Tu peux trouver la version éditée complète de ce journal sur mon site internet.
La version intégrale (fautes et anglicismes inclus) est disponible dans mon jardin numérique, Sylves. La publication s’y fait au jour le jour.
So long!
Enzo
Lundi 3 avril
Si je vis suffisamment longtemps, j’aimerais être comme ces séniors qui sont anarchistes, radicaux, désobligeants, ouverts d’esprit, progressistes, optimistes, et qui se délectent de voir la jeunesse bâtir le monde de demain sans amertume ni nostalgie du passé. En somme, je ne veux pas finir vieux con, même si je sens qu’il me serait facile de le devenir.
Je souhaite que les déceptions de la vie n’érodent pas ma bienveillance et ma générosité d’esprit. Si je devais mener un seul combat, ce serait contre l’aigreur qui s’installe avec l’âge.
Mardi 4 avril
À nouveau, je succombe au plaisir onaniste de la création d’un monde secondaire : je pourrais y passer tout mon temps libre et perdre de vue la finalité de cette pratique. Créer un monde ex nihilo sans se donner la peine d’écrire les histoires auxquelles il est supposé offrir un cadre.
Ces réflexions ne valent la peine que si elles sont suivies des faits. En somme, si elles ne sont pas stériles, si elles servent l’acte d’écrire.
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Peut-on envisager une civilisation moderne qui ne serait pas passée par une révolution industrielle ? Peut-on imaginer la modernité sans ses avancées technologiques ? Pour jauger un monde imaginaire, savoir s’il est vraisemblable, nous en sommes réduits à le comparer au seul que nous connaissons. J’envie les auteurices qui semblent capables, par la seule puissance de leur imagination, de sortir des limites que ce monde-ci nous impose.
Mercredi 5 avril
Selon mon profil psychologique (fourni par mon travail, merci pour ce petit cadeau), mon Myers Briggs Type Indicator est INFJ, ce qui signifie que je suis orienté vers : Introversion, Intuitive, Feeling, Judging (Introversion, Intuition, Sentiment, Jugement).
Si les Coréens sont fanas du Myers Briggs et semblent tout comprendre dès qu’ils entendent ces quatre lettres, dans mon cas, ça ressemble davantage à un code dont seule la première clef me serait intelligible : introversion.
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Susan Cain cherche à atténuer la culpabilité que nous éprouvons en vivant dans une société qui valorise principalement l’extraversion, c’est là tout l’intérêt de Quiet. Même si je ne vis pas aux États-Unis (où tout est pire, semble-t-il), la culture occidentale, même en Europe, surestime la valeur des extravertis et voudrait que les introvertis cessent de l’être, nous donnant l’impression de ne jamais être assez. Pour qu’une société vive en harmonie, soit réellement riche, il faut que tous ceux et celles qui la composent soient respectés et valorisés — c’est ça, l’inclusion. (I know, I know… Je suis un dangereux wokiste.)
Vendredi 7 avril
Quand nous allons au Costa ou au Starbucks du coin, D. & moi rêvons à ce que nous ferons dans quelques années.
Sheffield fait office de lieu de résidence temporaire, nous ne nous y voyons pas sur le long terme. Un déménagement finira par avoir lieu : quand et vers où ? C’est un mystère. J’aimerais tenter un autre pays, voire un autre continent, même si je sais que la vie n’y est pas meilleure. On peut changer l’environnement, mais on embarque toujours son cerveau (et donc ses problèmes) avec soi.
Ma vie à Sheffield ne m’inspire pas. Elle est très confortable (au point que je pourrais être ici dans dix ans), mais elle ne me fait pas rêver. Or, j’ai besoin d’enchanter mon quotidien pour le supporter. Sheffield, gris et industriel, se refuse à toute forme d’enchantement. Et la tyrannie du Brexitland, depuis quelques années, empêche que l’on s’y sente bien.
Samedi 8 avril
Toujours beaucoup de joie quand je visite Lincoln, en particulier la ville haute. Pendant quelques heures, je rêve d’y habiter. Cette ville (à une heure de Sheffield) me rappelle Oxford, c’est certainement la raison pour laquelle j’y suis à ce point attaché. Je la préfère à York, qui a l’inconvénient d’être extrêmement touristique.
Quand on vit au quotidien dans un endroit, il faut se méfier du tourisme. Le centre-ville d’Oxford, passé 11 heures, n’était plus fréquentable, surtout en été, quand les hordes de touristes débarquaient par bus entiers. Je déteste les foules. Heureusement, nous étions matinaux et visitions les magasins et la bibliothèque municipale dès leur ouverture. Dans quelques mois, ça fera cinq ans que j’ai quitté Oxford et que je n’y ai pas remis les pieds : à l’occasion, on parle d’aller y passer la journée, voir une expo à l’Ashmolean, se balader dans des petites rues (et rêver de Dormeveille College).
Dimanche 9 avril
Est-ce que je radote ? Aujourd’hui, je vais éditer le journal du mois de mars, ce qui me permettra de le vérifier… mais comme j’ai oublié ce que je disais en janvier et en février, cette vérification ne sera peut-être pas concluante. J’espère que les lecteurices ont une mémoire aussi mauvaise que la mienne… ou plutôt qu’iels s’en fichent un peu, me lisant entre deux tweets ou posts Facebook, sans grande attention (seule manière agréable de lire ce journal quand on n’en est pas l’auteur).
Lundi 10 avril
Sarah Manguso, dans Ongoingness: The End of a Diary, décrit l’expérience de tenir un journal sans jamais le citer. À moins de cent pages, ça peut se lire d’une traite. L’autrice se dévoile sans se dévoiler. C’est le genre de littérature qui, par sa forme même, ne saurait être populaire : notre société aime la littérature qui se vend au poids. La brièveté lui est suspicieuse.
Mardi 11 avril
Je n’aurai rien fait de ces quelques jours de vacances. Rien d’utile, ou que je juge utile. (Se reposer sent le soufre.)
Mon iPad est devenu mon meilleur ami : je regarde toutes mes séries asiatiques sur ce petit écran. (La tablette était chère, mais c’est le meilleur investissement que j’ai fait. Aucun regret.)
Ces séries me procurent tellement de joies, de plaisirs, mais aussi beaucoup de peine, car je n’éprouve plus (ou très rarement) le besoin de lire ou d’écrire de la fiction. Comme si j’étais devenu quelqu’un d’autre, avec des goûts différents, avec une manière de passer son temps différemment, mais qui a gardé les rêves de celui qui l’habitait avant.
Je me souviendrai de ces années comme celles d’une transition inquiète où je suis devenu qui je ne connaissais pas encore.
Mercredi 12 avril
J’aime les 300 Arguments de Sarah Manguso, une collection d’aphorismes. Je mesure à quel point j’ai changé depuis mes dix-huit ans.
À l’époque, le prof de littérature d’Hypochartes (Who Shall Not Be Named) nous avait fait travailler sur la forme brève : Quignard, Georges Perros, les romantiques allemands. J’étais un lecteur de romans ; j’ai abordé ces recherches et ces lectures avec beaucoup de réticence… ne comprenant qu’assez peu l’intérêt du sujet.
Mais voilà que je suis maintenant fasciné par tous ces textes courts, des aphorismes aux poèmes. Peut-être parce que la forme brève est dans l’air du temps (SMS, WhatsApp, Twitter) ; peut-être parce qu’ils me semblent plus faciles à écrire.
Plus rapides en tout cas, car la facilité est une illusion : le roman permet l’à-peu-près, l’impose même ; on écrit au kilo. Ce qui est court doit être précis, chirurgical. Mais je me fiche du degré de difficulté réel tant que je succombe à cette illusion : j’ai besoin de croire que je peux y arriver. Quand je lis Sarah Manguso, je me dis moi aussi, je peux y arriver. Il ne m’en faut pas plus pour vouloir faire de même.
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« A great photographer insists on writing poems. A brilliant essayist insists on writing novels. A singer with a voice like an angel insists on singing only her own, terrible songs. So when people tell me I should try to write this or that thing I don’t want to write, I know what they mean. » (Sarah Manguso, premier ‘argument’)
Jeudi 13 avril
Il existe trois manières d’appréhender le monde : la magie, la religion et la science. Il semble qu’elles soient apparues dans cet ordre, les deux dernières sur le tard (très tard).
La magie n’est pas un ensemble de tours de passe-passe, de tricks, d’illusions. C’est un système rationnel qui met l’être humain au cœur de l’univers et l’univers au cœur de l’être humain. La science, pour sa part, détache l’humain de ce qui l’entoure : les liens sont coupés, car les lois de la nature existent avec ou sans nous.
Beaucoup s’insurgeront du fait qu’on puisse parler de la magie comme d’un « système rationnel », car, dans nos sociétés occidentales, nous la réduisons souvent à des superstitions irrationnelles.
Mais rationnel ne veut pas dire vrai (la science, aussi, peut être dans le faux, d’ailleurs, son histoire nous le prouve constamment). La magie (astrologie, alchimie, etc.) fonctionne selon une logique propre, souvent transactionnelle (« Y ou Z adviendra si je fais X »). Pendant des siècles, elle a été prise très au sérieux par nos intellectuels, ceux que l’on considère comme les pionniers de la Science. C’est ainsi que Newton a passé sa vie plongé dans les traités d’alchimie…
Magie, religion et science ne sont donc pas mutuellement exclusives, mais peuvent se chevaucher, même encore de nos jours. Je trouve ce fait fascinant.
Vendredi 14 avril
Je traverse une phase japonaise : depuis la semaine dernière, je dévore des séries nipponnes sans m’arrêter. Principalement des séries romantiques (est-on surpris ?). Quel pays, quelle production intéressante !
Je regarde un épisode et je me dis qu’il n’aurait pas pu être imaginé ailleurs.
Ils explorent tous les tabous imaginables, toutes les situations awkward. Ils osent. En purs créatifs, ils ne rejettent aucune idée, aucune intrigue de peur qu’elle soit inacceptable ou inconvenante.
Leur politiquement correct n’est pas le nôtre : difficile de savoir ce qui est acceptable là-bas, mais il est clair que leur art est fait pour explorer cette zone d’inconfort.
J’aime leurs personnages qui se comportent de manière ambiguë, qui interrogent nos valeurs morales (et les leurs). Il y a quelque chose de résolument humain en eux : ils ne sont jamais à la hauteur des attentes de la société ; ils échouent constamment à être « normaux ».
Leur mentalité insulaire me fascine pareillement. Là où la Thaïlande et la Corée du Sud sont ouvertes sur le monde (les personnages qui émigrent, ou ont émigré, ne sont pas rares), le Japon se suffit à lui-même. C’est peut-être là ce que j’admire le plus : une culture qui est sûre d’elle, même dans ses comportements les plus névrotiques.
Samedi 15 avril
Une fois que j’ai quitté une ville pour aller habiter ailleurs, je n’éprouve pas le besoin de la visiter.
Paris, Londres, Oxford.
À chaque fois, je suis passé à autre chose, si bien que, sans certaines obligations (rendre visite à des amis, rendez-vous médicaux, etc.), je n’y mettrais pas les pieds.
J’ai goûté à Paris, j’ai goûté à Londres, j’y ai certainement été heureux… mais la vie dans ces capitales ne me manque pas. L’idée d’y vivre à nouveau me révulserait presque.
Ce serait comme revenir sur ses pas, cesser d’aller de l’avant, retourner sur les lieux d’un crime, là où les rêves sont morts avant de pouvoir se réaliser.
Dimanche 16 avril
Beaucoup de gens rêvent du monde de demain en imaginant qu’ils seront dans une position de force (même quand il est clair qu’ils ne le seront jamais). Ils croient qu’ils auront la santé, l’argent et les bons amis (le réseau), tout le nécessaire pour se trouver du bon côté de la barrière.
On ne se bat jamais contre les inégalités quand on croit qu’elles nous profiteront un jour.
Pour imaginer un monde sans inégalités, il faut partir du principe qu’on occupera la position la moins fortunée possible. Si je suis seul, en mauvaise santé, sans argent ou emploi, ce monde me permettra-t-il de vivre heureux et digne ?
Lundi 17 avril
Se rappeler, encore et encore, que Twitter n’est pas le monde, que ce n’est pas la réalité. Que ce qui s’y dit n’est qu’un écho déformé, voire une hallucination.
Se rappeler aussi que la folie américaine n’est pas la folie européenne, que leurs problèmes ne sont pas nécessairement les nôtres.
Ne pas confondre, ne pas confondre.
Ne jamais oublier que chaque tweet à un contexte : âge, sexe, lieu, éducation, religion, santé mentale (de celleux qui le composent). Sans ces informations, il est impossible de juger de sa validité.
Ne jamais oublier que ces milliards d’avis, de grognements et de cris de joie polluent l’esprit, l’égratignent, le rendent fou petit à petit.
Mardi 18 avril
J’aurais voulu avoir une vie plus riche… mais je ne me sens bien que dans la routine la plus confortable. Une inquiétude se forme aussitôt que je dois faire quelque chose. J’ai modelé mon existence de manière à cultiver la paix intérieure : comme je me prends facilement la tête, j’évite tout ce qui pourrait aggraver mon tempérament anxieux.
Je voudrais être zen, traverser les aléas de la vie avec calme et patience, mais je ne fais que retirer le sel de la vie. Ne demeure qu’une existence assez fade, passée à scroller Twitter (bitter-sweet addiction).
Mercredi 19 avril
Pour comprendre la différence entre tempérament et personnalité, imaginons une maison et ses fondations.
Le tempérament, avec ses traits innés et biologiques, sert de fondation à la personnalité : notre bagage génétique nous rend plus introvertis ou extravertis, sensibles ou impulsifs.
La personnalité, c’est l’ensemble des traits et des comportements que nous avons acquis en réponse aux aléas de la vie (confiance en soi, empathie, résilience, etc.) ; elle inclut le tempérament.
Puisque nous sommes en vie, elle évolue constamment ; le moi d’hier n’est jamais le moi de demain.
Jeudi 20 avril
Je crois avoir une personnalité un peu trop obsessionnelle, puis je me balade dans le fandom du BL et je me sens mieux : il y a plus obsessionnel que moi. Ma passion semble bien tiède en comparaison.
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En ce moment, les réseaux sociaux s’affolent au sujet de The Eighth Sense, la série coréenne boy’s love/queer.
L’an dernier, c’était KinnPorsche ; avant cela, c’était The Untamed.
Chacune pour différentes raisons.
La hype est telle que l’objet importe peu : on en arrive à fantasmer la série plutôt que de la regarder avec objectivité. On projette ses émotions et ses attentes sur elle. Toute distance critique semble disparaître. On la remplace par une exégèse quasi religieuse, où chaque détail est analysé, décortiqué, surinterprété. La passion enfle, enfle, enfle, et devient plus importante que la série elle-même.
The Eighth Sense, par ses choix esthétiques et narratifs, se prête bien à cette exégèse.
Mais face à cette hype, je ne peux m’empêcher de m’interroger : à quel point est-ce que j’aime cette série pour ce qu’elle est ? Mon avis positif est-il influencé par ce qui se dit autour de moi ? La différence entre « j’aime » et « j’aime passionnément » s’explique-t-elle par la qualité de l’œuvre même ou par l’excitation qui m’entoure et qui m’affecte ?
Vendredi 21 avril
Me voyant en manque d’inspiration devant mon écran, mon mari veut que j’écrive ici qu’il a le corps d’un dieu grec.
Voilà. C’est fait.
Samedi 22 avril
Si le peuple vote pour l’extrême droite et l’invite à occuper les plus hautes instances d’une république, s’opposer à cette décision démocratique fait-il de nous des anti-démocrates ?
Si un choix démocratique met en danger la démocratie et ses valeurs, est-il acceptable de ne pas lui reconnaître sa légitimité ?
J’imagine qu’on peut reconnaître la légitimité d’un vote (et sa stupidité absolue), tout en bloquant les actions du gouvernement qui en est issu.
Le mieux serait encore de s’assurer qu’on n’arrive pas à ce vote fatidique, mais il semble que le gouvernement actuel travaille activement à mettre l’extrême droite au pouvoir. (Je parle, évidemment, du gouvernement français, car le gouvernement anglais est déjà d’extrême droite depuis quelques années.)
Dimanche 23 avril
C’est en plein milieu d’une longue tirade passionnée sur l’état de la nation française (ou anglaise) que je prends conscience qu’il y a des gens pour qui les discussions politiques sont ennuyeuses.
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Depuis des années, D. m’écoute poliment, mais son détachement me montre à quel point certaines personnes préfèrent penser à autre chose qu’aux rouages de nos sociétés. Elles aiment se focaliser sur leur entourage immédiat (leurs connaissances, leurs familles de coeur comme de sang, leur nombril). Elles n’ont pas l’ambition de changer le monde, même si celui-ci les violente et les rend malheureuses.
En refusant d’imaginer un monde meilleur, en refusant de tout faire pour l’obtenir, elles donnent carte blanche à nos politicien·nes et à nos oligarques : iels sont libres de faire ce qu’iels veulent en toute impunité, et iels façonnent le monde à leur image plutôt qu’à la nôtre.
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Rien n’est gravé dans le marbre : tout est en constante évolution. Croire qu’on ne peut rien faire à notre petit niveau, ce n’est pas faire preuve de réalisme, mais de défaitisme. C’est abdiquer le peu de pouvoir que l’on détient ; c’est renforcer, au mieux, le statu quo, au pire, des tendances délétères à un moment de notre Histoire où l’action devient une question de survie.
Lundi 24 avril
Comment savoir si le choix de ne pas agir est motivé par la prudence ou la paresse ?
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Ces dernières années, j’utilise « I can’t be arsed » pour décrire ma manière de fonctionner… mais il se pourrait que j’aie simplement appris à prendre soin de moi.
Mardi 25 avril
« So many of us believe in perfection, which ruins everything else, because the perfect is not only the enemy of the good; it’s also the enemy of the realistic, the possible, and the fun. » (Rebecca Solnit)
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« I think perfectionism is just a high-end, haute couture version of fear. » (Elizabeth Gilbert)
Mercredi 26 avril
Dans l’une de ses dernières vidéos, Impératrice Wu fait remarquer que, si un jeune homme asiatique est beau, les Français considèrent qu’il est soit japonais, soit coréen, mais s’étonnent (refusent de croire ?) qu’il puisse être chinois.
Elle va même plus loin : aux yeux des Français, les cultures japonaises et coréennes seraient supérieures à la culture chinoise (dire « les cultures chinoises » serait certainement plus juste tant ce pays est grand et varié).
Grâce à la Hallyu (la vague coréenne), qui est arrivée ces dernières années sur nos rivages européens, après avoir submergé l’Asie tout entière, la France commence à développer un intérêt (voire une obsession) pour la Corée du Sud, qui n’est qu’une extension de la passion pour le Japon que notre pays entretient depuis des décennies. K-dramas, K-pop, manhwa… la production culturelle coréenne est d’excellente qualité et à même de rivaliser avec la production occidentale.
Qu’en est-il de la Chine ? Considérer sa culture comme inférieure à celle de ses pays voisins (= un renversement de la vision traditionnelle en place en Asie depuis des siècles) ne peut s’expliquer que par la politique isolationniste du pays au XXe siècle, le fait que ce qu’on y produit soit considéré en Europe comme « bon marché » (et donc de piètre qualité) et le fait que la Chine, énorme pays, se suffit à elle-même : sur le plan culturel, elle n’a pas besoin du marché international pour se développer ; elle n’a aucune raison d’aller charmer l’Occident.
La géopolitique actuelle ne devrait pas améliorer l’image de la Chine en France… Le racisme anti-chinois a encore de beaux jours devant lui ; seule différence peut-être : le mépris a laissé place à la crainte.
Tout cela me déprime.
Jeudi 27 avril
Pendant de nombreuses années, j’ai écrit pour A., pour lui faire plaisir, pour l’épater, pour la distraire. Que je sois d’accord ou non avec ce qu’elle disait, je faisais confiance à ses retours de lecture, à son jugement.
Depuis qu’elle s’est retirée pour fonder une famille, le vide qu’elle a laissé est difficile à combler. Je dois réapprendre à écrire pour moi. Trouver en moi la motivation qu’elle suscitait. Je n’ai jamais été aussi productif que lorsqu’elle était à mes côtés. Je ne voulais pas la décevoir ; grâce à elle, à sa présence, à ses coups de pied et ses coups de gueule, j’ai terminé de nombreux projets.
Parfois, je m’inquiète à l’idée que je ne puisse plus rien terminer, que je sois condamné à attendre qu’elle revienne à l’écriture… Une sorte de purgatoire littéraire. En attendant Clara Vanely.
Je n’aime pas cette dépendance (je ne l’aimais pas plus dans le passé, d’ailleurs, mais j’avais l’impression que nous faisions de grandes choses ; mes chaînes étaient douces).
Vendredi 28 avril
Tenir un journal public, c’est être condamné à toujours avoir en tête les réactions possibles des lecteurices. Que vont-elles penser si j’écris ceci ? Vont-ils s’agacer si je parle encore de ça ?
La peur du ridicule fait des bulles en fond d’estomac, mais le mieux est de l’ignorer : si on l’écoute, on ne fait rien. S’empêcher d’écrire est pire que d’être l’objet de moqueries. Quoi qu’en dise l’esprit sur le moment, le ridicule est moins dangereux que le refus de s’épanouir : à trop vouloir plaire aux autres, à trop se soucier de sa réputation, on passe à côté de sa vie.
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Oui, c’est décidé : je vais me remettre au Mandarin. (Surprise !)
Samedi 29 avril
Je voudrais pouvoir garder l’état d’esprit du vendredi soir, après que j’ai joué à l’Euromillions et imagine une vie faite de mille possibles. Cette légèreté, cet optimisme, cette absence momentanée d’inquiétudes…
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Le samedi matin, au réveil, ma vie est identique à ce qu’elle était la veille : je n’ai pas gagné à la loterie ; mon existence se poursuit, confortable mais ennuyeuse. L’espoir d’un changement radical a disparu. Me voilà, à nouveau, pris dans le marasme de l’âme.
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Alors que la probabilité de remporter le jackpot est quasi nulle, il est possible de conserver une certaine insouciance de l’esprit et de cultiver une vision positive de son existence.
L’optimisme émerveillé entretient peu de rapport avec ce qui l’entoure. Il s’agit d’une disposition intérieure qui ne dépend que de nous.
Dimanche 30 avril
J’avais lu la moitié de Big Magic d’Elizabeth Gilbert avant d’arrêter ma lecture. J’en avais gardé une assez mauvaise impression. Peut-être attendais-je un nouveau Bird by Bird, un ouvrage qui changerait radicalement ma manière de considérer ma créativité.
J’ai repris ma lecture il y a quelques jours. C’est exactement le type de discours dont j’ai besoin en ce moment : l’opinion que je m’étais faite de ce livre me semble maintenant erronée, presque injuste. Là où je ne voyais que facilité, j’y trouve du bon sens, et même un peu de sagesse.
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Du coup, à la lumière de cette expérience, peut-être devrais-je redonner une chance à l’essai de Lewis Hyde, The Gift. Un auteur dont les livres me sont, à deux reprises, tombés des mains.