La vue depuis les marges

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Journal - avril 2023

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Les tribulations d’un auteur queer dans le monde.
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Journal - avril 2023

OĂč Enzo journalise et diarise encore et toujours...

enzo daumier đŸłïžâ€đŸŒˆ
Jun 10, 2023
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Journal - avril 2023

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Tu peux trouver la version éditée complÚte de ce journal sur mon site internet.
La version intĂ©grale (fautes et anglicismes inclus) est disponible dans mon jardin numĂ©rique, Sylves. La publication s’y fait au jour le jour.

So long!

Enzo



Lundi 3 avril

Si je vis suffisamment longtemps, j’aimerais ĂȘtre comme ces sĂ©niors qui sont anarchistes, radicaux, dĂ©sobligeants, ouverts d’esprit, progressistes, optimistes, et qui se dĂ©lectent de voir la jeunesse bĂątir le monde de demain sans amertume ni nostalgie du passĂ©. En somme, je ne veux pas finir vieux con, mĂȘme si je sens qu’il me serait facile de le devenir.

Je souhaite que les dĂ©ceptions de la vie n’érodent pas ma bienveillance et ma gĂ©nĂ©rositĂ© d’esprit. Si je devais mener un seul combat, ce serait contre l’aigreur qui s’installe avec l’ñge.


Mardi 4 avril

À nouveau, je succombe au plaisir onaniste de la crĂ©ation d’un monde secondaire : je pourrais y passer tout mon temps libre et perdre de vue la finalitĂ© de cette pratique. CrĂ©er un monde ex nihilo sans se donner la peine d’écrire les histoires auxquelles il est supposĂ© offrir un cadre.

Ces rĂ©flexions ne valent la peine que si elles sont suivies des faits. En somme, si elles ne sont pas stĂ©riles, si elles servent l’acte d’écrire.

*

Peut-on envisager une civilisation moderne qui ne serait pas passĂ©e par une rĂ©volution industrielle ? Peut-on imaginer la modernitĂ© sans ses avancĂ©es technologiques ? Pour jauger un monde imaginaire, savoir s’il est vraisemblable, nous en sommes rĂ©duits Ă  le comparer au seul que nous connaissons. J’envie les auteurices qui semblent capables, par la seule puissance de leur imagination, de sortir des limites que ce monde-ci nous impose.


Mercredi 5 avril

Selon mon profil psychologique (fourni par mon travail, merci pour ce petit cadeau), mon Myers Briggs Type Indicator est INFJ, ce qui signifie que je suis orienté vers : Introversion, Intuitive, Feeling, Judging (Introversion, Intuition, Sentiment, Jugement).

Si les CorĂ©ens sont fanas du Myers Briggs et semblent tout comprendre dĂšs qu’ils entendent ces quatre lettres, dans mon cas, ça ressemble davantage Ă  un code dont seule la premiĂšre clef me serait intelligible : introversion.

*

Susan Cain cherche Ă  attĂ©nuer la culpabilitĂ© que nous Ă©prouvons en vivant dans une sociĂ©tĂ© qui valorise principalement l’extraversion, c’est lĂ  tout l’intĂ©rĂȘt de Quiet. MĂȘme si je ne vis pas aux États-Unis (oĂč tout est pire, semble-t-il), la culture occidentale, mĂȘme en Europe, surestime la valeur des extravertis et voudrait que les introvertis cessent de l’ĂȘtre, nous donnant l’impression de ne jamais ĂȘtre assez. Pour qu’une sociĂ©tĂ© vive en harmonie, soit rĂ©ellement riche, il faut que tous ceux et celles qui la composent soient respectĂ©s et valorisĂ©s — c’est ça, l’inclusion. (I know, I know
 Je suis un dangereux wokiste.)


Vendredi 7 avril

Quand nous allons au Costa ou au Starbucks du coin, D. & moi rĂȘvons Ă  ce que nous ferons dans quelques annĂ©es.

Sheffield fait office de lieu de rĂ©sidence temporaire, nous ne nous y voyons pas sur le long terme. Un dĂ©mĂ©nagement finira par avoir lieu : quand et vers oĂč ? C’est un mystĂšre. J’aimerais tenter un autre pays, voire un autre continent, mĂȘme si je sais que la vie n’y est pas meilleure. On peut changer l’environnement, mais on embarque toujours son cerveau (et donc ses problĂšmes) avec soi.

Ma vie Ă  Sheffield ne m’inspire pas. Elle est trĂšs confortable (au point que je pourrais ĂȘtre ici dans dix ans), mais elle ne me fait pas rĂȘver. Or, j’ai besoin d’enchanter mon quotidien pour le supporter. Sheffield, gris et industriel, se refuse Ă  toute forme d’enchantement. Et la tyrannie du Brexitland, depuis quelques annĂ©es, empĂȘche que l’on s’y sente bien.


Samedi 8 avril

Toujours beaucoup de joie quand je visite Lincoln, en particulier la ville haute. Pendant quelques heures, je rĂȘve d’y habiter. Cette ville (Ă  une heure de Sheffield) me rappelle Oxford, c’est certainement la raison pour laquelle j’y suis Ă  ce point attachĂ©. Je la prĂ©fĂšre Ă  York, qui a l’inconvĂ©nient d’ĂȘtre extrĂȘmement touristique.

Quand on vit au quotidien dans un endroit, il faut se mĂ©fier du tourisme. Le centre-ville d’Oxford, passĂ© 11 heures, n’était plus frĂ©quentable, surtout en Ă©tĂ©, quand les hordes de touristes dĂ©barquaient par bus entiers. Je dĂ©teste les foules. Heureusement, nous Ă©tions matinaux et visitions les magasins et la bibliothĂšque municipale dĂšs leur ouverture. Dans quelques mois, ça fera cinq ans que j’ai quittĂ© Oxford et que je n’y ai pas remis les pieds : Ă  l’occasion, on parle d’aller y passer la journĂ©e, voir une expo Ă  l’Ashmolean, se balader dans des petites rues (et rĂȘver de Dormeveille College).


Dimanche 9 avril

Est-ce que je radote ? Aujourd’hui, je vais Ă©diter le journal du mois de mars, ce qui me permettra de le vĂ©rifier
 mais comme j’ai oubliĂ© ce que je disais en janvier et en fĂ©vrier, cette vĂ©rification ne sera peut-ĂȘtre pas concluante. J’espĂšre que les lecteurices ont une mĂ©moire aussi mauvaise que la mienne
 ou plutĂŽt qu’iels s’en fichent un peu, me lisant entre deux tweets ou posts Facebook, sans grande attention (seule maniĂšre agrĂ©able de lire ce journal quand on n’en est pas l’auteur).


Lundi 10 avril

Sarah Manguso, dans Ongoingness: The End of a Diary, dĂ©crit l’expĂ©rience de tenir un journal sans jamais le citer. À moins de cent pages, ça peut se lire d’une traite. L’autrice se dĂ©voile sans se dĂ©voiler. C’est le genre de littĂ©rature qui, par sa forme mĂȘme, ne saurait ĂȘtre populaire : notre sociĂ©tĂ© aime la littĂ©rature qui se vend au poids. La briĂšvetĂ© lui est suspicieuse.


Mardi 11 avril

Je n’aurai rien fait de ces quelques jours de vacances. Rien d’utile, ou que je juge utile. (Se reposer sent le soufre.) 

Mon iPad est devenu mon meilleur ami : je regarde toutes mes sĂ©ries asiatiques sur ce petit Ă©cran. (La tablette Ă©tait chĂšre, mais c’est le meilleur investissement que j’ai fait. Aucun regret.) 

Ces sĂ©ries me procurent tellement de joies, de plaisirs, mais aussi beaucoup de peine, car je n’éprouve plus (ou trĂšs rarement) le besoin de lire ou d’écrire de la fiction. Comme si j’étais devenu quelqu’un d’autre, avec des goĂ»ts diffĂ©rents, avec une maniĂšre de passer son temps diffĂ©remment, mais qui a gardĂ© les rĂȘves de celui qui l’habitait avant. 

Je me souviendrai de ces annĂ©es comme celles d’une transition inquiĂšte oĂč je suis devenu qui je ne connaissais pas encore.


Mercredi 12 avril

J’aime les 300 Arguments de Sarah Manguso, une collection d’aphorismes. Je mesure Ă  quel point j’ai changĂ© depuis mes dix-huit ans. 

À l’époque, le prof de littĂ©rature d’Hypochartes (Who Shall Not Be Named) nous avait fait travailler sur la forme brĂšve : Quignard, Georges Perros, les romantiques allemands. J’étais un lecteur de romans ; j’ai abordĂ© ces recherches et ces lectures avec beaucoup de rĂ©ticence
 ne comprenant qu’assez peu l’intĂ©rĂȘt du sujet.

Mais voilĂ  que je suis maintenant fascinĂ© par tous ces textes courts, des aphorismes aux poĂšmes. Peut-ĂȘtre parce que la forme brĂšve est dans l’air du temps (SMS, WhatsApp, Twitter) ; peut-ĂȘtre parce qu’ils me semblent plus faciles Ă  Ă©crire.

Plus rapides en tout cas, car la facilitĂ© est une illusion : le roman permet l’à-peu-prĂšs, l’impose mĂȘme ; on Ă©crit au kilo. Ce qui est court doit ĂȘtre prĂ©cis, chirurgical. Mais je me fiche du degrĂ© de difficultĂ© rĂ©el tant que je succombe Ă  cette illusion : j’ai besoin de croire que je peux y arriver. Quand je lis Sarah Manguso, je me dis moi aussi, je peux y arriver. Il ne m’en faut pas plus pour vouloir faire de mĂȘme.

*

« A great photographer insists on writing poems. A brilliant essayist insists on writing novels. A singer with a voice like an angel insists on singing only her own, terrible songs. So when people tell me I should try to write this or that thing I don’t want to write, I know what they mean. » (Sarah Manguso, premier ‘argument’)


Jeudi 13 avril

Il existe trois maniĂšres d’apprĂ©hender le monde : la magie, la religion et la science. Il semble qu’elles soient apparues dans cet ordre, les deux derniĂšres sur le tard (trĂšs tard).

La magie n’est pas un ensemble de tours de passe-passe, de tricks, d’illusions. C’est un systĂšme rationnel qui met l’ĂȘtre humain au cƓur de l’univers et l’univers au cƓur de l’ĂȘtre humain. La science, pour sa part, dĂ©tache l’humain de ce qui l’entoure : les liens sont coupĂ©s, car les lois de la nature existent avec ou sans nous.

Beaucoup s’insurgeront du fait qu’on puisse parler de la magie comme d’un « systĂšme rationnel », car, dans nos sociĂ©tĂ©s occidentales, nous la rĂ©duisons souvent Ă  des superstitions irrationnelles. 

Mais rationnel ne veut pas dire vrai (la science, aussi, peut ĂȘtre dans le faux, d’ailleurs, son histoire nous le prouve constamment). La magie (astrologie, alchimie, etc.) fonctionne selon une logique propre, souvent transactionnelle (« Y ou Z adviendra si je fais X »). Pendant des siĂšcles, elle a Ă©tĂ© prise trĂšs au sĂ©rieux par nos intellectuels, ceux que l’on considĂšre comme les pionniers de la Science. C’est ainsi que Newton a passĂ© sa vie plongĂ© dans les traitĂ©s d’alchimie


Magie, religion et science ne sont donc pas mutuellement exclusives, mais peuvent se chevaucher, mĂȘme encore de nos jours. Je trouve ce fait fascinant.


Vendredi 14 avril

Je traverse une phase japonaise : depuis la semaine derniĂšre, je dĂ©vore des sĂ©ries nipponnes sans m’arrĂȘter. Principalement des sĂ©ries romantiques (est-on surpris ?). Quel pays, quelle production intĂ©ressante ! 

Je regarde un Ă©pisode et je me dis qu’il n’aurait pas pu ĂȘtre imaginĂ© ailleurs. 

Ils explorent tous les tabous imaginables, toutes les situations awkward. Ils osent. En purs crĂ©atifs, ils ne rejettent aucune idĂ©e, aucune intrigue de peur qu’elle soit inacceptable ou inconvenante. 

Leur politiquement correct n’est pas le nître : difficile de savoir ce qui est acceptable là-bas, mais il est clair que leur art est fait pour explorer cette zone d’inconfort. 

J’aime leurs personnages qui se comportent de maniĂšre ambiguĂ«, qui interrogent nos valeurs morales (et les leurs). Il y a quelque chose de rĂ©solument humain en eux : ils ne sont jamais Ă  la hauteur des attentes de la sociĂ©té ; ils Ă©chouent constamment Ă  ĂȘtre « normaux ».

Leur mentalitĂ© insulaire me fascine pareillement. LĂ  oĂč la ThaĂŻlande et la CorĂ©e du Sud sont ouvertes sur le monde (les personnages qui Ă©migrent, ou ont Ă©migrĂ©, ne sont pas rares), le Japon se suffit Ă  lui-mĂȘme. C’est peut-ĂȘtre lĂ  ce que j’admire le plus : une culture qui est sĂ»re d’elle, mĂȘme dans ses comportements les plus nĂ©vrotiques.


Samedi 15 avril

Une fois que j’ai quittĂ© une ville pour aller habiter ailleurs, je n’éprouve pas le besoin de la visiter. 

Paris, Londres, Oxford. 

À chaque fois, je suis passĂ© Ă  autre chose, si bien que, sans certaines obligations (rendre visite Ă  des amis, rendez-vous mĂ©dicaux, etc.), je n’y mettrais pas les pieds. 

J’ai goĂ»tĂ© Ă  Paris, j’ai goĂ»tĂ© Ă  Londres, j’y ai certainement Ă©tĂ© heureux
 mais la vie dans ces capitales ne me manque pas. L’idĂ©e d’y vivre Ă  nouveau me rĂ©vulserait presque. 

Ce serait comme revenir sur ses pas, cesser d’aller de l’avant, retourner sur les lieux d’un crime, lĂ  oĂč les rĂȘves sont morts avant de pouvoir se rĂ©aliser.


Dimanche 16 avril

Beaucoup de gens rĂȘvent du monde de demain en imaginant qu’ils seront dans une position de force (mĂȘme quand il est clair qu’ils ne le seront jamais). Ils croient qu’ils auront la santĂ©, l’argent et les bons amis (le rĂ©seau), tout le nĂ©cessaire pour se trouver du bon cĂŽtĂ© de la barriĂšre. 

On ne se bat jamais contre les inĂ©galitĂ©s quand on croit qu’elles nous profiteront un jour.

Pour imaginer un monde sans inĂ©galitĂ©s, il faut partir du principe qu’on occupera la position la moins fortunĂ©e possible. Si je suis seul, en mauvaise santĂ©, sans argent ou emploi, ce monde me permettra-t-il de vivre heureux et digne ?


Lundi 17 avril

Se rappeler, encore et encore, que Twitter n’est pas le monde, que ce n’est pas la rĂ©alitĂ©. Que ce qui s’y dit n’est qu’un Ă©cho dĂ©formĂ©, voire une hallucination. 

Se rappeler aussi que la folie amĂ©ricaine n’est pas la folie europĂ©enne, que leurs problĂšmes ne sont pas nĂ©cessairement les nĂŽtres. 

Ne pas confondre, ne pas confondre.

Ne jamais oublier que chaque tweet à un contexte : ùge, sexe, lieu, éducation, religion, santé mentale (de celleux qui le composent). Sans ces informations, il est impossible de juger de sa validité.

Ne jamais oublier que ces milliards d’avis, de grognements et de cris de joie polluent l’esprit, l’égratignent, le rendent fou petit Ă  petit.


Mardi 18 avril

J’aurais voulu avoir une vie plus riche
 mais je ne me sens bien que dans la routine la plus confortable. Une inquiĂ©tude se forme aussitĂŽt que je dois faire quelque chose. J’ai modelĂ© mon existence de maniĂšre Ă  cultiver la paix intĂ©rieure : comme je me prends facilement la tĂȘte, j’évite tout ce qui pourrait aggraver mon tempĂ©rament anxieux.

Je voudrais ĂȘtre zen, traverser les alĂ©as de la vie avec calme et patience, mais je ne fais que retirer le sel de la vie. Ne demeure qu’une existence assez fade, passĂ©e Ă  scroller Twitter (bitter-sweet addiction).


Mercredi 19 avril

Pour comprendre la différence entre tempérament et personnalité, imaginons une maison et ses fondations. 

Le tempérament, avec ses traits innés et biologiques, sert de fondation à la personnalité : notre bagage génétique nous rend plus introvertis ou extravertis, sensibles ou impulsifs. 

La personnalitĂ©, c’est l’ensemble des traits et des comportements que nous avons acquis en rĂ©ponse aux alĂ©as de la vie (confiance en soi, empathie, rĂ©silience, etc.) ; elle inclut le tempĂ©rament. 

Puisque nous sommes en vie, elle Ă©volue constamment ; le moi d’hier n’est jamais le moi de demain.


Jeudi 20 avril

Je crois avoir une personnalité un peu trop obsessionnelle, puis je me balade dans le fandom du BL et je me sens mieux : il y a plus obsessionnel que moi. Ma passion semble bien tiÚde en comparaison.

*

En ce moment, les rĂ©seaux sociaux s’affolent au sujet de The Eighth Sense, la sĂ©rie corĂ©enne boy’s love/queer. 

L’an dernier, c’était KinnPorsche  ; avant cela, c’était The Untamed. 

Chacune pour différentes raisons.

La hype est telle que l’objet importe peu : on en arrive Ă  fantasmer la sĂ©rie plutĂŽt que de la regarder avec objectivitĂ©. On projette ses Ă©motions et ses attentes sur elle. Toute distance critique semble disparaĂźtre. On la remplace par une exĂ©gĂšse quasi religieuse, oĂč chaque dĂ©tail est analysĂ©, dĂ©cortiquĂ©, surinterprĂ©tĂ©. La passion enfle, enfle, enfle, et devient plus importante que la sĂ©rie elle-mĂȘme.

The Eighth Sense, par ses choix esthĂ©tiques et narratifs, se prĂȘte bien Ă  cette exĂ©gĂšse.

Mais face Ă  cette hype, je ne peux m’empĂȘcher de m’interroger : Ă  quel point est-ce que j’aime cette sĂ©rie pour ce qu’elle est ? Mon avis positif est-il influencĂ© par ce qui se dit autour de moi ? La diffĂ©rence entre « j’aime » et « j’aime passionnĂ©ment » s’explique-t-elle par la qualitĂ© de l’Ɠuvre mĂȘme ou par l’excitation qui m’entoure et qui m’affecte ?


Vendredi 21 avril

Me voyant en manque d’inspiration devant mon Ă©cran, mon mari veut que j’écrive ici qu’il a le corps d’un dieu grec.

Voilà. C’est fait.


Samedi 22 avril

Si le peuple vote pour l’extrĂȘme droite et l’invite Ă  occuper les plus hautes instances d’une rĂ©publique, s’opposer Ă  cette dĂ©cision dĂ©mocratique fait-il de nous des anti-dĂ©mocrates ? 

Si un choix dĂ©mocratique met en danger la dĂ©mocratie et ses valeurs, est-il acceptable de ne pas lui reconnaĂźtre sa lĂ©gitimité ?

J’imagine qu’on peut reconnaĂźtre la lĂ©gitimitĂ© d’un vote (et sa stupiditĂ© absolue), tout en bloquant les actions du gouvernement qui en est issu. 

Le mieux serait encore de s’assurer qu’on n’arrive pas Ă  ce vote fatidique, mais il semble que le gouvernement actuel travaille activement Ă  mettre l’extrĂȘme droite au pouvoir. (Je parle, Ă©videmment, du gouvernement français, car le gouvernement anglais est dĂ©jĂ  d’extrĂȘme droite depuis quelques annĂ©es.)


Dimanche 23 avril

C’est en plein milieu d’une longue tirade passionnĂ©e sur l’état de la nation française (ou anglaise) que je prends conscience qu’il y a des gens pour qui les discussions politiques sont ennuyeuses. 

*

Depuis des annĂ©es, D. m’écoute poliment, mais son dĂ©tachement me montre Ă  quel point certaines personnes prĂ©fĂšrent penser Ă  autre chose qu’aux rouages de nos sociĂ©tĂ©s. Elles aiment se focaliser sur leur entourage immĂ©diat (leurs connaissances, leurs familles de coeur comme de sang, leur nombril). Elles n’ont pas l’ambition de changer le monde, mĂȘme si celui-ci les violente et les rend malheureuses. 

En refusant d’imaginer un monde meilleur, en refusant de tout faire pour l’obtenir, elles donnent carte blanche Ă  nos politicien·nes et Ă  nos oligarques : iels sont libres de faire ce qu’iels veulent en toute impunitĂ©, et iels façonnent le monde Ă  leur image plutĂŽt qu’à la nĂŽtre.

*

Rien n’est gravĂ© dans le marbre : tout est en constante Ă©volution. Croire qu’on ne peut rien faire Ă  notre petit niveau, ce n’est pas faire preuve de rĂ©alisme, mais de dĂ©faitisme. C’est abdiquer le peu de pouvoir que l’on dĂ©tient ; c’est renforcer, au mieux, le statu quo, au pire, des tendances dĂ©lĂ©tĂšres Ă  un moment de notre Histoire oĂč l’action devient une question de survie.


Lundi 24 avril

Comment savoir si le choix de ne pas agir est motivĂ© par la prudence ou la paresse ?

*

Ces derniĂšres annĂ©es, j’utilise « I can’t be arsed » pour dĂ©crire ma maniĂšre de fonctionner
 mais il se pourrait que j’aie simplement appris Ă  prendre soin de moi.


Mardi 25 avril

« So many of us believe in perfection, which ruins everything else, because the perfect is not only the enemy of the good; it’s also the enemy of the realistic, the possible, and the fun. » (Rebecca Solnit)

*

« I think perfectionism is just a high-end, haute couture version of fear. » (Elizabeth Gilbert)


Mercredi 26 avril

Dans l’une de ses derniĂšres vidĂ©os, ImpĂ©ratrice Wu fait remarquer que, si un jeune homme asiatique est beau, les Français considĂšrent qu’il est soit japonais, soit corĂ©en, mais s’étonnent (refusent de croire ?) qu’il puisse ĂȘtre chinois. 

Elle va mĂȘme plus loin : aux yeux des Français, les cultures japonaises et corĂ©ennes seraient supĂ©rieures Ă  la culture chinoise (dire « les cultures chinoises » serait certainement plus juste tant ce pays est grand et variĂ©).

GrĂące Ă  la Hallyu (la vague corĂ©enne), qui est arrivĂ©e ces derniĂšres annĂ©es sur nos rivages europĂ©ens, aprĂšs avoir submergĂ© l’Asie tout entiĂšre, la France commence Ă  dĂ©velopper un intĂ©rĂȘt (voire une obsession) pour la CorĂ©e du Sud, qui n’est qu’une extension de la passion pour le Japon que notre pays entretient depuis des dĂ©cennies. K-dramas, K-pop, manhwa
 la production culturelle corĂ©enne est d’excellente qualitĂ© et Ă  mĂȘme de rivaliser avec la production occidentale.

Qu’en est-il de la Chine ? ConsidĂ©rer sa culture comme infĂ©rieure Ă  celle de ses pays voisins (= un renversement de la vision traditionnelle en place en Asie depuis des siĂšcles) ne peut s’expliquer que par la politique isolationniste du pays au XXe siĂšcle, le fait que ce qu’on y produit soit considĂ©rĂ© en Europe comme « bon marché » (et donc de piĂštre qualitĂ©) et le fait que la Chine, Ă©norme pays, se suffit Ă  elle-mĂȘme : sur le plan culturel, elle n’a pas besoin du marchĂ© international pour se dĂ©velopper  ; elle n’a aucune raison d’aller charmer l’Occident.

La gĂ©opolitique actuelle ne devrait pas amĂ©liorer l’image de la Chine en France
 Le racisme anti-chinois a encore de beaux jours devant lui ; seule diffĂ©rence peut-ĂȘtre : le mĂ©pris a laissĂ© place Ă  la crainte.

Tout cela me déprime.


Jeudi 27 avril

Pendant de nombreuses annĂ©es, j’ai Ă©crit pour A., pour lui faire plaisir, pour l’épater, pour la distraire. Que je sois d’accord ou non avec ce qu’elle disait, je faisais confiance Ă  ses retours de lecture, Ă  son jugement. 

Depuis qu’elle s’est retirĂ©e pour fonder une famille, le vide qu’elle a laissĂ© est difficile Ă  combler. Je dois rĂ©apprendre Ă  Ă©crire pour moi. Trouver en moi la motivation qu’elle suscitait. Je n’ai jamais Ă©tĂ© aussi productif que lorsqu’elle Ă©tait Ă  mes cĂŽtĂ©s. Je ne voulais pas la dĂ©cevoir ; grĂące Ă  elle, Ă  sa prĂ©sence, Ă  ses coups de pied et ses coups de gueule, j’ai terminĂ© de nombreux projets.

Parfois, je m’inquiĂšte Ă  l’idĂ©e que je ne puisse plus rien terminer, que je sois condamnĂ© Ă  attendre qu’elle revienne Ă  l’écriture
 Une sorte de purgatoire littĂ©raire. En attendant Clara Vanely. 

Je n’aime pas cette dĂ©pendance (je ne l’aimais pas plus dans le passĂ©, d’ailleurs, mais j’avais l’impression que nous faisions de grandes choses ; mes chaĂźnes Ă©taient douces).


Vendredi 28 avril

Tenir un journal public, c’est ĂȘtre condamnĂ© Ă  toujours avoir en tĂȘte les rĂ©actions possibles des lecteurices. Que vont-elles penser si j’écris ceci ? Vont-ils s’agacer si je parle encore de ça ?

La peur du ridicule fait des bulles en fond d’estomac, mais le mieux est de l’ignorer : si on l’écoute, on ne fait rien. S’empĂȘcher d’écrire est pire que d’ĂȘtre l’objet de moqueries. Quoi qu’en dise l’esprit sur le moment, le ridicule est moins dangereux que le refus de s’épanouir : Ă  trop vouloir plaire aux autres, Ă  trop se soucier de sa rĂ©putation, on passe Ă  cĂŽtĂ© de sa vie.

*

Oui, c’est dĂ©cidé : je vais me remettre au Mandarin. (Surprise !)


Samedi 29 avril

Je voudrais pouvoir garder l’état d’esprit du vendredi soir, aprĂšs que j’ai jouĂ© Ă  l’Euromillions et imagine une vie faite de mille possibles. Cette lĂ©gĂšretĂ©, cet optimisme, cette absence momentanĂ©e d’inquiĂ©tudes


*

Le samedi matin, au rĂ©veil, ma vie est identique Ă  ce qu’elle Ă©tait la veille : je n’ai pas gagnĂ© Ă  la loterie ; mon existence se poursuit, confortable mais ennuyeuse. L’espoir d’un changement radical a disparu. Me voilĂ , Ă  nouveau, pris dans le marasme de l’ñme. 

*

Alors que la probabilitĂ© de remporter le jackpot est quasi nulle, il est possible de conserver une certaine insouciance de l’esprit et de cultiver une vision positive de son existence. 

L’optimisme Ă©merveillĂ© entretient peu de rapport avec ce qui l’entoure. Il s’agit d’une disposition intĂ©rieure qui ne dĂ©pend que de nous.


Dimanche 30 avril

J’avais lu la moitiĂ© de Big Magic d’Elizabeth Gilbert avant d’arrĂȘter ma lecture. J’en avais gardĂ© une assez mauvaise impression. Peut-ĂȘtre attendais-je un nouveau Bird by Bird, un ouvrage qui changerait radicalement ma maniĂšre de considĂ©rer ma crĂ©ativitĂ©.

J’ai repris ma lecture il y a quelques jours. C’est exactement le type de discours dont j’ai besoin en ce moment : l’opinion que je m’étais faite de ce livre me semble maintenant erronĂ©e, presque injuste. LĂ  oĂč je ne voyais que facilitĂ©, j’y trouve du bon sens, et mĂȘme un peu de sagesse. 

*

Du coup, Ă  la lumiĂšre de cette expĂ©rience, peut-ĂȘtre devrais-je redonner une chance Ă  l’essai de Lewis Hyde, The Gift. Un auteur dont les livres me sont, Ă  deux reprises, tombĂ©s des mains.

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