retards provenant de la syntaxe. » (Jean Guenot)
Selon Guenot, il y a quatre paramètres à prendre en compte dans l’écriture : la durée, le ton, la présence et le grain.
« Deux de ces facteurs, en effet, la présence et le ton, sont souvent présents dès le premier jet. Les deux autres, en revanche, peuvent plus facilement s’améliorer à la relecture, par la correction consciente : la cadence et le grain. » (Louis Timbal-Duclaux, in Le travail du style littéraire)
Mercredi 08 mai
« Mais j’ai promis que nous allions concéder une différence majeure entre les genres de la science-fiction et de la fantasy. Et c’est ce que nous allons faire. Tout le monde est prêt ? La voici : les gens n’ont pas le même rapport à la science-fiction et à la fantasy.
Je sais : c’est révolutionnaire. Mais sérieusement. Le technobabillage est peut-être, à tous égards, la même excuse que le “c’est de la magie” [de la fantasy], simplement accompagnée de mouvements de mains plus raffinés. Mais les explications (pseudo-)scientifiques flattent la sensibilité de certains lecteurs qui auraient autrement plus de mal à adhérer à un postulat qui n’est pas légitimé par une explication rationnelle. (…) Nous vivons dans des sociétés relativement rationalistes — et il convient de noter ici la différence entre “rationaliste” et “rationnel”. Nous aimons donc être rassurés sur le fait que nous ne sommes pas en présence d’une escroquerie à visage découvert. L’explication à l’apparence rationaliste et scientifique place ses impossibilités dans le continuum des progrès scientifiques et technologiques de l’ère moderne. Certes, ce n’est pas possible aujourd’hui, mais cela pourrait l’être dans le futur !
Cette préoccupation s’est même infiltrée dans la fantasy et ses “magies dures”, rationalisées et limitées par des règles, d’où le corolaire de Larry Niven [à la troisième loi d’Arthur C. Clarke] : “toute magie suffisamment analysée est indiscernable de la science”. »
(Kristen Patterson, "Let's Start a Fight: Are Science Fiction and Fantasy the Same?", article publié dans le magazine en ligne Reactor le 7 mai 2024)
Jeudi 09 mai
Comment ne pas donner raison à Kristen Patterson quand on entend les réactions de certains lecteurs de SF (souvent des hommes, d’ailleurs) devant un texte de fantasy ?
On pourrait croire que tous les genres des littératures de l’imaginaire sont égaux, mais ce n’est pas le cas. Même à l’intérieur de la communauté de SFFF !
Au final, il s’agit d’une extension, appliquée au champ littéraire, du snobisme que l’on observe chez certains représentants des sciences de la nature et des sciences formelles qui considèrent que les sciences humaines et sociales ne sont pas de vraies sciences.
(Nul doute que ces gens-là parleront de « sciences dures » et de « sciences molles », excités à l’idée qu’ils puissent posséder quelque chose de « dur » dans leur arsenal personnel.)
Vendredi 10 mai
Lorsque je médite, je n’arrive pas à faire le vide dans mon esprit. Les pensées se présentent, telles des sirènes, et je me mets à divaguer.
Quand je surprends cette distraction, je suis tenté de m’agacer : la méditation, c’est trop dur, je n’y parviendrai jamais.
En réalité, chaque fois que je remarque ces pensées parasites, ce n’est pas le signe d’un échec, mais celui d’une victoire. La preuve que, pendant une fraction de seconde, j’ai vécu un moment de pleine conscience.
Si je souhaite faire de la méditation une activité pérenne, je dois multiplier ces associations positives.
Au fond, ce principe s’applique pareillement à l’écriture : la frustration et la négativité qu’on finit par associer à cette activité n’encouragent pas un cerveau réfractaire à s’y adonner. Au contraire, elles mènent tout droit à la procrastination et aux autres stratégies d’évitement.
Samedi 11 mai
Hier, je me suis réveillé de mauvaise humeur. J’ai écrit quelques lignes dans mon journal, ce qui n’a fait qu’empirer mon état, car je me suis mis à penser à ce qui me tracassait depuis plusieurs semaines.
En milieu de matinée, j’étais au bord de la panique, ayant laissé mes pensées négatives prendre des proportions épiques : je haïssais tout le monde, j’étais coincé dans mon boulot, ma vie était fichue. I kid you not. Une seule solution : prendre congé de cette existence. De manière définitive.
Prenant conscience que j’étais certainement épuisé par ma longue semaine et, en particulier, la veille que j’avais passée en réunions (plus de six heures en tout), j’ai décidé que j’avais besoin d’une boisson énergisante.
N’importe qui se tournerait vers le café : mais comme je n’en bois plus depuis des lustres, une seule tasse suffit à mettre le feu aux poudres, avec palpitations et tout le tintouin. Ce n’était clairement pas ce dont j’avais besoin vu mon état.
J’ai fini par mettre la main sur un fond de yerba mate. Mon mari n’avait pas tout terminé, heureusement (pour lui et pour moi).
Le mate est similaire au café en ce que c’est une boisson énergisante, mais, contrairement à ce dernier, elle n’est pas anxiogène.
Je ne saurais décrire le changement radical de mon humeur après avoir bu une tasse de maté. Là où j’étais incapable de contenir ce qui ressemblait étrangement à des pensées suicidaires, je suis revenu à un état plus normal où j’étais capable de regarder mes problèmes avec assez de distance pour rester calme et, oserais-je dire, optimiste.
C’est comme si j’avais été jusqu’alors sous l’emprise d’un sort, et qu’il était soudainement levé.
Dimanche 12 mai
Quand je considère l’addiction de notre société à la caféine, sans laquelle les gens affirment ne pas pouvoir « fonctionner », je me dis que nous vivons dans un monde de fous où le rythme est à ce point effréné que nos capacités naturelles sont devenues insuffisantes…
En vouant un culte aux dieux Argent et Productivité, nous créons un véritable enfer sur Terre. Nous prétendons que des alternatives plus saines et plus respectueuses de notre environnement et de nos vies n’existent pas.
Voulons-nous vraiment vivre dans ce genre de monde ? Aux armes, citoyen·nes !
Lundi 13 mai
« Dasha Mahâvidyâ » est le nom donné aux déesses de la sagesse dans la tradition tantrique.
Elles sont au nombre de dix : Kali (la Noire), Tara (l’Étoile), Tripura Sundari (la Splendeur des Trois Villes), Bhuvaneshvari (la Maitresse du Monde), Bhairavi (l’Invincible), Chinnamastâ (la Décapitée), Dhumavati (la Veuve), Bagalamukhi (la Paralysante), Matangi (la Pensée) et Kamala (la Déesse au Lotus).
Mardi 14 mai
Je n’avais pas fait de séance de Qi Gong depuis longtemps.
Ce matin, j’ai pris quinze minutes pour suivre une vidéo de Kseny sur YouTube, où elle se concentrait sur les épaules et les hanches.
Chaque fois que je pratique, ça me remplit de joie : c’est simple à faire, les mouvements n’ont pas besoin d’être parfaits ; l’essentiel, c’est d’activer ces muscles qui ne sont pas assez sollicités au quotidien afin de les renforcer. Tout se fait en douceur. Parfait pour une morning routine !
Je dois avouer que le discours sur les énergies, qui accompagne les mouvements, m’amuse beaucoup aussi. J’y suis maintenant habitué. J’apprécie de plus en plus le côté poétique du Qi Gong (de même que je trouve certains aspects de la culture chinoise très poétique). Ça décentre mon regard sur le monde.
Mercredi 15 mai
Discussion au bureau.
Ma collègue, une nationaliste et conservatrice qui s’ignore, croit que les fabricants d’armes ne travaillent que pour la gloire nationale et la défense du pays. Elle n’aime donc pas l’occupation pacifique de notre campus par celleux qui protestent contre le génocide de Gaza (et les liens — directs ou indirects — de notre université avec l’industrie de l’armement). Évidemment, c’est oublier que ces entreprises sont internationales et que leur commerce ne connait pas de frontières. Quand on soutient la production d’armes au nom de l’intérêt national, on se leurre si on croit que ces mêmes armes ne sont pas vendues à nos ennemis aussi.
Si vis pacem, para bellum. « Si tu veux la paix, prépare la guerre », me dit cette collègue, non sans fierté, en anglais évidemment (elle ne connait pas le latin).
C’est triste qu’en 2024, nous puissions encore croire à la véracité d’un adage hérité d'une civilisation impérialiste et belliqueuse, qui n'a connu que peu de moments de paix au final.
Jeudi 16 mai
Les nouvelles vidéos promotionnelles d’OpenAI, où l’on voit des employés converser tranquillement avec Chat GPT-4o (« o » pour omni - c’est-à-dire « tout » !), m’ont glacé le sang.
Je suis aussi admiratif et émerveillé, évidemment. Comment ne pas l’être devant une telle avancée technologique ?
Mais je n’ai pas besoin d’être pessimiste pour voir que nous allons droit dans le mur.
Ce qui me dérange le plus, c’est cette volonté du néolibéralisme de se débarrasser de l’humain au sein même de l’activité humaine. De créer un simulacre d’humanité, avec la voix et les intonations de phrases qui rassurent.
Appliquée à la science, l’IA est une bénédiction… mais utilisée à des fins commerciales, pour divertir les masses, c’est un cauchemar sans fin : d’autant plus si ces masses finissent sans emploi.
J’aimerais croire que l’IA nous libèrera des chaines du travail abêtissant et inaugurera un nouvel âge d’or pour l’humanité… mais le néolibéralisme s’assurera que cet outil est utilisé pour mieux diviser et accroitre les inégalités.
Vendredi 17 mai
La première chose à laquelle j’ai pensé en regardant ces vidéos d’OpenAI, ça a été : « Ah ! Bientôt, nous n’aurons plus besoin de nous faire de nouveaux amis. Finies les conversations frustrantes avec des bas du front qui ne partagent pas nos valeurs ! »
Mais, en même temps, ai-je envie d’une IA qui me connait si bien qu’elle me dit tout le temps ce que je veux entendre ?
Samedi 18 mai
Journée à Londres.
Passé par Foyles où j’ai acheté trois livres : Written. How to Keep Writing and Build a Habit that Lasts (Bec Evans & Chris Smith, Janvier 2023); The Sense of Style. The Thinking Person’s Guide to Writing in the 21st Century (Steven Pinker, 2014); et, en français : Jung. Un Voyage vers soi (Frédéric Lenoir, 2021).
Je ne connais pas Frédéric Lenoir, mais je souhaitais lire un essai écrit en français (pour une fois), et c’était le seul ouvrage qui me faisait vraiment envie.
La sélection de livres en français chez Foyles, de taille très respectable pour une librairie généraliste anglaise, suscite rarement mon intérêt : c’est le plus souvent un mélange de classiques étudiés dans les départements de français des universités anglaises ou au programme des lycées français, et un échantillon des meilleures ventes en France, au format poche (avec quelques traductions de l’anglais en SFFF et en polar).
Dimanche 19 mai
« La langue n’est pas un protocole légiféré par une autorité, mais plutôt un wiki qui rassemble les contributions de millions d’écrivains et de locuteurs, qui ne cessent de plier la langue à leurs besoins et qui, inexorablement, vieillissent, meurent et sont remplacés par leurs enfants, qui adaptent la langue à leur tour. » (Steven Pinker, The Sense of Style, trad. DeepL & E.D.)
Lundi 20 mai
« J’ai trop longtemps marché sur la tête, et le monde avec moi. Un écolo qui utilise encore WordPress est aussi con que s’il continue de fumer ou de picoler. » (Thierry Crouzet, « Libérer l’écriture des pesanteurs » sur son site internet, avril 2024)
Mardi 21 mai
« C’est une illusion commune de croire que ce que nous connaissons aujourd’hui représente tout ce que nous pourrons jamais connaitre. Rien n’est plus vulnérable qu’une théorie scientifique, car elle n’est qu’une tentative éphémère pour expliquer des faits, et non une vérité éternelle en soi. » (Carl Gustav Jung, L’homme et ses symboles, cité dans la biographie de Frédéric Lenoir)
Mercredi 22 mai
« Il est dangereux de trop faire voir à l’homme combien il est égal aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur. Il est encore dangereux de lui faire trop voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l’un et l’autre. Mais il est très avantageux de lui représenter l’un et l’autre. » (Blaise Pascal, Pensées, 418)
Jeudi 23 mai
La vie est douce quand je ne me mets aucune pression et que ma seule mission est de traverser la journée d’humeur égale, sans frustration ni colère. Quel plaisir, après le travail, de rentrer chez moi et de redécouvrir un BL japonais que j’avais bien aimé à sa sortie (My Love Mix-Up) !
Pourquoi faut-il toujours faire davantage et mieux ? Pourquoi ne pas simplement profiter du quotidien dans ce qu’il a de plus banal ? D’où vient cette crainte qu’on puisse gâcher sa vie ?
Vendredi 24 mai
« Pour commencer, si vous voulez écrire pour être publié, vous devez écrire pour le marché. C’est tellement évident qu’on ne devrait pas avoir à le dire, mais une croyance persiste selon laquelle le monde littéraire se situerait au-dessus du monde sordide du commerce. Ce n’est pas le cas. Une maison d’édition, c’est comme une banque de financement et d’investissement, mais sans l’argent. »
– Harry Bingham, How to Write a Novel.
Samedi 25 mai
« L’autoédition ne vous libère pas de la pression commerciale. Elle rend cette pression plus proche et plus personnelle. (Ce qui est une bonne chose, soit dit en passant. Nous sommes là pour plaire aux lecteurs. Si nous ne nous en donnons pas la peine, nous ne faisons pas notre travail). »
– Harry Bingham, How to Write a Novel.
Dimanche 26 mai
Queen of Tears est un mélodrame coréen qui raconte l’amour passionnel de Baek Hyun Woo (joué par Kim Soo Hyun), un juriste brillant d’origine humble, pour Hong Hae, l’héritière (chaebol) du conglomérat Queens Group.
Quand la série commence, cette passion semble n’avoir pas survécu à leurs trois années de mariage. Hong Hae est distante et Hyun Woo doit supporter sa belle-famille avec laquelle il vit et qu’il sert du matin au soir tel un esclave. Pour survivre à cet environnement étouffant et anxiogène, une seule solution s’impose à lui : le divorce.
Mais le destin en a décidé autrement et, le jour où il est sur le point d’annoncer à Hon Hae qu’il la quitte, celle-ci lui annonce qu’elle a une tumeur au cerveau et qu’elle n’a que trois mois à vivre. Commence alors une véritable épopée où l’amour des deux protagonistes va être testé à travers des situations rocambolesques.
Malgré une longueur excessive (seize épisodes d’1 h 30 environ), Queen of Tears offre une histoire passionnante avec tous les tropes des bons mélodrames (dont l’amnésie !), alternant moments légers et gravissimes. La belle-famille, en particulier, a droit à de beaux arcs de rédemption.
Lundi 27 mai
Marriage Impossible est une série coréenne mainstream (comprendre : hétéro), avec un personnage gay (joué par Kim Do Wan) parmi les personnages principaux.
Après avoir vu Queen of Tears, qui avait placé la barre haut, je l’ai trouvée de qualité inférieure, même si elle n’est pas désagréable à regarder.
La fin, surtout, m’a agacé : de tous les personnages principaux, le gay Lee Do Han est le seul qui ne finit pas en couple. Sa fin heureuse, c’est de finir seul, libre de pratiquer son art et de vivre comme il l’entend. (Il y a pire comme fin, bien évidemment, mais l’effort déployé pour caser la seconde protagoniste, Chae Won, dans les dernières minutes de la série, montre que tous les personnages ne sont pas égaux devant l’Amour.)
C’est comme si, en dehors du BL, la Corée du Sud ne savait pas traiter les gays comme des gens normaux. Quand on est dans une romance, le comingout d’un des protagonistes ne saurait suffire : si tout le monde finit en couple, pourquoi le gay devrait-il faire exception ? Pourquoi le condamne-t-on à la solitude ? L’hétéronorme est-elle à ce point rigide dans le monde de la romance coréenne que si le mariage n’est pas possible, il ne peut y avoir d’aspiration à l’amour ?
Mardi 28 mai
Et c’est en observant la romance hétéro/mainstream d’un pays que l’on comprend la place du BL en son sein et sa signification.
Pour la Corée du Sud et le Japon, le BL est un fantasme, sans prétention réaliste… De la fantasy, en somme, qui ne peut exister que séparée du reste de la société. Dans sa petite bulle (lucrative).
Mais quand le mariage gay est reconnu, comme à Taïwan, on voit apparaitre (au début, timidement, certes) des caméos d’homoromance dans les romances hétéros : la victoire légale s’accompagne d’une victoire symbolique. La fiction reconnait alors cette réalité, difficilement acceptable dans certains milieux : en matière de sentiments, les homos ne diffèrent en rien des hétéros.
Mercredi 29 mai
Jeanne, « la fée éditoriale », fait écho, dans sa newsletter du jour, à quelques lectures que j’ai faites récemment sur la réalité du marché de l’édition, et plus largement de la diffusion des connaissances (la « création de contenus »), qui a connu un changement de paradigme ces dernières années : le gatekeeping (c.-à-d. le processus de sélection) est passé des éditeurs aux lecteurs-consommateurs.
« Une partie du choix, du “tri” s’est déplacé des ME (et de la psyché des aspirants auteurs) vers le lectorat lui-même. Mais ça ne signifie pas que le tri lui-même ait disparu, ou qu’il y ait plus d’élus parmi tous les appelés. La sélection a simplement été mise entre d’autres mains. »
En tant qu’auteur hybride, je me réjouis de l’existence de l’autoédition : elle a permis à certains genres (dont la romance gay) de fleurir, et a prouvé à l’édition traditionnelle qu’un marché pour ces livres-là existait bien (voilà certainement la raison pour laquelle mon premier roman s’est retrouvé publié chez Harlequin/HQN France en 2016).
Mais le lecteur que je suis se désespère souvent de l’énergie et du temps qu’il faut dépenser afin de séparer le bon grain de l’ivraie.
Jeudi 30 mai
En complément de mon entrée d’hier. Une nouvelle citation.
Mardi, Mike Grindle affirmait dans sa newsletter ‘In The Margins’ (# 29) à propos des sites internets :
« L’acte de curation est incroyablement sous-estimé. On peut même dire que face à un contenu infini, un bon “curator” vaut mille créateurs. (…) Sans curators, nous n’aboutissons qu’à des impasses et n’avons droit qu’au défilement abrutissant d’un “contenu” tout aussi abrutissant. »
Ne serait-il pas merveilleux de devenir un de ces « curators » ? Voilà une activité d’utilité publique !
(Pour être honnête, de 2011 à 2013, en compagnie de @SeriesEater, je me voyais déjà en « passeur de culture », mais je n’aurais pu imaginer que l’abondance de la production culturelle, qui était vertigineuse à l’époque, ne ferait qu’empirer.)
Vendredi 31 mai
Dans cet article passionnant (bien qu’un peu longuet) de 墨客hunxi publié dans le Reactor Mag, je découvre un sous-genre populaire de la SFFF horrifique asiatique : l’unlimited flow, dont les représentants les plus connus sont, sans aucun doute, Battle Royale, Alice in Borderland et Squid Game.
Durant son exposé, l’auteurice en profite pour définir un autre genre : l’isekai.
« L'unlimited flow ressemble fortement à un autre genre de webnovel populaire en Asie de l’Est, l’isekai. Souvent considéré comme un sous-genre de la portal fantasy, l’isekai met en scène des protagonistes qui sont transportés dans un autre monde ou une autre période. Ils doivent réussir à se frayer un chemin dans ce nouvel environnement, généralement aidés par leur connaissance du livre, de l’intrigue, du jeu ou de l’époque qui l’ont inspiré, afin de connaitre le bonheur et/ou de retourner dans leur monde d’origine.
(...)
L’isekai transporte souvent son héros dans le corps d’un personnage existant, alors que les protagonistes de l’unlimited flow restent dans le leur. Une grande partie de l’isekai se concentre sur les difficultés à incarner un nouveau corps. En tant que genre, il aborde fréquemment les thèmes du destin, de l’identité, du rôle à jouer et du sens de l’existence. Les systèmes présents dans l’isekai ont souvent pour but de renforcer l’aspect comique de l’intrigue, mais ils restent en retrait par rapport au worldbuiding du texte. Alors que les histoires d'isekai se préoccupent généralement des voyages que les personnages entreprennent pour explorer et s’intégrer à ce nouveau monde, l’unlimited flux se soucie davantage de leur survie. » (Trad. DeepL & E.D.)
Pour les amateurices de danmei (nom donné au BL chinois), je pense que The Scum Villain’s Self-Saving System de Mo Xiang Tong Xiu illustre assez bien le genre de l’isekai.