La version intĂ©grale de ce journal est disponible dans mon jardin numĂ©rique, Sylves. La publication sây fait au jour le jour.
Jâapplique ici lâorthographe rectifiĂ©e (good-bye les petits accents circonflexes !). Si une de ces entrĂ©es rĂ©sonne tout particuliĂšrement en toi, nâhĂ©site pas Ă me le dire, ici ou sur les rĂ©seaux sociaux.
So long!
Enzo
Mercredi 02 avril
Non, je nâallais pas commencer ce mois par un poisson dâavril. Faut pas dĂ©conner non plus.
Jeudi 03 avril
Le cycle des news nous fait oublier quâil existe des choses plus importantes dans la vie que Trump⊠ou Le Pen.
Plus tĂŽt dans la semaine, je lisais un article du Guardian qui sâinquiĂ©tait du fait que beaucoup de gens se dĂ©tournent des news. Mais comment pourrait-il en ĂȘtre autrement quand le journalisme est sensationnel, quand lâangle de lecture des Ă©vĂšnements est ancrĂ© dans le pessimisme, quand chaque gros titre joue sur nos angoisses pour attirer notre attentionâ?
Ce dont nous avons besoin, câest dâun constructive journalism, du journalisme constructif : au lieu de sâaffoler et dâaffoler le lectorat, le journalisme constructif sâefforce de proposer des solutions Ă ces problĂšmes qui nous accablent. Câest bien beau de vouloir rapporter tous les malheurs du monde, mais dresser une liste sans fin de tragĂ©dies (Ă©cologiques, politiques, sociales, Ă©conomiquesâŠ) est un exercice stĂ©rile. Si jâĂ©tais dâune humeur encore moins charitable, je dirais que câest un exercice de manipulation des esprits (nous savons qui profite de notre dĂ©sespoir, pas besoin de nous y attarder).
Je suis un lecteur curieux qui veut savoir ce qui se passe dans le monde. Je ne suis pas du genre Ă faire lâautruche, mais je nâen peux plus de la vision faussĂ©e que les mĂ©dias colportent. Le rĂ©el nâest pas aussi noir : il y a des gens qui se battent pour faire de cet ici-bas un monde meilleur⊠et nous avons des raisons de nous rĂ©jouir.
Mais pour pouvoir se rĂ©jouir, encore faut-il le vouloirâŠ
Vendredi 04 avril
En ce moment, le monde du Boys Love peine Ă mâintĂ©resser, en particulier les dramas du fandom (beaucoup de bruit pour rienâ! quelle Ă©nergie gaspillĂ©eâ! quelle bĂȘtiseâ!).
Moi qui voulais Ă©crire sur lâhomoromance⊠je pense que je vais garder ce projet dans un tiroir, bien au chaud, car si je couchais mes pensĂ©es en ce moment, il y aurait peu de tendresse pour ce milieu et une grande partie de sa production. Or, comme je tiens Ă lui faire justice, un meilleur Ă©tat dâesprit me sera nĂ©cessaire.
J'ai un rapport passionnĂ© Ă lâhomoromance⊠et comme pour toute passion, il y a des hauts et des bas, des «âje tâaime, moi non plusâ»⊠et puis, cette Ă©vidence : au cĆur mĂȘme de la romance, il y a lâamour⊠Inutile de prĂ©ciser que, depuis fĂ©vrier, mon rapport Ă lâamour est pour le moins compliquĂ©â!
Samedi 05 avril
Ce matin, jâai regardĂ© le documentaire de La grande librairie sur Marguerite Yourcenar, disponible sur YouTube et narrĂ© par François Busnel. Plusieur·es auteurices sont interviewé·es, dont CĂ©cile Coulon et AmĂ©lie Nothomb.
Ayant beaucoup lu sur Marguerite Yourcenar, et en particulier la biographie de Josyane Savigneau (Lâinvention dâune vie), je nâai rien appris de nouveau⊠mais le faut-il toujoursâ?
Ce fut agrĂ©able de passer une heure et demie Ă reparcourir la vie de celle qui est lâune de mes maitres Ă penser. (Dans mon panthĂ©on littĂ©raire, Yourcenar vient tout de suite aprĂšs Ursula Le Guin.)
Jâai mĂȘme eu envie de me replonger dans ses Ă©crits, soit de relire Les MĂ©moires dâHadrien, ses sublimes Nouvelles Orientales ou certains de ses essais, qui mâavaient beaucoup marquĂ© par leur Ă©clectisme et leur prescience, soit de dĂ©couvrir Alexis, Le Coup de GrĂące, Denier du RĂȘve ou encore son théùtre⊠Ce nâest pas ce qui manque. (Quel bonheur de nâavoir pas tout luâ! Câest bien, aussi, dâen garder pour plus tard.)
Dimanche 06 avril
La maturitĂ©, câest faire des choix et Ă en assumer les consĂ©quences, sans rancĆur ni amertume. Câest accepter la personne que lâon est, mĂȘme quand on souhaiterait ĂȘtre autre. Câest une forme de sagesse.
Le passage du temps nous offre une occasion de voir la vie diffĂ©remment. De diminuer cette tension qui rend le quotidien dĂ©plaisant. VoilĂ pourquoi vieillir ne me fait pas peur, et voilĂ pourquoi je ne souhaiterais pas revivre ma jeunesse (mĂȘme si un dieu ou le destin ou lâunivers mâen donnait lâoccasion).
Lundi 07 avril
Durant mon adolescence, lâimaginaire mâa permis de survivre dans un environnement que je sentais hostile Ă mon Ă©gard et qui ne mâinspirait pas. Je lisais de la Fantasy Ă©piqueâ; je vivais dans mon propre monde secondaire.
Puis, quand je suis parti loin, trĂšs loin, Ă lâĂ©tranger, sur dâautres rivages, lâĂ©criture fictionnelle a offert un cadre Ă ma curiositĂ© (ou une direction), elle mâa servi dâexcuse pour interagir avec ce nouvel environnement qui pouvait ĂȘtre intimidant Ă lâoccasion.
Comprendre : je suis sorti de ma coquille pour les besoins de lâart (huhu â peut-ĂȘtre devrais-je mettre une majuscule pour faire plus pompeux â les besoins de lâArtâ!).
Lâexploration dâOxford, de son histoire et de la vie locale a donnĂ© naissance Ă la trilogie Tendres Baisers dâOxford, au Youtubeur et, dans un registre fantastico-Ă©sotĂ©rique, Ă Dormeveille College.
Ma vie alimentait mon Ćuvre. Mon Ćuvre alimentait ma vie. JâĂ©tais parvenu Ă intĂ©grer lâici et le maintenant dans ma fiction. JâĂ©tais joieâ!
Puis il y a eu Sheffield.
Sheffield la Grise, avec son hĂ©ritage industriel, ses cieux nuageux, sa rude Ăąme du Nord. Ce nâest pas mon imaginaire. Jâai vraiment essayĂ© de le faire mien, mais je nây suis pas parvenu. Le Brexit, la covid, les folies politiques du Royaume-DĂ©suni⊠Tout cela a certainement contribuĂ© Ă mon Ă©chec. Câest dommage, car je suis convaincu que Sheffield est la ville parfaite pour un polar.
Ă tragique destinĂ©eâ! Poor meeee! Je veux Ă©crire des romances fluffy, qui font rĂȘver, qui me font rĂȘver, bon sang de bonsoirâ! Pas des polarsâ! Get me out of here!
Mercredi 09 avril
Cela fait quelques jours que je lis Into The Stillness : Dialogues on Awakening Beyond Thought, la transcription dâune sĂ©rie de discussions entre Gary Weber et Richard Doyle (Professeur au dĂ©partement dâanglais de lâUniversitĂ© dâĂtat de Pennsylvanie).
Je lâai dĂ©couvert en faisant des recherches sur la mĂ©ditation et sur Gary Weber, un nom mentionnĂ© dans Why Buddhism Is True (Robert Wright) et qui mâĂ©tait inconnu.
Il mâa fallu lire 40 % de cet ebook pour comprendre quelque chose qui Ă©tait pourtant dans le titre : la vĂ©ritable absence de pensĂ©e. NaĂŻvement, je croyais quâil sâagissait dâune mĂ©taphore, dâune maniĂšre imagĂ©e de parler de lâĂ©tat calme dans lequel nous plonge une pratique intensive et prolongĂ©e de la mĂ©ditation. Grave erreurâ!
AprĂšs avoir longtemps pratiquĂ© la mĂ©ditation non-duelle, Gary Weber est parvenu Ă ne plus avoir de pensĂ©es. MĂȘme lorsqu'il ne mĂ©dite pas !
Impensable, me direz-vous, mais pourtant bien vraiâ!
Vendredi 11 avril
En vĂ©ritĂ©, ce qui a disparu chez Gary Weber, câest le narrateur, cette voix qui commente tout ce que lâon fait dĂšs que le cerveau nâest pas concentrĂ© sur une tĂąche. Le «âJe, moi, mienâ», infatigable, qui nous pourrit trĂšs souvent l'existence. Cette illusion, trĂšs puissante, qui consiste Ă nous faire croire que le «âjeâ» existe, mais qui se dissout dĂšs quâon lâexamine de plus prĂšs («âonâ» dĂ©signe ici les esprits curieux qui sâinterrogent sur leurs pensĂ©es et ce qui se passe dans leur psychĂ©, Ă©videmment).
Câest tout aussi fascinant que flippant. Gary Weber dĂ©montre par la pratique ce que les neurosciences savent depuis quelques annĂ©es : ce narrateur est un escroc. Il affirme faire les choses (j'ai eu une idĂ©e, j'ai rĂ©solu ce problĂšme, etc.âŠ), mais, en rĂ©alitĂ©, dâautres parties du cerveau (appelons-les des «âmodulesâ») font le travail en toute indĂ©pendance. Ăvidemment, câest lui qui bĂątit notre personnalitĂ©, cristallise nos gouts et nos dĂ©gouts (dâoĂč la souffrance, lâinsatisfaction avec laquelle nous vivons au quotidien), etc. Mais le reste, tout ce qui nous permet de fonctionner, est produit par dâautres modules : ce nâest pas lui qui se souvient des mots que lâon emploie ou qui est capable de dĂ©terminer ce que lâon va manger Ă midi, par exemple. Ce nâest mĂȘme pas lui qui pense. Il est juste le Responsable du Blabla.
Aussi incroyable que cela puisse paraitre, Gary Weber vit trĂšs bien sans ces pensĂ©es-lĂ (jusquâĂ ce que ça lui arrive, lui aussi avait des doutes). On trouve de nombreuses vidĂ©os sur YouTube oĂč il dĂ©crit son expĂ©rience⊠pour ceux et celles que ça intĂ©resse.
Je ne crois pas que jâaimerais faire taire mon «âjeâ» au point de le faire disparaitre, comme chez Weber, mais je ne serais pas opposĂ© Ă ce quâil se la ferme la plupart du temps. Ăa serait bien dâavoir un peu de paix⊠car se demander Ă deux heures du matin si Monique de la compta nous en veut, suite au regard peu amĂšne quâelle nous a lancĂ© dans le couloir le matin mĂȘme, nâest pas vraiment utile Ă notre survie ou Ă notre bienĂȘtre (surtout lorsquâon devrait dormirâ!).
Samedi 12 avril
Aujourdâhui, câest le retour de Doctor Who. Jâadore cet univers, donc câest toujours une joie de retrouver le Doctor, mais il devient de plus en plus difficile de nier que ça sâessouffle.
«âThe Robot Revolutionâ» nâest pas mauvais, les acteurs sont trĂšs bons et le personnage de Belinda est prometteur, mais ce premier Ă©pisode nâa rien dâoriginal ou de bouleversant (la rĂ©fĂ©rence aux incels est bienvenue, mais ça ne va pas plus loin). Jâai trouvĂ© les dialogues assez pauvres et les situations convenues (same old, same old).
Peut-ĂȘtre est-il temps de faire une pause et de produire des spin-offs Ă la placeâ?
Dimanche 13 avril
La curiositĂ© est une qualitĂ© de lâesprit qui nâest pas sans risque : curiosity killed the cat, comme on dit par chez moi. Cela sâapplique Ă©galement Ă la tolĂ©rance : tolĂ©rer lâintolĂ©rance est une Ăąnerie de premiĂšre classe (Ă bas lâextrĂȘme droiteâ!).
Mais, malgrĂ© ces risques, ce sont, Ă mes yeux, deux vertus que lâon devrait cultiver sans rĂ©serve. Elles sont les piliers fondamentaux de mon humanisme, câest-Ă -dire de ma maniĂšre de voir le monde et dâagir dans le monde.
Ce qui a de bien avec elles, câest que lâon peut toujours aller plus loin : questionner ses croyances, se mettre Ă la place des autres et essayer de comprendre leur point de vue, mĂȘme quand ça heurte notre sensibilitĂ©âŠ
La curiositĂ© et la tolĂ©rance nâont rien de rassurant : si elles le sont (tout le temps), câest que lâon sây prend mal. Il est bon de flirter avec lâinconfort quâelles peuvent susciter. Câest lĂ que lâon apprend le plus (sur soi et sur le monde).
Mardi 15 avril
Les cerisiers du parc sont en fleurs. Ămerveillement.
Devant lâun dâentre eux, dĂ©licatement rose, symbole de lâimpermanence dans laquelle nous vivons toustes, pendant un bref moment, je me suis imaginĂ© au Japon ou en CorĂ©e du SudâŠ
Serais-je aussi sensible Ă cette beautĂ© sans les sakuras qui peuplent les mangas, les manhwas et les sĂ©ries tĂ©lĂ© de ces deux paysâ? Je nâen suis pas sĂ»r.
Il me semble quâil faut cultiver cette facultĂ© : sâarrĂȘter, sortir de ses pensĂ©es, regarder autour de soi et Ă©prouver Ă travers tous ses sens la beautĂ© grandiose de la nature. Quand on vit Ă la campagne, câest une Ă©videnceâ; mais en ville, ça demande un effort conscient.
Et dans le cas des cerisiers en fleurs : il faut apprendre Ă sortir au bon moment du printemps, car, trĂšs vite, les fleurs roses ou blanches finissent par sâenvoler au vent.
Et de cette beauté, il ne reste plus rien.
Jeudi 17 avril
Je suis fascinĂ© par ce que la science a Ă dire des phĂ©nomĂšnes psychiques, du surnaturel, des superstitions, des miracles, etc. En tant qu'Ă©crivain de SFFF, ces sujets mâintĂ©ressent. Je ne suis pas le seul, câest le cas dâune grande partie de la population (que les gens veuillent le reconnaitre publiquement ou pas). Je nâen Ă©prouve aucune honte : je suis curieux et garde mon esprit ouvert autant que possible (câest ainsi que lâon apprend).
Mais mon intĂ©rĂȘt ne veut pas dire que je suis crĂ©dule pour autant. Je suis sceptique de nature. Tant que je nâen fais pas lâexpĂ©rience moi-mĂȘme, je ne peux pas tirer de conclusions. Et si jâen fais lâexpĂ©rience, il faut savoir raison garder : plusieurs explications sont possibles. Prenons le temps de les considĂ©rer, avec calme et logique.
Quand je mâinterroge sur un phĂ©nomĂšne, jâaime mâen remettre aux sciences en premier lieu. Mais jamais aveuglĂ©ment. Je remarque que beaucoup de gens, qui se disent rationnels, tirent des conclusions beaucoup trop vite : ils en viennent Ă croire quâune absence de preuves est une preuve dâabsence (est-ce de la paresse intellectuelleâ? Who knowsâŠ). Et quand il y a des rĂ©sultats qui remettent en cause leur vision du monde, ça critique la mĂ©thode, ça attaque le caractĂšre des scientifiques qui ont fait lâexpĂ©rience, ça tombe parfois dans un intĂ©grisme qui trahit ce que reprĂ©sentent la mĂ©thode et lâesprit scientifiques. Chez certaines personnes, la science et le matĂ©rialisme ressemblent Ă©trangement Ă une croyance dogmatique.
Ăvidemment, quand jâĂ©cris ces lignes, je nâignore pas le contexte dans lequel nous nous trouvons actuellement : il y a des imbĂ©ciles pour croire que la Terre est plate, que les vaccins sont nuisibles Ă la santĂ© et que sais-je encore. Les charlatans pullulent, et leurs idĂ©es malodorantes se rĂ©pandent sur les rĂ©seaux sociaux. La dĂ©sinformation gangrĂšne les dĂ©bats publics⊠La science est attaquĂ©e de tous bords.
Il est de notre devoir de la dĂ©fendre mordicus, sans pour autant lui vouer un culte. VoilĂ qui exige quelques talents dâĂ©quilibristeâ!
Vendredi 18 avril
Lâautre jour, jâĂ©coutais un podcast avec lâĂ©crivain belge Ăric-Emmanuel Schmitt. Il y racontait ses deux expĂ©riences mystiques : celle quâil a vĂ©cue dans le dĂ©sert algĂ©rien lorsquâil avait 29 ans et celle, plus rĂ©cente et tout aussi inattendue, qui le surprend en pleine visite du Saint-SĂ©pulcre en 2022.
Ce qui me marque, ce sont les similitudes entre ces extases religieuses et les expĂ©riences des mĂ©ditants de haut niveau (qui ne sont pas nĂ©cessairement religieux et qui sont issus de traditions du monde entier). Toustes rapportent un contact avec un principe primordial : Yaweh, Dieu, Allah, pour les traditions abrahamiquesâ; la nature de Bouddha, la Conscience, lâUnivers, la Source, etc., ailleurs.
Lâineffable est au cĆur dâune telle expĂ©rience transcendantale, et celui ou celle qui tĂ©moigne n'a pas d'autre choix que d'employer des mĂ©taphores, c'est-Ă -dire un vĂ©ritable langage poĂ©tique. Je soupçonne que toutes ont en commun la dissolution (momentanĂ©e ou dĂ©finitive) du Moi, mais le discours est colorĂ© par le contexte culturel : lâAmour chez les chrĂ©tiens (of course), le Vide chez les bouddhistes zen, etc.
Samedi 19 avril
Je suis opposĂ© Ă la cancel culture, câest-Ă -dire Ă lâappel au boycott dâindividus car iels tiennent des propos qui nous dĂ©rangent. Ă mes yeux, ce sont des tactiques de cyberbullying. Jâabhorre toute forme dâintimidation, mĂȘme quand la victime est un bourreau. La vindicte populaire est dangereuse, surtout quand elle se croit moralement justifiĂ©e. Ăa peut vite dĂ©raper.
Dans les faits, je refuse dâavoir affaire aux auteurices problĂ©matiques : Rowling, en particulier, en est venue Ă me dĂ©gouter physiquement, et je ne porte plus Harry Potter dans mon cĆur depuis quelques annĂ©es. La saga est devenue coupable pas association. Câest aussi le cas de Gaiman, pour les raisons que lâon connait. Qui cause de la souffrance Ă mes contemporain·es ne mĂ©rite ni mon respect ni mon temps, et encore moins mon argent.
Je considĂšre, toutefois, que lâĆuvre et lâartiste sont sĂ©parĂ©s. La valeur dâun roman doit ĂȘtre jugĂ©e sans que la rĂ©putation de sa crĂ©atrice nâinterfĂšre.
Mais il y a des limites. Lirais-je les Ă©crits dâun homophobe du 19e ou du 20e siĂšcleâ? Oui, sans la moindre hĂ©sitation, d'autant plus si le roman ne garde aucune trace de ses croyances nausĂ©abondes. Ferais-je de mĂȘme sâil Ă©tait encore en vieâ? Non.
Le passage du temps offre une distance bienvenue, qui permet une lecture dĂ©passionnĂ©e. Quand le bourreau et la victime ne sont plus de ce monde, il ne sert Ă rien de rejouer le procĂšs dans sa tĂȘte. Mais quand les victimes (potentielles ou avĂ©rĂ©es) sont bien vivantes, et que lâartiste a encore le pouvoir de rĂ©pandre le mal autour dâellui, il faut savoir incarner ses valeurs et refuser de tolĂ©rer lâintolĂ©rable. Je nâappellerai pas au boycott, mais je boycotte sans la moindre hĂ©sitation.
Dimanche 20 avril
Dans sa newsletter du jour, James Horton donne Ă lire «âA Guide to âVoiceâ for Writers Who Hate Vague Adviceâ» avec de bons conseils pratiques.
Pour rĂ©sumer son propos : attention (mindfulness) et dĂ©tails contribuent grandement au dĂ©veloppement dâune «âvoixâ» unique.
Il a certainement raison, mais ce nâest pas la validitĂ© de ses conseils qui mâintĂ©resse ici.
*
Apparemment, nous vivons dans un monde oĂč Ă©crire ne suffit plus (et plus largement oĂč ĂȘtre ne suffit plus). Il faut avoir une voix unique : lâĂ©criture devient lâexpression de lâindividualisme triomphant. Nous devons obligatoirement nous dĂ©marquer des autres. Si tu Ă©cris comme le voisin, câest que tu tây prends mal.
Se prĂ©occuper de sa voix, câest prendre le problĂšme par le mauvais bout : le but de tout Ă©crit (allez, soyons fous : mĂȘme dâun roman) est dâexprimer le plus clairement (et le plus agrĂ©ablement) possible ses idĂ©es afin de les transmettre Ă autrui. La voix est une consĂ©quence de cette pratique assidue. Pas sa finalitĂ©.
Quand je parle Ă un ami, je ne mâinquiĂšte pas de ma voix : elle est lĂ . Si je me prĂ©occupe de mon originalitĂ©, mon message perd de sa clartĂ©. Quand jâĂ©cris, câest pareil.
Le markĂ©ting, qui ne peut exister sans cette diffĂ©renciation, distord notre vision des choses. Il nous fait croire que lâoriginalitĂ© est ce quâil y a de plus important (lâoriginalitĂ© fait vendre, nous rĂ©pĂšte-t-on ad nauseam). Mais la recherche de lâoriginalitĂ© repose sur un paradoxe : on ne devient original que lorsque lâon cesse de vouloir lâĂȘtre. La voix Ă©merge naturellementâ; pas besoin de la forcer.
Lundi 21 avril
Suite Ă lâannonce de la mort du Pape, jâai regardĂ© The Two Popes/Les Deux Papes (2019), avec Anthony Hopkins et Jonathan Pryce, puis Conclave (2024), lâadaptation du roman Ă©ponyme (2016) de Robert Harris, avec Ralph Fiennes dans le rĂŽle-titre.
Ce qui se passe dans les coulisses du Vatican a de quoi fasciner : les affaires temporelles, la soif du pouvoir et la faillibilité humaine clashent avec le Credo et la pureté supposée de la foi.
Ces gens-lĂ pratiquent-ils ce quâils prĂȘchentâ? Quelle est cette odeur qui embaume les couloirs du Saint-SiĂšgeâ? De lâhypocrisie ou de la saintetĂ©â?
Je ne suis pas catholique, mĂȘme pas chrĂ©tien. Francis ne reprĂ©sentait donc rien pour moi⊠mais, de loin en loin, jâai admirĂ© ses valeurs, son dĂ©sir sincĂšre dâaider les plus dĂ©munis, son refus de la pompe, son humilitĂ©.
Si le rĂŽle de lâĂglise diminue chaque jour davantage en Occident, sa puissance en Afrique et en Asie semble se consolider. EspĂ©rons donc que le nouveau Pontife soit fidĂšle Ă son titre et continue à «âĂȘtre le pont (sacrĂ©)â» entre les communautĂ©s (et les religions)⊠Nous avons assez de fous sur Terre qui veulent bĂątir des murs et sâenfermer dans des citadelles.
Mardi 22 avril
AprÚs ce long weekend férié, de retour au boulot pour trois journées à peine. Je devrais pouvoir tenir.
On respire un bon coup. Inhale, exhale. Surtout ne pas sâĂ©nerver, rester aussi zen que possible, se concentrer sur son travail, le faire au mieux et se rappeler que son identitĂ© tout comme sa valeur ne sont pas liĂ©es Ă ces tĂąches. Nul besoin dâimpressionner ni de se dĂ©passer. Faire des pauses. Prendre le temps. Ătre prĂ©sent. Oui, ĂȘtre prĂ©sent le plus possible.
Vendredi 25 avril
Quand je me suis mĂȘlĂ© au fandom du Boys' Love et de lâhomoromance, jâai dĂ©couvert quâil y avait des gens pour juger les personnages comme sâils Ă©taient des personnes rĂ©elles. Ăa ne mâĂ©tait jamais venu Ă lâesprit. Ăvidemment, comme tout le monde, jâai eu des coups de cĆur pour certains protagonistes, mais jamais parce que jâaurais voulu devenir leur pote ou, dans le cadre dâune romance, leur mec.
Les dĂ©bats autour des red flags ou green flags sont peut-ĂȘtre utiles quand on est adolescent·e, que lâon nâa pas vĂ©cu, que lâon Ă©prouve quelques difficultĂ©s Ă distinguer la fiction de la rĂ©alitĂ© (et encoreâ!)⊠mais je ne mâexplique pas comment lâon peut continuer ce type de lecture avec la maturitĂ©. Câest le degrĂ© zĂ©ro de la lecture.
Ă mes yeux, le rĂŽle du roman est de commenter les passions humaines. Il nous permet de mieux comprendre les gens, que ce soit ceux autour de nous ou ceux qui vivent sur un autre continent, nos contemporains comme nos ancĂȘtres. Il met de l'ordre (cĂ d du sens) dans les expĂ©riences chaotiques du quotidien, oĂč lâon ne sait jamais vraiment pourquoi les gens rĂ©agissent ainsi (on a des thĂ©ories, Ă©videmment, mais aucun moyen de les vĂ©rifier et dâĂȘtre sĂ»r Ă 100 %).
Peu importe le genre dâailleurs : un roman de SF mâapprend tout autant sur mes contemporains quâun roman rĂ©aliste.
La littĂ©rature me rĂ©conforte car elle mâoffre du sens, et non parce quâelle confirme ma vision du monde ou me donne Ă lire des personnages qui sont une version idĂ©alisĂ©e de moi-mĂȘme. Oui, parfois, je me projetteâ; oui, parfois, je vis par procuration⊠mais jâadore tout autant les mythomanes, les passifs-agressifs, les misĂ©rabilistes, les narcissiques, etc. Je ne demande pas Ă lâauteurice que ses personnages soient parfaits, ni mĂȘme bons, je veux juste ĂȘtre capable de les comprendre⊠Pendant le temps dâune lecture, je souhaite me mettre dans leur peau et voir le monde Ă travers leurs yeux. Et si je comprends leurs actes, la mission est accomplie.
Samedi 26 avril
Heesu in Class 2 est mon coup de cĆur de la semaine avec la saison 2 de Weak Hero. Les deux sont des sĂ©ries corĂ©ennes, adaptĂ©es de webtoons, avec des lycĂ©ens pour protagonistesâ; la premiĂšre sâinscrit dans le genre du BL, la seconde dans celui de lâaction et de la violence.
Mais câest Heesu in Class 2 qui mâa le plus intĂ©ressĂ©. Cette sĂ©rie a tout pour plaire : les acteurices et la cinĂ©matographie sont excellentsâ; les scĂšnes sont tour Ă tour drĂŽles, banales, touchantes, belles, tristesâŠ
Hee-Su est connu dans tout son lycĂ©e pour donner dâexcellents conseils de cĆur⊠Ăvidemment, il nâa jamais Ă©tĂ© en couple, mais, depuis des annĂ©es, il est amoureux de son meilleur ami, le trĂšs talentueux Chan Yeong. ObnubilĂ© par ses sentiments, Hee-Su ne remarque quâassez tardivement quâil a, lui aussi, un admirateur secret⊠Au mĂȘme moment, Seung Won, le dĂ©lĂ©guĂ© de la classe, un bon Ă©lĂšve distant qui ne pense quâaux Ă©tudes, vient lui demander des conseils pour sĂ©duire son crushâŠ
Jâai un faible pour les sĂ©ries qui sâinterrogent sur la place de lâamour dans nos vies, sur les maniĂšres dâhabiter ce sentiment avec justesse et bravoure. Trop souvent, j'ai l'impression que les homoromances expriment une vision anĂ©miĂ©e de l'amour. Le discours y est basique : moi aimer garçon, moi tout faire pour le conquĂ©rir. OK. Ăa peut ĂȘtre divertissant, certes, mais mon Ăąme ne trouve lĂ rien d'enrichissant. Je sors de ma lecture ou de mon visionnage tel que j'y suis entrĂ©. Aussi pauvre ou aussi con.
Heesu in Class 2 nous fait Ă©voluer en mĂȘme temps que son protagoniste. En choisissant de montrer des amours homosexuelles et hĂ©tĂ©rosexuelles (les sĆurs de Hee-Su sont des drama queens de l'amour), cette sĂ©rie dĂ©montre que le sentiment (tout comme les interrogations, les doutes et les joies quâil suscite) est universel. La scĂšne de comingout de Hee-Su auprĂšs de sa sĆur Hee-Sin est faite en toute simplicitĂ© et lĂ©gĂšretĂ©, mais elle nâen demeure pas moins Ă©mouvante, car la vulnĂ©rabilitĂ© du personnage est palpable.
Dimanche 27 avril
Ce matin, sur Twitter, jâai vu passer quelques critiques nĂ©gatives (qui doivent expliquer pourquoi la sĂ©rie est notĂ©e 7,5/10 sur MyDramaList.com, ce qui est trĂšs peu pour une sĂ©rie aussi bien faite) : le fandom nâapprĂ©cie ni la finesse ni la mesure.
Si deux garçons ne sâembrassent pas, ce nâest pas assez homosexuel Ă leur gout. Sâils ne sâarrachent pas leurs vĂȘtements, leurs sentiments sont trop tiĂšdes.
Tout nâa pas besoin dâĂȘtre une gay pride, non plus. Tout nâa pas besoin dâĂȘtre in your face. LâĂ©rotisation, presque obligatoire, des amours homosexuelles dans le genre de la romance mâattriste. (Je ne suis pas prude pour autant : si je veux voir du cul, je regarde un porno. Tout simplement.)
Personne (de sensĂ©) ne peut regarder Heesu in Class 2 et Weak Hero et affirmer que cette derniĂšre est plus gay que la premiĂšre. Mais câest pourtant ce que ces fans soutiennent, confondant lâexpression intense dâun sentiment (lâamitiĂ© dans WH) avec de lâamour (Ă©rotique).
Mes contemporain(e)s me dĂ©sespĂšrentâŠ
Mercredi 30 avril
La cohabitation, qui suit une sĂ©paration, nâa pas Ă ĂȘtre infernale.
Ce nâest pas une pĂ©riode facile pour autant : une parole ou un geste dĂ©placĂ©s peuvent vite Ă©clater en dispute. Lâun est habitĂ© par la culpabilitĂ©, lâautre par la rancĆur : lâexpĂ©rience nâest pas la mĂȘme selon quâon a mis fin Ă la relation ou quâon subit cette dĂ©cision.
Mais je trouve que cĂ©der aux rĂ©criminations nâamĂšne rien de bonâ; jouer la victime, câest une solution facile. Je prĂ©fĂšre me concentrer sur le positif : la relation nâa pas pris fin, elle Ă©volue, elle part dans une nouvelle direction. Jâaccueille ce changement avec curiositĂ©, Ă dĂ©faut de lâavoir dĂ©sirĂ©. Lâamour Ă©volue donc en amitiĂ©, ou plutĂŽt, nous ne perdons pas de vue ce qui avait fait la soliditĂ© de notre couple : la comprĂ©hension, lâentraide et le respect demeurent. Tant quâil faudra cohabiter, nous ferons les efforts nĂ©cessaires pour maintenir ce partenariat. Et aprĂšsâ? Peut-ĂȘtre que nous resterons amisâ; peut-ĂȘtre que nous ne voudrons plus nous voir.
Il faut ĂȘtre deux pour danser. Le futur de cette relation, la forme quâelle prendra et les mots que nous utiliserons pour la dĂ©finir ne dĂ©pendent pas de moi seul. Ces derniers mois ont Ă©tĂ© une leçon magistrale dans lâart du lĂącher-prise : dans la vie, on ne maitrise pas grand-chose, pas mĂȘme le peu que lâon croit maitriser.
Toujours autant de plaisir Ă te lire et Ă dĂ©couvrir tes univers. Vieillir nâest pas toujours amusant, je t assure - mais il se peut que je confonde vieillir avec ĂȘtre gravement malade.
Aussi, je vais regarder Robert Wright. Ăa mâintĂ©resse et confirmerait quelque chose que je me tue Ă dire depuis des annĂ©es et que mon travail sur Lovecraft mâa confirmĂ© : le « je » nâexiste pas.