La version intĂ©grale de ce journal est disponible dans mon jardin numĂ©rique, Sylves. La publication sây fait au jour le jour.
Jâapplique ici lâorthographe rectifiĂ©e (good-bye les petits accents circonflexes !). Si une de ces entrĂ©es rĂ©sonne tout particuliĂšrement en toi, nâhĂ©site pas Ă me le dire, ici ou sur les rĂ©seaux sociaux.
So long!
Enzo
Jeudi 01 août
Le point positif de mon Ă©tat grippal, câest lâabsence totale de mon besoin dâĂȘtre sur Twitter. Les tempĂȘtes dans un verre dâeau, la dĂ©bilitĂ© et la mĂ©chancetĂ© humaines, les colĂšres qui manquent de sincĂ©ritĂ©, tout cela me fatigue tellement que, moribond, je prĂ©fĂšre regarder des films, dormir, regarder des films, dormir. Et ce, pour l'Ă©ternitĂ©.
Vendredi 02 août
«âEssaye de te rappeler que ce quâils croient, ainsi que ce quâils font et te font endurer, ne tĂ©moigne pas de ton infĂ©rioritĂ© mais de leur inhumanitĂ©.â» (James Baldwin, The Fire Next Time)
Samedi 03 août
Balade ombragĂ©e le long du Sheffield & Tinsley Canal, oasis serpentine de calme et de verdure inespĂ©rĂ©e dans ces quartiers oĂč ont pĂ©ri, ces derniĂšres dĂ©cennies, tant de forges et dâateliers mĂ©tallurgiques. Les ponts, sous lesquels on marche, ont des plaques numĂ©rotĂ©es commĂ©morant leur annĂ©e de construction et de rĂ©novation.
ArrivĂ©s au centre-ville, nous mangeons en terrasse, au Chakra Lounge, et regardons passer la foule de ce quartier dĂ©laissĂ© de Sheffield, oĂč la misĂšre ne se cache mĂȘme plus.
Dimanche 04 août
Sheffield et Rotherham.
Deux villes, lâune Ă cĂŽtĂ© de lâautre, comme des sĆurs siamoises. Deux personnalitĂ©s. La premiĂšre voit cinq-cents manifestants chasser une demi-douzaine de nĂ©ofascistes venus parader au centre-villeâ; la seconde accueille, le mĂȘme jour, le saccage abject dâun hĂŽtel oĂč sont logĂ©s des demandeurs dâasile. VoilĂ lâAngleterre dâaujourdâhuiâ; voilĂ les fractures dâun pays ayant traversĂ© quatorze annĂ©es dâaustĂ©ritĂ© budgĂ©taire.
Lundi 05 août
Retour Ă la gymâ; retour de lâinspiration. Un cerveau bien oxygĂ©nĂ© reçoit mille idĂ©es Ă lâheure. Il faut croire que ma Muse est sportive.
Mais ce nâest pas une Muse endurante, car, dĂšs que la sĂ©ance de sport est terminĂ©e, la fatigue mâenvahit et ne me quitte plus jusquâau lendemain. Aujourdâhui, jâai donc le cerveau endormi. Ce nâest pas pratique pour Ă©crire. Ni mĂȘme pour penser Ă lâĂ©criture.
Mardi 06 août
Jâai repris ma lecture de All the Violet Tiaras, le petit essai de Jean Menzies (88 pages) publiĂ© chez 404 Inklings, que jâavais achetĂ© lors de mon passage Ă Oxford. Celui qui prĂ©sente les réécritures contemporaines queers des mythes grecs.
Si je parvenais Ă me dĂ©cider sur un sujet et Ă trouver cette motivation qui me fait tant dĂ©faut, voilĂ le type dâouvrage que jâaimerais Ă©crire : une prĂ©sentation-analyse brĂšve, grand public, sur quelques dizaines de pages Ă peine. Une publication de blog augmentĂ©e, en somme. Un style oral, accessible, plaisant Ă lire. Un essai qui se dĂ©vore au petit-dĂ©jeuner, et que lâon comprend sans devoir froncer les sourcils.
Peut-ĂȘtre que je sais dĂ©jĂ les thĂ©matiques sur lesquelles jâĂ©crirais : les figures homo/bisexuelles du passĂ© (occident & orient)â; la romance gay, le MM, le BL, le yaoi, le danmei⊠toute la production multimĂ©dia homoĂ©rotique contemporaine, en somme.Â
Jâadore retracer lâhistoire dâun phĂ©nomĂšne, repĂ©rer les influences et faire de lâĂ©tiquetage. Jâaurais fait un farpait petit universitaire.
Mercredi 07 août
Il fait soleil, en ce moment. Je me sens renaitre. Les envies dâĂ©crire sont lĂ . Je suis en vie⊠et je sens une force optimiste en moi. Mon existence a retrouvĂ© du sens.
Je crois que je ne pourrai jamais assez exprimer lâimpact nĂ©gatif que le temps de Sheffield (cette grisaille froide continuelle) a sur ma psychĂ©.
Jeudi 08 août
Le BL thaĂŻ Century of Love, avec Daou et Offroad dans les rĂŽles principaux, vient de se terminer aujourdâhui.Â
Lâintrigue mâa Ă©normĂ©ment plu : suite Ă la mort tragique de sa bienaimĂ©e, San a passĂ© les cent derniĂšres annĂ©es Ă attendre quâelle se rĂ©incarne⊠La dĂ©esse lui a accordĂ© un siĂšcle dâimmortalitĂ©, mais cette pĂ©riode touche Ă sa fin⊠Un jour, alors que sa mort approche Ă grands pas, il fait la rencontre dâun jeune homme qui pourrait bien ĂȘtre la rĂ©incarnation de sa dulcinĂ©e.
Jâai retrouvĂ©, dans cette sĂ©rie, beaucoup dâĂ©lĂ©ments mĂ©lodramatiques que jâadore : le surnaturel, une intrigue familiale, des trahisons, des quiproquos, des mĂ©chants, un jeune hĂ©ros prĂȘt Ă tout pour sauver sa grand-mĂšreâŠ
Malheureusement, le jeu des acteurs nâa pas Ă©tĂ© au niveau. Daou et Offroad mâavaient charmĂ© dans Love in Translation (2023), leur premiĂšre sĂ©rie ensemble, mais je nâai pas su retrouver cette alchimie particuliĂšre dans Century of Love. Daou ne sait pas exprimer une palette dâĂ©motions variĂ©e. Son jeu est raide et trĂšs souvent maladroit (ceci dit, la personnalitĂ© de son personnage se prĂȘte volontiers Ă cette raideur). Quant Ă Offroad, en dehors de ses sourires lumineux, qui expliquent en partie son charme indĂ©niable, son jeu a manquĂ© de subtilitĂ©.Â
EspĂ©rons quâils sâamĂ©liorent vite, car leur duo a un fort potentiel et de nombreux projets intĂ©ressants devraient continuer Ă leur ĂȘtre proposĂ©s.
Vendredi 09 août
Hier, jâai Ă©crit un poĂšme, dont je nâai pas trop honte, ce qui ne mâĂ©tait pas arrivĂ© depuis bien longtemps. Cela mâa donnĂ© envie de me remettre Ă la poĂ©sie pendant un mois entier. Jâaime ce genre de petit dĂ©fi littĂ©raire. La derniĂšre fois que jâai fait quelque chose de similaire, câĂ©tait en novembre 2015. Chaque jour, jâĂ©crivais dix haĂŻkus, dont une sĂ©lection a fini dans Parle-leur dâamour (2020), le premier tome de mes carnets poĂ©tiques.
Je nâarrive pas Ă mâexpliquer cette obsession que jâai pour la poĂ©sieâ; une obsession particuliĂšre, câest vrai, car jâaime autant que je dĂ©teste ce genre. Odi et amo.
Ces neufs derniĂšres annĂ©es ont Ă©tĂ© une sorte dâapprivoisement. Je ne me considĂšre toujours pas comme poĂšte : je suis un romancier qui sâessaye aux vers et Ă la forme brĂšve. Ă lâĂ©vidence, je nâai aucun talentâ; câest vraiment une question de dĂ©termination. (Je veux Ă©crire de la poĂ©sie. Point.)Â
Mais cela me convient tout Ă fait dâĂȘtre un poĂšte-artisan quâon lirait en passant, pour se divertir.
Samedi 10 août
Quasi impossible de trouver des anthologies de poĂ©sie contemporaine francophone. Câest incroyable. Toutes celles que je dĂ©niche finissent dans les annĂ©es 1950-1980⊠bien avant ma naissance donc. On a fait mieux comme «âcontemporainâ».
Est-ce donc lĂ la preuve que la poĂ©sie se meurt dans lâHexagoneâ? Je ne le pense pas. Mais tout semble fait pour quâelle reste entre les mains dâune minoritĂ© dont lâobjectif est de promouvoir lâentre-soi et le bon gout bourgeois. Ă leurs yeux, la dĂ©mocratisation de la poĂ©sie est une entreprise vulgaire, vouĂ©e Ă lâanathĂšme.Â
Les instapoĂštes, venus de lâanglosphĂšre, tels que Rupi Kaur (une femmeâ!), doivent leur donner des sueurs froides.
Dimanche 11 août
Jâai publiĂ© les entrĂ©es du mois de juin et prĂ©parĂ© celle de juillet. La relecture est une pratique que je trouve utile : le plus souvent, je garde un avis nĂ©gatif sur ce que je compose. Elle me permet donc de rééquilibrer un peu, de voir du positif dans ce que j'ai fait. Tel passage nâest pas trop mal, telle entrĂ©e est mĂȘme intĂ©ressante.Â
Lâessentiel, câest que je trouve un intĂ©rĂȘt Ă ce Journal. Il est vrai que je lâĂ©cris en grande partie pour les autres, puisque câest un journal public, mais sait-on jamais ce que pensent les autresâ? Ainsi, pour la pĂ©rennitĂ© de ce projet, mon opinion importe davantage.
Si je me nourrissais des rĂ©actions des gens, positives comme nĂ©gatives, je serais mal barré : depuis quelques annĂ©es, jâai remarquĂ© que les rĂ©seaux sociaux ne montrent presque plus les posts avec des liens. Ils privilĂ©gient, Ă nâimporte quel prix, les Ă©changes sur leur plateforme â et au lieu dâen faire un lieu oĂč lâon retournerait constamment (comme câĂ©tait le cas de Twitter, il y a dix ans), ils Ă©rigent des murs, crĂ©ant une place publique qui a les caractĂ©ristiques d'une prison.
Lundi 12 août
«âPour moi, la forme est un moyen, tandis que lâhistoire, le fond, est un but. Pour dire autrement : pour moi, la forme nâest pas un but. Ce qui ne veut pas dire que je ne la prends pas en compte, mais disons que je ne veux pas faire une poĂ©sie qui va bien sonner, je veux faire une poĂ©sie qui va bien te sonner.â» (CĂ©cile Coulon)
Je partage la vision poĂ©tique de C. Coulon. Ă mes yeux, la forme ne peut ĂȘtre que secondaire. Prime lâhistoire, le message, le fond (peu importe comment on souhaite lâappeler). Câest Ă dire prime lâĂ©motion que lâon suscite chez les lecteurices.Â
LâĂ©motion ne nait pas de la forme mais de ce que dit (ou tente de dire) le poĂšme. Ăvidemment, la forme participe de lâeffet.Â
Un poĂšme obscur est, selon moi, un Ă©chec. Si on ne comprend rien Ă la premiĂšre lecture, si on ne ressent rien, je ne vois pas lâintĂ©rĂȘt du poĂšme.Â
En affirmant cela, je sais que je vais Ă lâencontre de tout un mouvement poĂ©tique qui prĂ©sente son hermĂ©tisme comme le summum de lâArt, une preuve irrĂ©futable du gĂ©nie de lâartiste.
Mais Ă©crire un texte imbitable, câest trĂšs facile. Le premier imbĂ©cile venu peut le faire. Le gĂ©nie (sâil existe) consiste Ă ajouter de la profondeur Ă la simplicitĂ©, sans pour autant en complexifier la lecture.
Mardi 13 août
Dans notre sociĂ©tĂ© de lâabondance, nous ne nous soucions guĂšre de la valeur de ce que lâon produit. Câest Ă©vident quand on regarde ce quâessaye de nous vendre la fast fashionâ; mais ça lâest tout autant quand on observe le contenu (Ă©phĂ©mĂšre) de ce que lâon poste sur les rĂ©seaux sociaux.Â
SâarrĂȘte-t-on quelques secondes pour se demander si ce que lâon est sur le point de publier apporte de la valeurâ? Non, bien sĂ»r que non.Â
Nous partageons ce qui nous traverse lâesprit. Ă chaud. Sans considĂ©ration pour lâimpact sociĂ©tal ou environnemental. Nous oublions (ou souhaitons oublier) que le cloud nâest pas un espace dĂ©matĂ©rialisé : câest un rĂ©seau Ă©nergivore de serveurs que lâon peut placer sur une carte.Â
Ă quoi ressembleraient nos vies si toutes nos actions avaient pour objectif premier dâenrichir le mondeâ?
(Ăvidemment, je ne limite pas ici le mot valeur Ă son sens Ă©conomique. Ă mes yeux, un compliment sincĂšre a plus de valeur que le cours de la bourse.)
Mercredi 14 août
Ă mes yeux, la littĂ©rature nâest pas prescriptive, et donc, Ă ce titre, nâa pas besoin dâĂȘtre morale. Ăcrire sur la tromperie amoureuse, le viol, lâinceste, la violence, ou les tabous qui hantent notre sociĂ©tĂ© contemporaine, ne veut pas dire quâon les glorifie pour autant.
Sur les rĂ©seaux sociaux, je vois beaucoup de lecteurices (dont le genre privilĂ©giĂ© est celui de la romance) qui semblent croire que toute reprĂ©sentation dans un roman est prescriptive, que le but premier de la littĂ©rature est de mettre en scĂšne des modĂšles, ou de donner Ă lire des fantasmes parfaits Ă la moralitĂ© irrĂ©prochable.Â
Sous prĂ©texte que les lecteurices devraient sâidentifier aux protagonistes, aucun Ă©lĂ©ment dĂ©rangeant nâest permis. Lâillusion de perfection doit ĂȘtre maintenue coute que coute, quitte Ă sacrifier toute prĂ©tention au rĂ©alisme. De tous les genres littĂ©raires, la romance est certainement le plus conventionnel et le plus aseptisĂ© (mĂȘme quand il est Ă©picĂ©).
Mais si la romance ne contient que des histoires dâamour, toutes les histoires dâamour nâappartiennent pas Ă la romance. Il en existe de vicieuses, de toxiques, de rĂ©prĂ©hensibles. Chacun peut prĂ©tendre Ă lâamour, mĂȘme les dictateurs et les gĂ©nocidaires. Je peux donc lire une histoire dâamour qui me rĂ©vulse, sans pour autant que le roman ne soit mauvais. LâexpĂ©rience de lecture, si elle ne participe pas du fantasme, nâen sera pas moins enrichissante : il est bon dâexplorer ce qui dĂ©range et dâessayer de comprendre pourquoi cela dĂ©range.
Jeudi 15 août
Je continue ma lecture de Straight Acting de Will Tosh. Il y a tout un chapitre sur la vie Ă Londres, comme «âtroisiĂšme université⻠â câest-Ă -dire un lieu dâĂ©ducation Ă la vie. Il consacre de nombreuses pages aux «âbedfellowsâ», câest-Ă -dire Ă ceux qui dormaient dans le mĂȘme lit, une pratique trĂšs courante Ă lâĂ©poque Ă©lisabĂ©thaine.Â
Les nuits devaient sembler bien diffĂ©rentes : les contemporains de Shakespeare «âavaient plus dâoccasions quâaujourdâhui de faire connaissance avec leurs compagnons de lit : le repos nocturne nâĂ©tait pas ininterrompu, mais se divisait gĂ©nĂ©ralement en deux phases, le premier et le deuxiĂšme sommeil, sĂ©parĂ©es par une pĂ©riode dâĂ©veil au milieu de la nuit au cours de laquelle les personnes partageant le lit conversaient, priaient, faisaient des projets pour le lendemain et, assez souvent, avaient des relations sexuelles. La frontiĂšre entre le compagnon de lit et le partenaire sexuel Ă©tait inĂ©vitablement poreuse.â»
VoilĂ une expĂ©rience rare Ă notre Ă©poque : nous connaissons le luxe du lit simple. Quand nous vivons en coloc, nous pouvons avoir notre propre chambre. Nous ne sommes que rarement obligĂ©s de partager un lit.Â
Le BL est friand des rapprochements nocturnes (this is where stuff happen), mais, dans un cadre contemporain, il faut bien trouver une excuse. Celle-ci est inĂ©vitablement artificielle et, Ă ce titre, a peu de chance de duper la lectrice aguerrie. (En Romanceland, notons que les hĂŽtels ne connaissent pas la crise et sont toujours pleins, forçant les protagonistes Ă se glisser sous les mĂȘmes draps.)
Vendredi 16 août
«âLe storytelling est Ă la fois une forme dâart et un aspect fondamental de lâexpĂ©rience humaine. Câest grĂące aux histoires que nous donnons un sens Ă la brĂšve pĂ©riode de conscience dont nous sommes dotĂ©s entre lâoubli Ă©ternel qui prĂ©cĂšde la naissance et celui qui suit la mort. Lâunivers, qui est le plus souvent soumis au hasard, ne se prĂ©occupe guĂšre de lâĂ©volution des personnages ou des intrigues. Mais ce nâest pas ainsi que nous faisons lâexpĂ©rience de la vie : nous avons besoin dâun sens, dâun but, de laisser une trace positive dans l'univers â nous voulons ĂȘtre le hĂ©ros de notre propre Ă©popĂ©e fantastique. Câest en racontant notre vie que nous la faisons exister.â» (Interview de Ken Liu, 14 aoĂ»t 2024)
Samedi 17 août
Ce mois-ci, la boite découverte de Curious Tea comporte quatre thés oolong de Taïwan : Four Seasons Oolong (comté de Nantou), Muzha Tie Guan Yin Oolong (Muzha, Cité de Taipei), Shan Lin Xi Baked Qing Xin Oolong et Shui Xian Water Sprite Oolong (tous les deux pareillement de Nantou).
Si je nâaimais pas le thĂ© oolong, le mois serait bien long⊠Mais ce thĂ© «âdragon-corbeauâ» (wĆ«lĂłng chĂĄ), Ă mi-chemin entre le thĂ© vert et le thĂ© noir, câest-Ă -dire semi-oxydĂ© (si bien quâon peut aussi lâappeler «âbleu-vertâ» [qÄ«ngchĂĄ]), ne me dĂ©plait pas. Je trouve fascinant quâil soit roulĂ© en minuscules boulettes, qui se dĂ©plient majestueusement sous lâeffet de lâeau chaude.
Dimanche 18 août
Jâai commencĂ© ma lecture du tome 1 de The Scum Villainâs Self-Saving System de Mo Xiang Tong Xiu, publiĂ© chez MxM Bookmark.Â
Plusieurs choses mâagacent dâemblĂ©e : le titre anglais qui est incomprĂ©hensible Ă 90 % des lecteurices français·esâ; le fait que la version française soit «âtraduite de lâanglais et du chinoisâ» alors quâil ne sâagit vraisemblablement que dâune traduction de la version anglaiseâ; les notes en bas de page qui compliquent la lecture au lieu de lâĂ©claircir.Â
Ensuite, la qualitĂ© du style diffĂšre grandement de ce que jâai pu lire du premier tome du Grand maĂźtre de la cultivation dĂ©moniaque de la mĂȘme autrice. Je ne pense pas que cela provienne de la traductrice française, mais plutĂŽt des traducteurs anglais qui ne doivent pas ĂȘtre les mĂȘmes.Â
Ce premier chapitre donne aussi lâimpression quâon lit un brouillon dâassez mauvaise qualité : peut-ĂȘtre cela sâexplique-t-il par le fait que The Scum Villainâs Self-Saving System est le premier roman de lâautrice. Si un Ă©diteur sâĂ©tait penchĂ© sur le manuscrit, certains dĂ©fauts auraient pu ĂȘtre facilement gommĂ©s.
Bref, ce premier chapitre est dĂ©cevant. Je ne suis pas sĂ»r de vouloir continuer la lecture⊠mais Ă 21,99 ⏠le volume, il faudrait peut-ĂȘtre que je mâaccroche plus longtemps.
Lundi 19 août
Puisque câest disponible sur BBC iPlayer, je regarde la premiĂšre saison dâInterview with the Vampire. Sept Ă©pisodes dâexcellente qualitĂ©. Câest tout aussi sexy quâhorrifique. Ces derniĂšres annĂ©es, jâai remarquĂ© que jâai tendance Ă abandonner les sĂ©ries TV occidentales aprĂšs quelques Ă©pisodes seulement. Ce nâest pas le cas ici. I am hooked.Â
Ils ont changĂ© quelques dĂ©tails par rapport Ă lâhistoire originelle, dont lâĂąge de Claudia (qui est adolescente dans la sĂ©rie) et la couleur de peau de Louis â deux Ă©lĂ©ments qui permettent de renforcer les enjeux dramatiques. JâapprĂ©cie tout particuliĂšrement les scĂšnes entre Louis et son intervieweur Daniel Molloy, qui a les meilleures rĂ©parties. Son humour est caustique, irrĂ©vĂ©rencieux, certainement suicidaire si on prend en compte la nature prĂ©datrice de Louis.
Mais Ă©videmment, lâattrait principal de cette sĂ©rie, câest le frisson queer quâelle procure, avec un Lestat qui semble tout droit sorti dâun rĂȘve⊠ou dâun cauchemar.
Mardi 20 août
Ils sont faciles Ă reconnaitre. Ils ont un blue tick.Â
Auparavant, câĂ©tait le signe que ces comptes Ă©taient cĂ©lĂšbres et mĂ©ritaient notre attention. Des journalistes, des stars de la TV, des professeurs dâuniversitĂ©. Maintenant, sur Twitter-X, câest le signe quâil faut les Ă©viter. Câest ceux qui payent un abonnement Premium, ceux qui se font mousser, ceux pour qui la vĂ©ritĂ© est Ă gĂ©omĂ©trie variable. Comme des mouches Ă merde, iels pullulent autour des comptes importants et commentent comme si leur vie en dĂ©pendait. Leurs interactions nâont pour but que dâattirer lâĆil du passant sur eux. Puisquâils payent, lâalgorithme leur garantit une place de choix tout en haut du fil â la qualitĂ© de leur contribution importe peu. Maitres de la surenchĂšre (de faits obscurs, dâindignation factice), ce sont des parasites aux valeurs Ă ce point conservatrices quâelles en sont devenues rances.Â
Impossible dâĂ©chapper Ă ces comptes nausĂ©abonds. Un autre exemple (si besoin en Ă©tait) de lâemmerdification des rĂ©seaux sociaux.
Mercredi 21 août
Il existe des Ă©crivains qui nâaiment pas lire, et câest OK, me dit-on.
Je comprends que nous vivions Ă une Ă©poque oĂč chacun peut faire ce quâil veut, oĂč la moindre recommandation est vĂ©cue comme une dictature, oĂč il est de bon ton dâĂȘtre libre, Max.
Mais arrĂȘtons de normaliser ce type dâĂąneries.Â
Un Ă©crivain est avant tout un lecteur. Peu importe le livre, peu importe le genre, peu importe la frĂ©quence et la quantitĂ©. Ă moins de nâĂ©crire que pour soi, de maniĂšre compulsive, dans ses carnets, lâacte dâĂ©crire, aussi un acte de partage, sâaccompagne toujours de la lecture â câest ainsi que lâon apprend ce que les autres aiment et veulent lire, ce que les autres Ă©criventâ; câest ce qui nous permet de nous situer dans le paysage de la production littĂ©raire.Â
On peut prĂ©fĂ©rer la premiĂšre personne ou le prĂ©sent de lâindicatif, nâĂ©crire que des vers ou des dialogues de théùtre. On peut ĂȘtre des rĂ©alistes stricto sensu ou des «ârĂ©alistes dâune rĂ©alitĂ© plus largeâ», comme dirait Le Guin. Tout cela importe peu (Ă moins de sâintĂ©resser aux Ă©coles ou aux mouvements littĂ©raires).
Mais les écrivains lisent, par gout, par habitude, par nécessité.
Celleux qui nâaiment pas dĂ©couvrir les textes des autres, fussent-ils des classiques ou des nouveautĂ©s, doivent se poser les bonnes questions. Ont-iels choisi lâart qui leur correspond le mieux pour exprimer leur crĂ©ativitĂ©â? Dâailleurs, comment la nourrissent-ielsâ? Ăcrivent-iels hors solâ? Comment font-iels leur apprentissage artistique sans les livresâ?
De la mĂȘme maniĂšre quâil est impensable quâun musicien puisse ne pas aimer Ă©couter de la musique, quâun rĂ©alisateur ne prenne aucun plaisir Ă se poser devant un Ă©cran, grand ou petit, ou quâun peintre refuse de contempler les tableaux de ses ainé·es ou de ses contemporain·es, il ne devrait pas exister dâĂ©crivain·es qui ne souhaitent pas lire.
Jeudi 22 août
La libertĂ© de lâĂ©crivain·e ne rĂ©side pas dans ce choix binaire : aimer ou ne pas aimer lireâ; faire avec ou faire sans. Sa libertĂ©, câest de choisir quoi lire quand iel veut, câest dâemprunter les grandes avenues littĂ©raires comme les petits chemins dĂ©tournĂ©s. Câest sâextasier devant tel poĂšme ou tel romanâ; câest aimer Ă ce point quâon dĂ©cide dâĂ©crire «âĂ la maniĂšre deâ»â; câest dĂ©tester si fort quâon veuille proposer sa propre version de lâhistoire.Â
Alors, non, ce nâest pas «âokâ» de vouloir Ă©crire tout en nâaimant pas lire. Câest le signe que quelque chose ne tourne pas rond. Et pour ton Ă©panouissement, aussi bien personnel quâartistique, peut-ĂȘtre que la prioritĂ© serait dâen dĂ©couvrir les causes et dây remĂ©dier au plus vite. Il existe tant de livres dans la nature que tu en trouveras bien un (parions : plusieurs) qui sera Ă mĂȘme de tâenthousiasmer et de te (re)donner gout Ă la lecture. Une lecture nourrissante faite Ă ton rythme. Une lecture, en somme, Ă ton image.
Vendredi 23 août
Je viens de dĂ©couvrir une revue fort intĂ©ressante pour les Ă©crivains dâimaginaire : Worldbuilding Magazine, une publication gratuite qui se focalise sur la crĂ©ation dâunivers en proposant des articles sur les ports, la diplomatie, la cosmologie, la justice, etc. Parfait pour amĂ©liorer sa culture gĂ©nĂ©raleâ!
Et seulement sa culture G, car je ne pense pas que ce genre dâarticles soit particuliĂšrement utile Ă lâapprenti Ă©crivain, en ce sens quâil lui permettrait dâĂ©crire de meilleures histoires.Â
En gĂ©nĂ©ral, le worldbuilding occupe une place dĂ©mesurĂ©e dans lâesprit de lâauteurice en herbe jusquâĂ ce quâiel comprenne (parfois sur le tard) que seule lâhistoire importe. Le worldbuilding nâest quâun dĂ©cor, parfois important, câest vrai, mais lâattention de lâauteurice doit se focaliser sur ce qui se passe sur scĂšne (c.-Ă -d. lâhistoire et les personnages) plutĂŽt que sur lâarriĂšre-plan.
Quand on lit un roman de fantasy, passe-t-on son temps Ă se poser des questions sur le mondeâ? Est-ce lâĂ©lĂ©ment que lâon retient le plusâ? Rarement. Ce qui saisit notre imagination, câest ce que font les protagonistes dans cet univers.
Ainsi, lâauteurice crĂ©e son monde en fonction des besoins de lâhistoire. Nulle obligation de tout savoir â juste un peu plus que les lecteurices, câest suffisant.
Ăvidemment, le worldbuilding est source de beaucoup de joie, et il nây a aucun mal Ă passer son temps Ă peaufiner chaque petit dĂ©tail. Dâailleurs, il est possible de ne faire que ça : personne ne nous oblige Ă Ă©crire des histoires si câest la crĂ©ation de monde qui importe le plus Ă nos yeux.
Mais si le but est d'écrire une bonne histoire, il faut savoir tenir sa passion pour le worldbuilding en laisse.